5. Fraternisation

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Le jour de la rentrée, dans le plus grand amphithéâtre du campus, c'était la folie. De tous côtés, les étudiants s'affairaient dans un brouhaha tumultueux. Certains dialogues se montraient inaudibles, tandis que d'autres étaient entrecoupés par des rires indiscrets. Les yeux fouillaient la salle à la recherche d'une place, de visages familiers, ou parfois les deux. Ceux qui montaient les marches offraient un rythme irrégulier empêchant le silence de tomber complètement. Mais toutes les personnes réunies ici avaient un point commun : c'étaient des étudiants de première année de licence.

Dans ce groupe gigantesque d'êtres humains provenant de lieux différents, quelques-uns s'étaient perdus dans le temps ou dans le campus. Comme les chaises venaient à manquer, les professeurs installèrent une caméra. Cette installation primaire permettait de regarder le discours bien installé depuis la cafétéria du bâtiment voisin, avec le luxe du casse-croûte. Adeline, bien installée au premier rang du deuxième étage, n'était pas à plaindre. Elle voyait, entendait et était assise.

Lorsque le responsable des premières années entra en piste, il faillit se liquéfier au sol. La chaleur, la cacophonie et le stress lui étaient insupportables. Il avait pourtant l'habitude de débiter des paroles qu'il avait apprises par cœur, tout en y ajoutant une dose d'improvisation, quand il était d'humeur à déballer sa vie devant des inconnus. Face à lui, une foule de visages méconnaissables se présentait. A la fin de l'année, il n'en aurait sûrement retenu que deux ou trois, ceux des plus turbulents ou ceux qui avaient toujours un millier de questions à poser, ou bien les plus exotiques peut-être, sans oublier les redoublants. Il se plaça bien droit devant la webcam, remit en place son nœud papillon et se racla la gorge bruyamment et longtemps. Le message fut immédiatement saisi par les jeunes, impatients de finir avant même le commencement.

– Bonjour à tous, jeunes gens. Vous ne savez probablement pas qui je suis, et je ne serai sûrement pas votre meilleur ami cette année, commença-t-il en prenant soin de montrer un air sérieux. Je m'appelle Christian Tratt. Je serai votre responsable, c'est-à-dire que je ne m'occuperai que de vous, les L1, si vous avez un problème. On vous a certainement distribué plein de papiers barbants, et j'espère que vous ne les avez pas lus, parce que je m'apprête à répéter mot pour mot ce qu'il y est écrit. Si vous avez choisi de ne pas écouter, je vous demande de le faire en silence.

Malgré l'air strict qu'il affichait, Christian était plutôt du genre « laisser-aller ». Il ne prenait pas en compte certaines bêtises, et répondait avec humour à quelques remarques déplacées d'étudiants provocants. Bien sûr, sa réputation le précédait, et d'autres professeurs n'aimaient pas sa manière de faire. La fac, c'est un peu comme le collège : tout le monde parle de tout le monde, mais ici, ce sont les professeurs qui parlent de leurs collègues aux élèves.

Adeline, en plus de sa lecture appliquée de la veille, écoutait attentivement. Elle ne voulait manquer aucun détail, elle désirait absorber la moindre information utile. Un stylo à la main, elle notait tout ce qui lui semblait important dans son tout nouveau carnet acheté pour l'occasion. Sur la couverture, elle avait scotché une étiquette « Fac » et inscrivait la date sur chaque nouvelle page. Elle le savait : pour réussir, elle devait s'organiser.

Alors que la première journée s'achevait, Adeline sentait déjà son quotidien chamboulé. Désormais livrée à elle-même, elle devait préparer chacun de ses repas, gérer l'intérieur de son réfrigérateur, et se concentrer sur ses cours. Néanmoins, ce nouveau quotidien lui plaisait. Elle sentait qu'elle prenait finalement son avenir en mains.

La première semaine se déroula sans encombre, et l'habitude s'installa rapidement. L'emploi du temps du groupe était officiel, mais cela n'empêcherait pas les modifications de dernière minute. Alors qu'Adeline se dirigeait vers sa résidence, elle remarqua deux visages familiers quelques mètres plus loin. Lorsqu'elle reconnut les voix, il n'y avait plus de doute : ils étaient dans son groupe. Après quatre jours de cours, il était temps de se faire des amis, alors la jeune fille n'hésita pas, et accéléra le pas.

– Bonjour ! s'annonça-t-elle, souriante. On est dans le même groupe, pas vrai ?

– Oui ! s'exclama le jeune homme. Attends... Adeline, c'est ça ? s'enquit-il en lui rendant son sourire. Moi, c'est Martin, et elle, c'est Juliette.

D'un signe de la main, Juliette salua Adeline. Cette dernière n'eut aucun mal à s'intégrer dans leur conversation. Au fur et à mesure qu'ils avançaient, ils se rendirent compte qu'ils se dirigeaient tous trois dans la même direction.

– Tu es dans cette résidence, toi aussi ? interrogea Martin, très étonné par la coïncidence.

Adeline ne savait quoi répondre. Son vœu avait été exaucé, et plus encore : elle s'était trouvé des amis dans le même groupe ET la même résidence. Pour fêter je-ne-sais-quoi, ils se réunirent dans la chambre de Juliette, au premier étage. Toute la soirée, ils mangèrent des pizzas et jouèrent à des jeux dans le but de faire plus ample connaissance.

Adeline fit quelques découvertes. Parmi celles-ci, le passé de ses nouveaux amis. Martin venait d'une filière scientifique, mais sa moyenne était juste nécessaire pour l'obtention de son bac. Ce n'est pas qu'il n'avait pas travaillé ou qu'il n'avait pas les capacités nécessaires, non, Martin n'avait pas eu de chance. A quelques jours des épreuves, sa petite sœur était tombée malade, et sa mère s'était absentée jusqu'à l'autre côté du pays pour son travail. Il avait dû gérer ça tout seul, mais il s'en était bien sorti et avait atterri en année de propédeutique.

De son côté, Juliette n'avait rien à faire là, selon Adeline. Elle avait redoublé son année car elle n'avait pas obtenu la moyenne, mais c'était parce qu'elle avait prévu de changer de filière. Seulement, au dernier instant, elle trouva ce qui lui plaisait vraiment : la pharmaceutique. Pour cela, elle devait repasser son année avec quelques cours supplémentaires. Ces cours ajoutés, Adeline et Martin y participaient aussi. Il y avait un tutorat par matière, et cela permettait de travailler et de poser ses questions librement.

Bientôt, il fallait retourner dans sa chambre, quelques étages plus loin. Pour le plus grand bonheur d'Adeline, elle découvrit la chambre de Martin, à quelques portes de la sienne.

Finalement, l'année s'annonçait-elle aussi difficile qu'elle l'avait envisagée ?

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