Chapitre 25 : Territoires edorians, de nos jours. (1/2)

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Un peu au nord de leur position, le fleuve était dévié par un rocher, une immense masse de métal rouillé si massif que des milliers d’années n’avaient pu l’altérer. Comme l’Unster le rasait, la route était obligée de le contourner par l’autre côté. Pendant une demi-longe, ils chevauchèrent loin du fleuve.

Une fois passé, Saalyn donna le signal de la halte. Un edorian se précipita en haut de la colline. Quand il redescendit au bout de quelques stersihons, les cavaliers avaient tous mis pieds à terre.

— Ils sont six, dit-il, cinq mercenaires et le commanditaire.

— Quelles sont leurs forces ? demanda Aster.

— Je n’ai pas vu d’arc. Seulement des épées. Ils ont certainement des poignards cachés sur eux. Tous possèdent une armure de cuir bien qu'ils ne la portent pas.

— Bizarre, dit Deirane, ils nous poursuivent, mais ils ne se préparent pas à la confrontation.

— Ils voulaient peut-être discuter d’abord, à moins qu’ils envisageaient de nous surprendre la nuit au bivouac, conclut Saalyn, je suppose qu’ils calquaient leur allure sur la nôtre, pour ne pas nous rattraper.

— C’est ce que je pense aussi, confirma l’edorian.

— Rien de surprenant, remarqua Aster, nous sommes quatre fois plus nombreux qu’eux. Sans l’effet de surprise ils n’ont aucune chance.

— C’est eux qui vont l’avoir la surprise.

Saalyn rejoignit ses hommes. Deirane rattrapa la stoltzin.

— Cette nuit, on ne devait pas dormir dans un refuge ? demanda-t-elle.

— Avec la pluie qui s’annonce, c’est préférable.

— Et ils nous auraient attaqués dedans ? Je croyais qu’il s’agissait de zones neutres où les conflits sont suspendus.

— D’habitude des troupes helarieal et yrianii patrouillent sur cette route, sauf qu'avec toutes ces guerres en cours elles ne circulent plus. Et personne d’autre n’a le pouvoir de faire respecter cette neutralité.

— C’est pas bon pour le commerce, tout ça.

— Ce n’est pas ça qui l’arrêtera, le danger n’a jamais empêché les commerçants de voyager. Si cet état se prolonge, les choses pourraient changer. Les nains dans leurs montagnes par exemple. Ils ne produisent pas beaucoup de nourriture. Leurs réserves dépendent d’un approvisionnement régulier. Si cet approvisionnement diminue, ils risquent la famine.

Deirane réfléchit à ces paroles. Elle laissa son amie seule pour méditer sur ce qu’elle venait d’apprendre.

Aster se planta devant Saalyn.

— Que comptez-vous faire ? demanda-t-elle.

— Recevoir ces hommes comme ils le méritent.

— Je vous rappelle qu’ils sont à moi, vous avez oublié ?

— Vous êtes sûre de vouloir vous en occuper seule ?

— J’ai rarement été aussi sûre de quelque chose dans ma vie.

L’épée de Saalyn était posée en travers de la croupe de son cheval. Elle la tira du fourreau et la tendit à Aster. La garde la prit, de la main gauche remarqua la stoltzin, et l’examina attentivement.

— Vous n’avez plus d’épée, je vous prête la mienne pour le combat.

— C’est une belle arme, dit Aster.

— Elle a été forgée par les bawcks.

— J’avais reconnu le style de leurs décorations. Les nains auraient gravé un message.

— C’est un message. Dans une langue morte aujourd’hui. Les nains n’existaient pas quand je l’ai reçue. Des mains d’Helaria en personne.

Aster caressa la lame, laissant tomber sa cape tant son admiration pour l’arme était grande.

— Helaria, le fondateur du royaume ? Le père des pentarques ?

— En personne. Quelques années avant sa mort. Wotan m’a nommée au poste mais c’est Helaria qui m’a donnée cette arme.

