Chapitre 33 : Sernos, vingt ans plus tôt. (2/4)

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La pimbêche tomba dans le piège, pourtant usé jusqu’à la trame.

— Traînée vous-même, s’écria-t-elle, je vous ferai ravaler vos insultes.

— Oh, vous vous êtes reconnue dans ma description ? Ma foi, si vous le dites.

— Espèce de salope, je vous ferai payer ces paroles.

— Vous insistez ? Quand vous voulez alors. Demain serait un bon jour. En tant qu’insultée. J’ai donc le choix des armes. Venez donc avec votre épée. Cela vous convient-il ?

Elle ne s’attendait pas à ce genre de réaction et commençait à paniquer.

— Vous me menacez ? parvint-elle à articuler.

Mais le ton n’y était plus.

— Prince Menjir, je pense que vous devriez ramener votre amie chez elle, intervint Jergen, vous devriez rentrer droit au palais sans vous arrêter nulle part.

Ce n’était cependant pas le jeune prince que regardait le régent, mais son escorte.

— Nous rentrons de ce pas, répondit le jeune capitaine.

— Nous n’avons pas fini nos emplettes, protesta Menjir.

— Je pense le contraire, répondit Jergen.

— Votre seigneurie, nous devrions rentrer, dit le lieutenant.

— Quand je l’aurai décidé.

— Votre seigneurie, il est seigneur régnant, vous n’êtes qu’héritier. Et nous sommes sur son territoire.

— Il n’est que régent, je suis prince héritier. Et nous sommes dans le royaume de mon père.

— L’ambassade bénéficie de l’extraterritorialité. Il est régent en exercice. Et les soldats qui nous entourent lui obéissent.

En effet, quelques soldats helarieal commençaient à venir aux nouvelles.

— Ils sont Helariaseny, lui non, remarqua le Prince.

— Je ne crois pas que cela fasse une différence.

Prudent, le jeune capitaine avait fait signe à ses hommes de les entourer. Il doutait cependant que le régent aille jusqu’à déclencher un incident diplomatique.

Le jeune prince n’était pas un imbécile contrairement à la première impression qu’il avait donnée. Il avait finalement pris toute la mesure de la situation.

— Nous partons, dit-il.

— Pas question, s’écria la jeune femme, nous n’allons pas nous aplatir devant ces serpents.

— Je crois que mon capitaine a raison, lui glissa Menjir.

Elle le regarda avec dégoût.

— Tu n’es qu’un dégonflé.

Elle partit hautaine.

— Alors je vous attends demain matin au troisième monsihon, lui lança Saalyn.

Elle lui jeta un regard de dédain, malgré tout elle accéléra le pas. Les Yrianii se mirent en route à sa suite, de façon plus solennelle comme il convenait à l’héritier du plus puissant royaume du monde. Sa compagne dut comprendre qu’elle se montrait ridicule puisqu’elle se laissa rattraper. En représaille, elle n’ouvrit plus la bouche, dédaignant son accompagnateur.

Saalyn les regarda s’éloigner.

— J’espère qu’il ne l’épousera pas, remarqua-t-elle, son comportement pourrait bien déclencher une révolution.

— Elle est jeune, elle peut encore s’améliorer, dit Jergen.

— Tu crois vraiment ce que tu dis ? Enfin. Espérons-le. Si l’Yrian sombrait dans le chaos, même à l’autre bout du monde, nous serions atteints par la tempête.

— Je croyais que l’Yrian était notre principal concurrent, sans eux nous serions la première puissance du monde, dit Volcor.

— La moitié de la flotte commerciale de l’Helaria se consacre à transporter la production agricole de l’Yrian vers d’autres contrées, expliqua Jergen.

— C’est exact, intervint Deirane, tous les ans les négociants de Gué d’Alcyan affrètent un navire helarieal pour emporter la récolte. On vend du blé à un petit royaume nain des montagnes.

— Vous comptez rester là à discuter politique ou on entre ? intervint Celtis.

— On y va, on y va, répondit Saalyn.

Ils entrèrent dans la boutique. Une jeune edoriane était en train d’empaqueter une robe de prix dans un tissu grossier. Elle leva la tête de son ouvrage.

— Pourrais-je vous aider ? demanda-t-elle.

— Il faudrait habiller cette jeune personne, répondit Saalyn en poussant Deirane devant elle.

L’edoriane la détailla d’un œil purement professionnel, elle n’eut même pas un mouvement de surprise en voyant le rubis et les autres pierres.

— Que désirez-vous, une robe, une tunique…

— Une garde-robe complète. Disons, deux tuniques, avec les pantalons associés, à moins que tu ne préfères les jupes.

— Les tuniques avec un corsage lacé, intervint Celtis.

— Non, pas de corsage lacé, protesta Deirane.

— Tu es enceinte, remarqua Saalyn, tu apprécieras de pouvoir desserrer les lacets quand ta poitrine gonflera.

— Pour une grossesse, cela n’apportera rien, dit l’edoriane, libérer la poitrine ne fera pas de place pour le ventre.

— J’avais oublié ce détail, avoua la guerrière libre, vous êtes pénibles les humaines.

