Depuis son emménagement, Adeline avait prit l'habitude de se rendre une fois par mois à la bibliothèque afin de rendre ses livres empruntés. Seulement, ce trajet-là n’avait rien d’habituel. Pour la première fois, la jeune fille semblait remarquer des détails qui avaient toujours été là. Comme les deux larges pots de fleurs qui encadraient le passage piéton, la rangée de buissons séparant le trottoir du parc, ou encore l’arbre planté derrière le banc à l’entrée de la bibliothèque. Elle savait très bien qu’elle les avait déjà vus, et pourtant, c’était comme si elle les découvrait.

Ce jeudi, en rentrant chez elle après cette promenade, elle n’avait rapporté aucun roman, ni même aucun livre d’analyse de textes, uniquement des magazines et des recueils à propos des plantes. La présentation du professeur de biologie végétale lors de la journée "portes ouvertes" l’avait totalement envoûtée, cependant elle restait perplexe. Pourquoi changerait-elle d’avis à seulement quelques mois du moment qu’elle attendait le plus ? Le baccalauréat, c’était un jeu d’enfant pour elle, puisqu’elle étudiait sérieusement pour quitter le lycée rapidement et commencer ses études dans les langues. Ces dernières années, elle le rabâchait à ses parents, et elle se voyait déjà dans son futur rôle de traductrice, d’éditrice ou d’enseignante de langues étrangères.

Depuis une semaine, s’imaginer ainsi lui était devenu légèrement plus flou. Elle continuait ses recherches sur les plantes dès qu’elle en avait l’occasion. Elle voulait connaître le nom des plantes, et comprendre pourquoi celui-ci précisément fut choisi. Qui en avait eu l’idée farfelue, et pourquoi ?

Par exemple, sur sa fenêtre se trouvait une Rosa chinensis, et c’était selon elle la plus jolie rose parmi les trois réunies. Mais, qui avait choisi ce nom, et dans quel but, ou selon quelles données ? Grâce à ses recherches dans les tout nouveaux magazines, elle apprenait des informations qu’elle trouvait passionnantes, sans s’expliquer pourquoi. Cette rose se fait appeler le Rosier de Chine, selon le nom latin, elle répond parfois à l’appellation Rose du Bengale. Fleur rose ou rouge poussant dans les haies ou dans les fourrés et pouvant atteindre un ou deux mètres de hauteur, elle provient du centre de la Chine et a été décrite pour la première fois en 1768 par le baron Nikolaus Joseph von Jacquin, botaniste néerlandais.

Elle est très utilisée comme fleur ornementale en raison de ses couleurs variées et éclatantes. C’était également pour ça qu’Adeline l’avait choisie, dans le magasin, il y a quelques mois : c’est en effet une très belle plante. Mais elle n’est pas simplement jolie, elle peut aussi être utilisée, de même que le fruit, dans la médecine. Selon l’article que lisait la jeune étudiante, cette rose trouve une utilité dans le traitement des menstruations irrégulières ou douloureuses, ou même un goitre.

Ce dernier détail étonna Adeline, et renforça sa curiosité envers cette soudaine mais vive passion. Elle aurait voulu passer une autre nuit blanche à lire, sans être dérangée, et en se plongeant totalement dans cet univers presque romanesque. Malheureusement pour elle, un surveillant de nuit passait par là, et elle fut contrainte à rester dans le noir. S’il le fallait, ce surveillant-là pouvait rester huit heures devant la porte, à guetter une lueur se faufilant en-dessous, et Adeline le savait très bien. C’est pour cela qu’elle ne résista pas, et qu’elle se coucha, des fleurs plein la tête.

* * *

Les résultats tombèrent. Ils n’étaient ni garantis ni inconditionnels, mais ils pouvaient tout de même guider vers un chemin meilleur qu’un autre. Ce jour, le professeur principal avait décidé de faire participer ses élèves à des tests de personnalité et d’orientation très complets, selon lui. Complets, oui, mais pas absolus.

Pour Rémi, lui qui parlait de planètes et de lois aux noms tordus jours et nuits, les résultats étaient très pertinents. Il avait soixante pour cent dans le domaine physique, trente-cinq pour cent dans les maths et cinq pour cent de subterfuges. Dans les métiers proposés, le premier était celui de ses rêves : astronome.

Pour Adeline, en revanche, c’était une autre affaire. Après de nombreux tests, les résultats étaient toujours aussi flous et contradictoires. Le premier test lui conseillait de prime abord chercheur en biologie, tandis que le second proposait préférentiellement éditrice ou traductrice. La jeune étudiante perdue n’en avait conclu qu’une seule chose : elle était la seule à pouvoir faire ce choix. Comment un ordinateur pouvait-il déterminer le futur qu’elle souhaitait construire ?