— Je ne sais pas si je pourrai l’accepter. Un objet si ancien, il doit vous être précieux. Quel âge a-t-il, mille ans ?

— N’exagérons rien, répondit Saalyn en riant, je l’ai reçu lors de la fondation de la corporation des guerriers libres, en 1079. Avec pour mission de pourchasser et de tuer des individus comme ceux qui nous poursuivent. Taisez donc vos scrupules, elle convient parfaitement.

— Je lui ferai honneur, dit Aster.

La garde fit quelques mouvements pour apprécier sa maniabilité. Saalyn put apprécier à sa juste valeur son habileté. Quand elle estimait pouvoir gagner, la frakersen ne se vantait pas. Cela se voyait dans la fluidité de ses mouvements et dans la facilité avec laquelle elle s’habitua au poids différent par rapport à une arme plus traditionnelle en cuivre ou en bois armé. L’épée de Saalyn n’était pas vraiment en cuivre mais en bronze – peut-être les bawcks fournissaient-ils Fraker en bronze également. Elle contenait un peu d’étain qui la rendait plus solide. La guerre contre les Feythas avait bloqué l’accès aux mines, en plein cœur du désert empoisonné, pour longtemps. C’était donc un objet rare.

Les exercices terminés, Aster remercia la stoltzin par un salut de la tête.

— Nous allons vous trouver une cuirasse, dit simplement Saalyn, à moins que vous ne vouliez combattre comme ça.

— Une protection ne serait pas de refus.

— Je vais vous chercher ça.

Cela se révéla plus difficile que prévu. La frakersen avait beau être forte, elle l’était beaucoup moins que les montagnes de muscles qui constituaient le commando. C’est encore de Saalyn que vint le salut. Elle était suffisamment voluptueuse pour qu’Aster puisse insérer ses formes épanouies dans la tenue de cuir bouilli. Étant plus grande que la guerrière libre, sa taille restait nue, mais Aster comptait sur son habileté pour éviter les blessures.

On entendait le galop des chevaux qui approchaient. Ayant perdu les Helariaseny de vue, les mercenaires avaient accéléré le pas pour ne pas se faire semer. Aster fit jouer son épée puis elle se mit en route. Elle voulait attendre ses adversaires de l’autre côté du rocher. Saalyn la regarda s’éloigner. Son pas d’abord rapide, devint rapidement un trot qui en aurait remontré aux soldats de la troupe. La guerrière blonde fit un geste et deux soldats se lancèrent à sa poursuite. Pas pour l’aider, pour observer. La masse rocheuse les cacha bientôt au regard. Ses deux filles, inquiètes, s’enlacèrent pour se réconforter.

Un hennissement, le bruit de cavalcade s’arrêta. Les Helariaseny purent entendre la discussion qui s’engageait entre Aster et ses adversaires. D’où ils étaient, ils n’entendaient pas les paroles, seulement les voix. Celle agressive de la Frakersen s’opposait à l’impérative du marchand d’esclave et à la gouaille d’un mercenaire. Le ton monta. Puis le bruit métallique des épées qui s’entrechoquent remplaça la discussion.

Le premier hurlement arriva rapidement, en quelques stersihons. Une voix mâle qui exprimait une douleur intense, qui fut stoppée net dans un gargouillis écœurant. Saalyn n’y tint plus, elle courut rejoindre les spectateurs.

Le spectacle impressionna la stoltzin. Les mercenaires avaient mis pied à terre pour l’affronter. L’un d’eux était déjà mort, le bras et la tête tranché. Et aucun autre n’était indemne. Aster par contre n’avait rien. Le sang qui la couvrait n’était pas le sien. Elle virevoltait, bondissait d’un homme à l’autre, lançait une attaque foudroyante et disparaissait. Insaisissable telle une anguille, elle attaquait de tout côté sans jamais être à portée de ses adversaires. Saalyn avait l’impression de voir combattre Muy. Toutefois la guerrière ne faisait pas appel à la magie, son avantage, elle le devait à son habileté. La réputation de soldat d’élite des gardes de l’archonte de Fraker n’était pas usurpée. Même les deux soldats qui l’observaient, bien qu’appartenant eux même à un corps d’élite, étaient épatés.

