Ombeline regarde à travers les fenêtres de l'arrière cuisine. Encore une de ces journées blafardes de décembre qui ensevelit toute vie sous son manteau de cendres. Si encore la neige venait pailleter cette atmosphère décolorée... Mais non ! Pas l'ombre d'un flocon à l'horizon, à quelques heures du réveillon.

La petite souffle son exaspération qui se fige sur la baie vitrée avant d'esquisser un sapin dans le halo de buée qui s'y est formé.

• Ombeline, les carreaux ! gronde gentiment Marta, les mains sur les hanches.

La jeune enfant se retourne, s'avance vers l'ilot central la moue boudeuse et le pas trainant. Elle se perche sur un tabouret et fixe une pomme sur laquelle elle dessine des ronds concentriques imaginaires, le menton appuyé dans le creux de sa main.

• Ça ne va pas ma colombe ?

Ombeline rassure sa gouvernante d'un mouvement de tête. Pourtant cette dernière devine au regard vide de sa petite protégée que quelque chose ne va pas. Elle tente une parade.

• Tu veux qu'on prépare du pain d'épices ? propose t-elle d'une voix enjouée.

Cette fois-ci la petite ne daigne même pas hocher la tête. Marta pose son torchon, s'approche d'Ombeline et la prend dans ses bras.

• Qu'est-ce qui ne va pas ma colombe ?

Une larme s'échappe de ses yeux noirs.

• Parle-moi de Maman..

Marta jette des regards furtifs de part et d'autre de la pièce. Parler d'Adélia en présence de Monsieur est proscrit.

• Ombeline, tu sais que...
• Laisse tomber !

Ombeline fait grincer le tabouret, avant de quitter la pièce dans un sanglot étouffé.

*****

Assise sur les coussins qui tapissent le bow-window de sa chambre, Ombeline scrute le paysage cireux, les genoux repliés contre sa poitrine en feu.

Dans quelques minutes, Marta viendra l'avertir de se préparer. Elle enfilera la belle robe que sa gouvernante aura eu toutes les peines du monde à repasser puis elle s'avancera devant son père engoncé dans son costume trois-pièces en laine feutrée. Il lui soufflera un « Tu es belle » pour l'occasion alors qu'il n'aura même pas jeté un œil dans sa direction. Puis ils s'installeront de part et d'autre de la grande table de salle à manger pour déguster la dinde farcie et les entremets que Marta aura confectionnés. Après s'être salués, ils iront se coucher et elle découvrira le lendemain au pied du sapin tous les cadeaux que son père n'aura pas pris la peine d'acheter, préférant déléguer cette tâche annuelle à son petit personnel.

Du haut de ses douze ans, Ombeline est déjà lasse de faire semblant. Elle saisit le carnet qui git à ses pieds et se met à griffonner.

Cher Père-Noël,
Il y a bien longtemps que je ne crois plus en toi. Comment continuer à croire aux lutins, à la fabrique de jouets et à la tournée de cadeaux à travers le ciel étoilé quand la chose qu'on espère le plus au monde dort à tout jamais dans une tombe ? Mais si je me trompe et que la magie de noël existe bel et bien alors je ne te demande qu'une seule chose, la même que tous les ans : Retrouver maman !

On toque à la porte. C'est Marta. Il est l'heure de se préparer.

Au-dessus du carnet délaissé, un premier flocon vient de tomber.