6. Mise en page

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Enfin au sein d'un clan d'amis soudés, Adeline se sentait pousser des ailes. Elle voulait étudier quelques leçons hors programme de cette année, mais elle préféra travailler les matières scientifiques dans lesquelles elle montrait quelques difficultés. En plus de cela, ses amis étaient toujours partants pour réviser ensemble, car c'était plus facile, et plus motivant.

Tous les jours étaient précieux pour Adeline, elle pensait ne jamais se lasser de sa vie d'étudiante. Cependant, cette journée était spéciale : c'était son premier cours de biologie végétale. Adeline était tellement excitée qu'elle peina à s'endormir la veille, et se leva la première le matin. Elle prit le temps de se coiffer, et ajouta même une touche de mascara sur ses cils agités.

Elle ne savait pas vraiment ce qu'elle espérait, mais elle avait attendu ce cours depuis son inscription. Evidemment, en tant qu'élève en propédeutique, elle ne verrait que les bases qu'elle n'avait pas encore assimilées. Principalement, les cours de terminale scientifique. Mais, pour elle, ces bases étaient un pas de plus vers son rêve.

Elle sortit à toute vitesse de sa chambre, sans même attendre Martin, et dévala les quatre étages en trombes. Une fois au rez-de-chaussée, elle s’arrêta pour souffler un instant. Entre l’excitation, le manque de sommeil et l’agitation récente, elle voulait garder son énergie pour le cours magistral. La respiration saccadée, elle faisait mine d’attendre calmement ses amis, qui la rejoignirent au bout de quelques minutes interminables.

Arrivés dans l’amphithéâtre, ils scrutaient les horizons à la recherche de bonnes places. Par chance, ils trouvèrent des places libres en plein milieu, et s’installèrent sur les sièges bancals et dégradés sans plus tarder. Adeline sortit immédiatement les affaires qu’elle avait soigneusement préparées pour l’occasion, puis patienta sagement, le regard planté sur la porte. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’entra finalement le professeur, ce professeur, celui qu’elle espérait tant revoir.

De son sourire délicatement machiavélique, il salua l’audience en hochant la tête, faisant virevolter ses fines boucles noisette. Une valise professionnelle dans la main, et une pochette d’ordinateur dans l’autre, il s’avança vers son bureau d’une démarche sophistiquée et réservée. Chacun de ses pas résonnait dans la grande salle, malgré le brouhaha qui s’élevait. Alors qu’il s’affairait à déballer son ordinateur, Juliette, la tête posée sur ses mains et subjuguée par cette vision, déclara :

– J’ai bien fait de redoubler.

Adeline ricana, tandis que Martin grimaça. Selon lui, cette fille était un véritable cliché. Cependant, il ne pouvait contredire l’avis des filles pendues aux lèvres du professeur : son charme était évident. Ses cheveux bouclés, de toute leur souplesse, formaient une vague sur son front, et laissaient entrevoir des reflets blonds. Sa moustache, soigneusement taillée, n’était ni immense, ni ridicule. De la même teinte délicieusement noisette, elle était loin d’être fade en couleurs, et présentait même quelques reflets lorsque ses lèvres articulaient les mots. Il releva la tête, affichant son menton saillant, et dévisagea ses nouveaux élèves. Lorsque le silence tomba, il se présenta finalement, laissant retentir sa voix modulée.

– Bonjour à tous, je me présente, Raymond Sorel, débute-il calmement. Je suis chercheur en biologie végétale, et je serai votre professeur pour le premier semestre, ajouta-t-il en replaçant sa moustache d’un geste habituel.

Certaines filles ne purent s’empêcher de montrer leur déception face à cette annonce, mais cela ne déstabilisa pas Raymond pour autant, qui reprit son discours annuel.

– Alors je sais que beaucoup d’entre vous sont ici pour échapper à la passerelle médecine, ou pour continuer dans la biologie animale, donc je m’adresse surtout aux intéressés dans ce domaine. Je n’oblige personne à venir en cours, ni à apprécier ce pour quoi je travaille, annonça-t-il fermement avant de continuer plus doucement. Dans ce premier semestre, je vais vous présenter l’évolution de la plante en général, de sa structure, de la reproduction et de son adaptation à son environnement. Quatre thèmes principaux qu’il vous faudra explorer par vous-mêmes également, et pour cela, je vous invite à vous procurer quelques-uns des ouvrages suivants, suggéra-t-il en indiquant la diapositive qui venait d’apparaître.

Juliette avait déjà cessé d’écouter le discours, et se plongeait dans les yeux d’un vert hypnotisant de Raymond. Elle espérait croiser son regard pour lui faire parvenir un signal, mais celui-ci ne faisait que balayer la salle de temps à autres. Envisageant déjà l’abandon, elle laissa tomber lourdement sa tête sur la planche de bois qui lui servait de table, ce qui fit sursauter les cinq personnes aux alentours.