Rapidement, un second soldat tomba, puis un troisième. L’ancien propriétaire d’Aster, voyant le combat tourner en sa défaveur, fit alors faire demi-tour à son cheval pour s’enfuir. En un instant, Aster fut sur lui. Elle lui attrapa la jambe d’une main et de l’autre lui planta son arme dans le ventre. Puis elle la retira pour revenir aux mercenaires. Le marchand, incrédule, regarda le sang s’écouler de sa blessure. Enfin, il tomba.

Voyant leur commanditaire tué, les soldats survivants s’enfuirent. Aster les laissa partir. Elle resta immobile au milieu du carnage comme dans un état second, pendant que les Helariaseny rattrapaient les chevaux des cavaliers morts. Quand Saalyn lui posa la main sur l’épaule, elle reprit conscience de ce qui l’entourait. Les chevaux réunis, les Helariaseny entreprirent de fouiller les cadavres. Ils rassemblèrent tout l’or dans une seule bourse. Les armes qu’ils récupérèrent furent enveloppées dans une couverture prise sur une des montures et le ballot obtenu fixé sur la croupe d’un cheval. Puis ils jetèrent les cadavres dans l’eau : les Helariaseny ne creusaient pas de tombes, ils rendaient les corps à la nature après la mort.

Le stoltzen qui détenait la bourse la donna à Aster.

— C’est à vous, dit-il.

La Frakersen la prit. Mais elle n’avait aucun endroit où la ranger.

— Merci, dit-elle, c’est ma part du butin ?

— Votre part ? dit Saalyn. C’est votre combat, nous n’avons été que spectateurs. Tout le butin vous revient.

— Tout ? L’or, les chevaux et les armes ?

— Bien sûr.

— Je peux donc prendre trois chevaux pour mes filles et moi.

— Les quatre même. Ils sont à vous, vous en disposez selon votre désir.

— Et vous, vous ne recevez rien pour les risques que vous avez pris en me délivrant.

— C’est déjà fait, huit cels, vous vous souvenez ?

La bouche d’Aster s’étira en un rictus désabusé.

— En Fraker, seuls les plus riches ont autant de biens. Si un jour je rentre chez moi, je ferai partie des notables.

— Votre pays devrait monnayer les services de leurs soldats. Vous vous enrichiriez rapidement. Et ça découragerait les envahisseurs potentiels.

Les trois stoltzt et l’humaine rejoignirent le reste de la troupe. En voyant leur mère revenir vivante, les deux jumelles se précipitèrent vers elle et l’enlacèrent, malgré le sang qui la recouvrait. La Frakersen serra ses filles contre elle. Puis elle prit la première et l’installa sur le cheval que lui présentait un soldat. Elle fit pareil avec l’autre.

La puanteur du sang indisposait Aster. Elle se tourna vers l’Unster.

— Je peux me nettoyer dans le fleuve ? demanda-t-elle.

— Je vérifie, s’écria un soldat.

Il s’accroupit sur le bord du fleuve, prit un peu d’eau dans une fiole en verre et versa quelques gouttes tirées d’un tube creusé dans un cristal de quartz. Aussitôt, l’eau se troubla.

— Elle est empoisonnée, dit-il, je suis désolé.

— J’espère que le refuge n’est pas loin, dit Aster.

Une femme lui passa une serviette et une gourde pour qu’elle fasse un semblant de toilette. Elle s’essuya le visage et les bras. C’était un peu mieux. Elle espérait seulement que l’odeur ne ferait pas fuir le cheval du mercenaire, son cheval maintenant. Fort heureusement, dressé pour la guerre, il ne broncha pas quand elle monta en selle.

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