— Plus tard, elle appréciera peut-être de pouvoir allaiter sans avoir à se déshabiller entièrement. Surtout en public. À moins que vous le mettiez en nourrice. Certaines humaines font ça.

— Je ne sais pas, répondit Deirane.

— Tu veux une nourrice ? demanda Saalyn.

— Non.

— La question est réglée.

La boutiquière estima les mensurations de Deirane d’un simple coup d’œil. Elle alla chercher un vêtement plié sur une étagère.

— Ceci devrait vous aller, dit-elle en le secouant pour le déplier.

La pièce, légèrement usée, n’était pas destinée à être vendue, seulement à servir de modèle. Elle le plaqua contre le corps adolescent pour vérifier la taille.

— Vous l’essayez ?

Elle poussa la jeune fille dans une pièce fermée par un simple rideau. Gênée de se déshabiller simplement protégée par un obstacle aussi ténu, elle le tira au maximum pour éviter d’être vue par les bords. Elle remarqua de petits crochets qui permettaient de fixer le rideau au mur. Rassurée, elle se changea.

Quelques vinsihons plus tard, Deirane était de retour, vêtue d’une tunique sans manche en peau. Jergen poussa un sifflement d’admiration tandis que Volcor ouvrait des yeux ronds comme des billes. Elle avait serré les lacets au maximum, lui écrasant la poitrine. Celtis les desserra.

— C’est mieux comme ça, dit-elle.

Puis elle poussa la jeune fille sous les regards de l’assistance. Deirane rougit tant elle était gênée de se montrer aussi peu couverte. Saalyn la détailla de la tête aux pieds.

— Pas mal, dit-elle, mais elle ne la mettra jamais telle quelle.

— Pourquoi ? demanda Celtis, elle est jolie comme ça. Elle met ses formes en valeurs et la couleur s’adapte à son teint.

— Elle pourra s’accommoder du corsage. Pas de montrer autant de jambes.

Il est vrai que la tunique était courte, s’arrêtant haut sur les cuisses.

— Il faudrait une jupe ou un pantalon.

— Pour cette tenue, un pantalon me semble plus adapté, dit la boutiquière.

Elle fouilla dans ses affaires et en tira le vêtement désiré. Deirane retourna dans la salle pour l’enfiler.

Saalyn avait raison, les jambes couvertes, Deirane était plus à l’aise. L’admiration qu’elle lisait dans les yeux de ses compagnons l’emporta sur la gêne. Elle tournoya pour leur montrer sa nouvelle tenue. La boutiquière la guida jusqu’à un grand miroir en pied. Deirane se regarda. Elle était admirative. Elle ne reconnaissait pas la fille séduisante qu’elle voyait dans la glace.

Brusquement, son sourire s’effaça. Elle resta un moment, comme paralysée, devant son image. Puis elle s’en détourna.

— Ça ne va pas, dit-elle.

— Au contraire, c’est parfait, dit Saalyn.

— Je veux une tunique avec des manches longues et sans décolleté.

— Pourquoi ?

Le regard de la stoltzin accrocha celui de la jeune fille qui ferma les yeux. Elle comprit.

— Pour te cacher ? Il faudra bien un jour que tu te montres telle que tu es puisque tu ne peux rien y changer.

Saalyn alla se placer derrière sa jeune protégée et lui posa les mains sur les épaules.

— Ouvre les yeux, regarde-toi et dis-moi ce que tu vois.

— Je vois une horreur, un monstre, répondit Deirane.

— Moi je vois tout autre chose. Je vois une très jolie fille qui deviendra une femme magnifique.

— Il m’a défigurée.

— Non. Ce qu’on t’a infligé est horrible, mais tu n’es pas défigurée. Celui qui t’as fait ça est un artiste. Un artiste tordu. Néanmoins, ce qu’il t’a fait est très beau. Alors regarde dans la glace et cherche cette fille que moi je vois. Tu la vois ?

— Non.

— Regarde bien.

Deirane hésita un long moment avant de répondre.

— Tu es très belle toi aussi, plus que moi.

— Pas du tout. C’est juste que j’ai plus d’expérience, je sais mieux me mettre en valeur. Mais tu es plus jolie que moi.

À ce moment, une voix grave et bourrue surpris les deux femmes.

— Il ne faut jamais refuser les dons que nous donnent les dieux. Tu as reçu ces tatouages étranges, il serait criminel de les masquer.

Un homme venait de sortir de l’arrière-boutique. C’était un edorian. Il était loin cependant de ressembler aux autres représentants de son peuple. Chez lui, la sveltesse des siens était remplacée par de la maigreur, ses cheveux longs étaient rêches et son visage émacié. Il était handicapé, s’aidant d’une canne pour marcher.

— Je refuse de te tailler une tenue qui nierait ce que tu es, continua-t-il, tu as une particularité unique, utilise là.

— Et si je ne veux pas.

— Je peux vendre mes robes à qui je veux.

En clopinant, il alla jusqu’à une étagère. Il en tira une jupe qui descendait à mi-cuisse.

— Essaye ça, ordonna-t-il. Et pour le haut.

Il sortit une bande de tissu qu’il lui tendit. Elle couvrait tout le haut de la poitrine en laissant la taille nue.

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