Chapitre 17
On ne peut pas dire que l'accueil fut chaleureux. Pas glacial non plus mais j'ai bien compris que s'ils avaient eu le choix ce n'est pas moi qui serais là. Trop jeune, trop femme, trop ou pas assez je ne sais quoi. Ma seule qualité est de ressembler à Anabelle. Ceux qui l’ont déjà vue me l’accorde, les autres, même pas. C’est comme débarquer dans une classe en cours d’année.
Le soleil va bientôt se coucher. Je suis assise sur le banc devant le bâtiment, le dos contre le mur qui me restitue la chaleur qu'il a emmagasiné dans la journée.
Max ne répond pas au téléphone. J'ai le moral dans les chaussettes.
Un chat craintif m'observe, caché dans l'herbe.
Si je pouvais caresser un chat qui ronronne sur mes genoux, je me sentirais mieux, mais il ne veut pas s’approcher.
Luc s'approche de moi. C’est le plus jeune du groupe, après moi. Il a 25 ans mais un visage d’enfant, blond, sans un poil au menton, à peine plus grand que moi. Beau comme une fille, on lui donnerait 15 ans. Les autres le branchent sans arrêt avec ça et l’appelle Bébé. Maintenant que je suis là, il a une copine en grande section de maternelle. Il supporte avec le sourire et encaisse sans rien dire, je fais comme lui.
Personne ne nous prend au sérieux.
- Je peux m'asseoir ?
Je pense: non, j'ai envie d'être seule et si tu restes, c'est sûr que le chat ne s'approchera jamais.
Mais je dis :
- Si tu veux.
Il se met à côté de moi. En voyant le chat il se relève, s'en approche et le prend dans ses bras. Il se rassied et l'animal s'installe en boule sur ses genoux.
Mon moral qui se trouvait à l'étroit dans mes chaussettes commence à creuser sous mes pieds.
- Luc, c'est pas mon vrai nom. C'était celui de mon père. Il était flic, Il est mort dans les combats du premier jour. Élise, c'est ton vrai prénom ?
- Je ne sais plus, je change tellement souvent de nom. Élise ou autre chose...
- Ma mère aussi était flic. Mais comme mon père n’était pas du bon côté des barricade, ils l’ont virée. Alors moi, je suis là.
Tu sais qu'on a aucune chance de s'en sortir ?
- Ça me rassure un peu de ne pas être la seule à le penser.
- Tu as peur ?
- Et toi ?
- Oui.
- Tu vas y aller quand même ?
- je suis trop lâche pour leur avouer que j'ai peur…
Et toi, tu vas y aller ?
- Oui.
- Pourquoi ?
- Parce que la petite voix me dit que tout va bien se passer.
- Quelle petite voix ?
- Celle que j'entends au fond de moi.
- Elle ne se trompe jamais ta petite voix ?
- Jamais.
Papa, elle ne se trompe jamais la petite voix ?
Jamais, mais la crainte et l'espérance ont une voix qui ressemble à celle de la petite voix… et parfois, on les confond.
Je triture le téléphone.
- Tu attends un coup de fil ?
Je ne réponds pas.
- C'est un garçon ?
- ...
- Je sais que c'est un garçon. Ma petite voix m'a dit que c'était un garçon. Elle ne se trompe jamais.
Je me dis que je suis injuste de ne pas être plus gentille avec lui mais je reste silencieuse.
- Tu souris, c'est déjà ça. Tu es plus jolie avec le sourire. je vais rester sur cette belle image: je vais me coucher.
Il se lève, le chat à bout de bras.
- Tu le veux ?
Il le pose sur mes genoux sans attendre ma réponse et s'éloigne. Il se retourne au bout de quelques pas.
- S'il n’appelle pas et que tu as envie de parler, tu sais où me trouver. Et s'il appelle, dit lui de ma part qu'il a de la chance de t'avoir et qu’il ne devrait pas te négliger.
Il s'en va.
Le chat saute par terre et le suit en poussant de petits miaulements plaintifs.
C'est ça, casse-toi sale bête, laisse-moi seule. Moi aussi je te déteste.
Très loin sous mes pieds mon moral atteint le magma incandescent du centre de la terre et se consume instantanément sans même laisser de cendres.
Le soleil a disparu, un croissant de lune ténu comme un dernier espoir l’a remplacé.
Je suis allé voir Péguy. La grange est ouverte. Le cochon me regarde et dans l’ombre son sourire semble machiavélique. Les clés sont sur le contact. Le moteur démarre au quart de tour. Je le laisse tourner un peu. Le plein est fait.
Je pourrais partir avec elle et lui sauver la vie.
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