II

5 minutes de lecture

Commençons par toi, Clara. Tu as été la première à laquelle j'ai offert un choix, lassé de cette vague de meurtres incontrôlés qui ne servait qu'à apaiser ma faim. De tels actes étaient loin d’être satisfaisants. Ce qui me fallait, c'était une compagne.

Je montrai donc au reste du monde la façade d'une vie rangée: celle d’un honnête travailleur, dans son bel appartement. J'ai même accepté de contenir mes pulsions, ce qui entraîna un vieillissement notable, humiliant... Ce fut une véritable torture. Affamé, je ne pouvais pas dormir, tout en devant me forcer à faire bonne figure. Clara, tu n'as pas idée de ce que j'ai pu endurer pour t'atteindre...

Car oui, c'est bien pour toi que je me suis privé si longtemps. La photo posée sur le bureau d'un collègue me donnait une raison de croire qu'un jour, j'aurai auprès de moi la compagne idéale. Tu devais avoir à peine quatorze ans, ton sourire était éclatant, tes cheveux auburn descendaient en boucles épaisses sur tes épaules comme un tourbillon de flammes. Et tes yeux... tes yeux noisette en amande brillaient d'une lueur malicieuse, dans laquelle l'innocence était à peine préservée.

Pour pouvoir t’atteindre, je me rapprochai d’abord de ton père. Ce ne fut pas difficile : les hommes de famille rechignent rarement à nouer des liens avec ceux qui proposent de les tirer de leur routine. Ils rechignent encore moins à parler de leurs enfants: tu étais notre principal sujet de conversation. Mes questions étaient précises, mais jamais intrusives. Sans même s'en rendre compte, ton père m'a appris comment gagner ton cœur. Voilà pourquoi je n'ai eu aucune difficulté à te séduire. Tu peux l'en remercier!

A force de discussions, je fus invité chez vous, un vendredi soir. Tu étais là, bien plus belle que sur la photo. J'ai failli me jeter sur toi et voler ta vie devant toute ta famille. J'ai eu toutes les peines du monde à me contrôler. Tu as du le remarquer ; j'ai pu voir la peur dans ton regard, bien vite muée en curiosité.

Je fus de plus en plus souvent invité, pour des fêtes de plus en plus longues. J'avais tout le loisir de te parler, de t'apporter des cadeaux de temps à autre. Tu en étais toujours ravie, ponctuant ta joie par des courts baisers sur ma joue. Combien de fois avais-je été tenté de planter mes crocs dans ce joli cou…

Un jour, nous eûmes l’occasion de nous trouver, seul à seul. Je reçus un appel de ton père, en milieu d'après-midi. Quelle ne fut pas ma surprise d'entendre ta voix ! Tu disais avoir terminé les cours plus tôt et vouloir en profiter pour passer du temps avec moi, en ville. Petite coquine... tu avais "emprunté" le portable de ton père pour avoir mon numéro...

Je t'ai donné mon adresse pour que tu me rejoignes directement chez moi. Tu portais une robe plus courte que d'habitude, ainsi qu’une touche de maquillage. Je ne pus m'empêcher de sourire : j'avais su te séduire et tu cherchais à faire de même. Il ne me restait plus qu'à t'emmener dans la bonne direction.

Nous avons passé une bonne demie heure à discuter, mais pas avant d'avoir bu un verre de limonade. Je l'avoue : j'ai dû prendre la précaution de verser une substance apaisante dans le tien. Il fallait que tu sois plus malléable. Tu comprends, n'est ce pas ?

L'effet s'est bientôt fait sentir. Tu pensais être épuisée par les cours. Je t'ai allongée sur le canapé du salon, puis j'ai fermé les stores, laissant juste assez d'espace pour voir, mais pas pour être vu.

Une fois assuré que tes mouvements seraient trop lents pour me repousser, j'ai embrassé ton front. Tu ne semblais pas étonnée, mais tu tremblais de tout ton corps. Tu étais assez consciente pour répondre à mes questions, y compris aux plus délicates. J'obtiens l'autorisation d'embrasser tes lèvres, et même de soulever le bas de ta robe.

Je me suis empressé de le faire. Je t'ai entendu déglutir et tenter de te redresse. Trop tard: le désir me consuma et je mordis de toutes mes forces dans le creux de ta cuisse, là où la chair est la plus tendre, et où peu de gens iraient fouiller. Tu étais si surprise que tu n'as même pas crié. L'air avait quitté tes poumons.

Je bus une grande quantité de ton sang, t'en laissant juste assez pour te maintenir en vie. C'est à peine si tu avais assez de force pour prononcer le mot "Pourquoi". J'ai essuyé le sang de ta cuisse et de ma bouche avec précaution, puis je me suis penché au-dessus de toi pour te faire ma proposition.

"Tu peux mourir ici et maintenant, ou bien rester avec moi. Garde le secret et tu vivras."

Tu n'as pas eu besoin d'hésiter longtemps. Attachée à ta famille comme tu l'étais, choisir la mort aurait été étonnant. Tu as donc choisi la demi-vie que je t'offrais. Je me suis coupé la langue et t'ai donné un profond baiser. J'ai laissé la transformation s'opérer tandis que je prévenais ta mère que tu étais chez moi, que tu avais simplement besoin de repos avant de rentrer.

Je croyais avoir enfin trouvé la compagne idéale, mais je m'étais trompé : tu n'as pas su me rendre heureux et, avec le recul, étais-ce seulement possible? Je t'ai prise sans te donner une chance de te défendre, ce que je regrette aujourd'hui. Tu vois, Clara ? Je suis capable de reconnaître mes erreurs.

Si j'avais pu mieux m'y prendre, tu serais peut-être encore avec moi aujourd'hui. Bien loin de vouloir rester à mes côtés, tu me fuyais. Tu étais tellement renfermée sur toi-même... tu ne parlais plus à tes parents, ni à tes amis. Tu passais ton temps libre enfermée dans ta chambre, en proie à la même souffrance que j'ai pu connaître. J’ai pu le ressentir, grâce à notre lien. Pourtant, j'ai cherché à t'aider en te donnant des conseils pour survivre au désir du sang, pour ne pas perdre l'esprit à cause de lui. Mais tu n'as pas voulu m'écouter.

Tu as fini par fuguer, oppressée par le poids du secret. Après tout : ton père t'aurait-il crue si tu avais accusé son meilleur ami de t'avoir transformée en monstre ? Aurais-tu osé lui montrer tes marques à l'entrejambe ? J'en doute autant que tu as pu en douter.

Néanmoins, il était plus sage de m'éclipser, au cas où tu n'aurais pas su tenir ta langue. Le cœur brisé, j'ai quitté mon emploi et mon logement pour partir en quête d'une nouvelle compagne.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire *Nao Ilargi* - Corbeau Scribopolite ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0