25
- Raconte-moi…
- Quoi ?
- Pourquoi je suis encore vivante.
Il est resté un moment silencieux comme s'il ne savait pas par où commencer.
- Donne-moi ton médaillon.
J'ai enlevé la chaine sans lui poser de question.
Le vent s'est engouffré sous la couverture quand il s’est levé, le médaillon à la main. Il a fait quelques pas vers l'eau et l'a jeté de toutes ses forces. La mer était trop loin et il s'est enfoncé dans le sable.
Il est revenu à l'abri de la couverture.
J'ai dit : Tu ne m’aime plus ?
Il a ri. Nerveusement.
- Je t’aime plus que tout au monde. Mais c'est un mouchard, une balise GPS… C'est lui qui m'a conduit jusqu'à toi… Pardon, j'aurais dû… Je t’aime très mal. Je n’aurais jamais dû te laisser partir, plutôt que de t’espionner comme ça. Je...
Je l'ai fait taire d'un baisser.
- C'est dommage, je commençais à le trouver presque beau.
Il a repris :
Je vous suivais depuis le matin. Je n'étais pas loin quand vous avez attaqué. J’ai cru que le truc déconnait : Il y avait une rumeur qui courait chez les résistants qu’un groupe voulait s’y attaquer : l’Elysée ! Il fallait être taré, pour s’attaquer à l’Elysée ! Et c’était vous... Toi...
J'ai entendu les rafales et puis le signal s'est éloigné à toute vitesse. Je ne savais pas si c'était normal. Si vous aviez fini votre opération et que vous fuyiez. En tout cas tu n'étais pas à l’intérieur et j'étais un peu soulagé. Jusqu'à ce que le signal s'immobilise en pleine rue. Y'avais un problème. Tu avais un problème.
Je me suis garé dans la rue parallèle et j’ai fini à pied. Je suis arrivé au camion avant la police. J'ai vu les traces de sang, les poubelles. J'allais me mettre à les fouiller quand un gars a passé la tête par la porte en face et m'a fait signe. Je l'ai suivi dans la cour et il a refermé derrière moi.
Il m'a désigné un container poubelles.
- Je l'ai rentré. Elle est dedans. Mais on ne peut plus rien pour elle. C'est trop tard. Fuyez avant qu’ils arrivent.
J'ai ouvert le couvercle. Il avait raison. Moi aussi je t'ai vue morte.
Dans la rue, les soldats et la police sont arrivés. Ils n'ont pas fait de détails : Ils ont mitraillé le tas d'ordures. Ils ont dû vider dix chargeurs.
Ils allaient bien se rendre compte qu'il n'y avait plus personne et fouiller les alentours. Il fallait que je parte. Le type m'a guidé, l’immeuble à une entrée de service qui donne sur la rue derrière, pas loin de l’endroit où j’avais laissé la voiture. Je serais passé par les toits s'il avait fallu ! Avec ton cadavre sur le dos. Je ne voulais pas leur laisser ton cadavre ! Je ne voulais pas te laisser dans cette poubelle !
C’est un miracle que j’ai pu arriver jusqu’à la voiture. Je t'ai mise dans le coffre et c’est aussi un miracle que j'ai pu quitter le quartier avant qu'il ne soit bouclé.
Quand je suis arrivé à la planque je t'ai allongée sur le lit. Il y avait du sang partout. Tu étais blanche et belle comme la mort. Tu serrais encore le médaillon dans ton poing. J'ai voulu le prendre j'ai écarté tes doigts un à un… Et tu as ouvert les yeux ! Juste un instant mais tu as ouvert les yeux. Tu étais vivante.
J'étais…je ne sais pas…fou de joie, désespéré, tout à la fois. Je ne savais pas quoi faire, tes blessures étaient graves et tu allais mourir pour de bon si je ne faisais rien. Alors, j'ai appelé Alexandra. Elle était trop loin pour s'occuper de toi, trop loin pour que je t'emmène dans cet état.
Elle a tout géré, contacté des copains de fac qui étaient toujours sur Paris. Elle ne savait pas dans quel camp ils étaient mais on n'avait pas le choix. Elle n'a pas réfléchi à ça, elle avait juste une vie à sauver. Et moi je m’en suis remis totalement à elle, comme quand on était gamins et qu’elle réparait mes bêtises avant que maman les voie.
Ils t'ont arrachée à la mort. Tu étais toujours dans le coma, mais vivante. Il fallait juste attendre que tu te réveilles. Je t'ai amenée à Berck, l’hôpital à Paris, ça devenait trop dangereux. La “filière Berckoise”... Tu as été la première, depuis beaucoup de résistants blessés lui doivent la vie. Même si Alex n’admettra jamais faire de la résistance !
Il se tait. Moi aussi. Il vient de me raconter ma mort... et ma renaissance.
Je murmure : C'est toi qui m'as sauvé.
- C’est moi qui t’ai laissé partir.
- Pas vraiment, tu veillais toujours sur moi.
- Je ne te laisserai plus jamais partir et je veillerai toujours sur toi.
L’orage a éclaté avant que la mer arrive jusqu’à nous. Nous sommes restés à l’abris sous la couverture jusqu’à ce qu’elle soit détrempée, alors il a bien fallu rentrer.
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