– Voyez par exemple la jeune fille qui s’endort là-haut, je ne l’oblige en rien à rester ici, elle peut aller faire la sieste chez elle, plaisanta soudainement Raymond.

Ce commentaire disgracieux attira plusieurs regards sur Juliette, ayant relevé la tête. Une adorable teinte rosée fit son apparition sur ses joues maquillées, et ses yeux fuyaient le moindre visage. Elle se redressa et bascula en arrière, appuyant son dos sur le dossier, les lèvres closes. D’ordinaire pleine de répartie, elle perdit son sang-froid ce jour-là, et passa le reste du cours à regarder ses pieds.

– Merci pour votre attention. Je tiens à vous rappeler que ce que nous avons vu aujourd’hui n’est pas à apprendre pour l’examen final, vous en aurez suffisamment le cours prochain, déclara le professeur à la fin de son discours.

Adeline aurait juré avoir aperçu un clin d’œil de sa part, mais elle l’effaça de son esprit et remballa ses affaires au fond de son sac. Juliette se précipita la première vers la porte à double battants. Martin et Adeline se regardèrent, dubitatifs. Ils ne la connaissaient que depuis peu, mais ils s’étaient bien rendu compte qu’elle était plutôt de nature à plaisanter de tout et de rien. Etait-ce l’effet du professeur Sorel ? Martin haussa les épaules et les sourcils, puis suivit Juliette en direction des marches. Adeline, elle, hésita un instant. Elle aurait voulu aller se présenter personnellement au professeur, en espérant obtenir, si ce n’est des conseils, au moins son soutien. Cependant, la vision de cette bande de filles agglutinées autour de lui la découragea, et elle s’en alla rejoindre ses amis qui l’attendaient dans le couloir.

Lorsque Juliette annonça son envie de se rendre dans un magasin de maquillage, les deux autres montrèrent leur désaccord. Juliette soupira, mais Martin accepta de l’accompagner, à condition qu’il puisse se rendre au petit commerce de jeux vidéo qu’il n’avait pas encore eu l’occasion de visiter. Adeline se sentit dans l’obligation de refuser les deux propositions : rien de tout cela ne lui faisait envie. Elle préféra s’acheter un café pour combler la fatigue, et s’installa à une table disposée en bordure de couloir, non loin de là, où elle débuta quelques recherches sur son ordinateur portable.

Alors qu’elle pianotait sur son clavier et lisait des articles à propos d’une fleur encore inconnue à ses yeux, le monde disparu autour d’elle. Plongée dans des textes aussi longs que passionnants, elle perdit la notion du temps, si bien que lorsqu’elle avala une gorgée de son café crème, elle ne ressentit pas la chaleur à laquelle elle s’attendait. Puis, une voix derrière elle la fit sursauter.

– La fleur du diable, ou fleur chauve-souris, ou encore Tacca chantrieri, s’étonna Raymond, à quelques centimètres du crâne d’Adeline. Etonnant, comme lecture pour passer le temps.

– Professeur, balbutia Adeline, c’est que…

– Oui, c’est un sujet très intéressant, n’est-ce pas ? souriait-il tandis qu’Adeline acquiesça d’un mouvement de tête. C’est une des premières fleurs que j’ai étudiées, quand j’étais jeune. Tu veux savoir sur quoi je travaille ? s’enquit-il.

Adeline n’eut même pas le temps de prononcer clairement un « oui » que Raymond commença son explication. Il lui expliqua que dans son laboratoire, à quelques bâtiments, il faisait des expériences sur les plantes ayant des vertus médicinales, et qu’il passait son temps en tant que professeur de la fac à la recherche de futures recrues. Adeline, intriguée, buvait ses paroles. Voilà, c’était ce qu’elle voulait faire de sa vie. Les yeux brillants, elle s’imaginait déjà travailler dans ces mêmes locaux. Ils eurent une conversation tout à fait banale, comme de vieux amis qui se racontaient les épisodes vécus séparément. Adeline expliqua sa difficulté à suivre certains cours, puisqu’elle venait d’une filière littéraire. C’est alors qu’une idée fusa dans l’esprit du professeur.

– Je vois que tu es motivée et intéressée par ce domaine, alors je te propose quelque chose, informa-t-il en peignant sa moustache de deux doigts. Je peux te proposer de tenir une sorte de grimoire, un carnet dans lequel tu notes tout un tas d’informations sur le sujet que tu veux, expliquait-il en mimant ses paroles. C’est ce que je fais au labo, je tiens un carnet sur les plantes, et surtout les fleurs, que j’ai déjà étudiées. J’y note leur nom, leur description et leurs caractéristiques médicinales. Ça te permettra d’organiser tes recherches, de t’y retrouver quand tu cherches une information, et c’est très agréable à faire. Alors, partante ?

Face à un sourire dégageant autant d’éloquence et d’inspiration, Adeline ne pouvait refuser la main qu’on lui tendait. Ils échangèrent un regard entendu, et Raymond fit demi-tour pour retourner à son laboratoire, le pas léger et dansant.

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