De même que les tests de personnalités trouvables dans les magazines pour jeunes filles. Non seulement le résultat est totalement aléatoire, mais de plus il ne correspond pas à une unique personne. Pire que les tests scientifiques en ligne. Adeline connait cette amie qui lisait d’abord les résultats, puis cochait les réponses proposées en fonction de ce qu’elle souhaitait obtenir. C’était inutile, en un sens, car Adeline ne connait personne qui a plus confiance en elle désormais que cette amie.

D’ailleurs, Adeline se rendait chez elle pour un après-midi. Depuis combien de temps n’était-elle pas sortie ? Sa nouvelle maison depuis la terminale, c’était l’internat, et ce n’était pas amusant tous les jours. Elle ne voulait pas aller en internat, mais elle ne voulait pas non plus changer de lycée lorsque ses parents lui avaient annoncé une mutation pour leur travail. Elle fit un choix. Il faut trois heures de train à Adeline pour rentrer chez elle, c’est pourquoi elle avait décidé de rentrer un week-end sur trois, environ. Ce week-end-là, justement, elle restait à l’internat, et avait proposé à son amie Maddie de passer chez elle.

La petite Madelaine était une personne fiable, et avec une forte personnalité. Quand elle avait une idée derrière la tête, personne ne pouvait l’en dissuader. Si ce plan était un échec, tant pis, une autre idée adviendrait. Dès qu’Adeline avait un doute qui planait dans son esprit, elle demandait à Maddie, et celle-ci répondait souvent « Qu’est-ce que tu as à perdre ? ». Ces mots s’avéraient être ceux dont Adeline avait justement besoin pour avancer. Parfois, avant d’envoyer son SMS à Maddie, elle répétait ces mots, et effaçait son message.

Bref, Maddie était un facteur déterminant pour son avenir. Lorsqu’un choix aussi important se présentait à elle, il lui fallait certainement tout un après-midi de conseils avisés et nuancés lui permettant de faire son choix seule. Elle savait que la décision lui appartenait, et que personne ne pourrait lui dire quoi faire à sa place, mais si quelqu’un pouvait affirmer ses convictions et lui donner confiance en elle, c’était bien Maddie.

Adeline fut chaudement accueillie, comme toujours, par la mère de Maddie, un plateau de biscuits fraîchement cuits dans la main. Son sourire éclatant était contagieux, et obligeait n’importe qui à lui sourire en retour. C’était une personne radieuse, tout simplement. Plus besoin de savoir d’où venait le caractère de Maddie. Il était comme un aimant à bonnes ondes : tout le monde l’appréciait pour sa bonne humeur et son soutien à toute épreuve. Cependant, l’écoute n’est pas une de ses qualités, elle n’aime pas entendre les autres ressasser leurs problèmes en pleurnichant. Ca ne fait pas d’elle une mauvaise personne pour autant.

Après de longues heures de discussions, de goûter et de jeux de cartes, Adeline avait fait son choix. Finalement, Maddie ne lui avait pas été d’une grande aide, mais elle la remercia sincèrement. Maddie ne lui avait conseillé ni l’un ni l’autre des chemins d’études entre lesquels Adeline hésitait, elle lui avait seulement dit ce qu’elle avait prévu pour ses propres études.

Dans l’esprit d’Adeline, tout était clair désormais. Deux voies s’étaient dessinées, et bien que leur finalité ne fût pas visible, les portes d’entrée en étaient bien éclairées. L’un des deux sentiers était plus accidenté que l’autre, plus étroit et plus sinueux, avec une fine partie dans l’ombre, et malgré les apparences et l’attraction de l’autre, Adeline choisit l’aventure.

De retour dans sa chambre d’internat, elle envoya un message à ses parents, en expliquant sa journée. C’était devenu son petit rituel du week-end à l’internat. A la fin de son texte, elle ajouta un paragraphe :

  Maman, Papa, je n’aurais peut-être pas de marque d’édition à mon nom, ni de livres traduits par mes soins. En revanche, peut-être trouverais-je le vaccin d’une rare maladie en étudiant des plantes vraiment fascinantes. J’ai décidé, je vais m’inscrire à la fac de biologie. Et même si ce sera difficile, ou si j’ai besoin d’années d’études supplémentaires, je veux essayer. Encouragez-moi !

  Au pire, si je suis vraiment déçue, je sais que la fac de langues n’est pas très loin, ne vous inquiétez pas.

  Bisous, je vous aime, et bon week-end,

  Adeline.