Chapitre 39 : Nord de l’Unster, de nos jours (1/3)

7 minutes de lecture

Le navire avait quitté Sernos quelques calsihons plus tôt. Il remontait l’Unster vers le nord. Il n’allait pas très vite, à peine plus qu’un marcheur entraîné. Le vent ne soufflait pas fort, il est vrai. De plus il avait le courant contre lui. Il aurait pu être beaucoup plus rapide mais aussi près de la capitale, les petits bateaux de pêcheurs qui encombraient les flots le gênaient, l’obligeant à la prudence. Malgré cela, il atteindrait sa destination au petit mati.

Deirane, accoudée au bastingage, regardait la rive défiler. Plus exactement, son visage était tourné vers elle, les yeux dans le vague. Ce n’était pas le cas de Cleindorel qui devenait de plus en plus excitée au fur et à mesure que l’on se rapprochait de chez elle. Elle n’arrivait pas à rester en place : un moment dans sa chambre allongée sur le lit, l’instant d’après sur le pont, puis dans la cabine du capitaine à poser des questions sur tout. L’ancienne reine était ravie de la voir ainsi. Elle avait peur que son enlèvement et son séjour chez le drow ne l’ait traumatisée. Heureusement elle semblait avoir retrouvé sa joie de vivre.

Quelqu’un s’appuya à côté d’elle. D’un rapide mouvement de tête, elle reconnut la longue chevelure blonde de la pentarque.

— Ta nièce est pleine de vie, remarqua-t-elle.

Deirane sourit en voyant la jeune fille poursuivre de ses assiduités un mousse affolé pour se faire accompagner en haut de la vigie.

— Elle va finir pas épuiser leur patience, répondit-elle.

— Ils en ont vu d’autres. La Résidence a vécu pendant des années sous la terreur du trio infernal. Littold, Calen et Satvia ont été adolescentes en même temps.

Deirane se retourna pour faire face à la stoltzin.

— Vous avez quelque chose à me dire ou vous vous ennuyiez.

— Je ne manque pas de travail. La Pentarchie est en guerre et les rapports ne cessent d’affluer. Je ne suis pas pressée de m’y mettre.

— Et ils arrivent à vous retrouver ici ?

— Maintenant que j’ai récupéré ma gemme, je peux entrer en communication avec mes semblables. Je suis au courant de toutes leurs actions, de tous les rapports qu’ils ont lus. Je suis aussi en contact avec plusieurs sensitifs un peu partout dans le monde. Je m’en sers pour déterminer la politique de l’Helaria.

— Aldower avait raison, ce n’est pas Wotan le maître d’Helaria, c’est vous.

— C’est une erreur commise par beaucoup de gens. Je dirige Helaria, Wotan aussi, de même que mes trois sœurs et ma fille aînée. Je m’occupe des affaires extérieures, mais il n’y a pas que ça dans la direction d’un pays. Peffen s’occupe de la gestion interne, Wuq est responsable de l’armée alors que Muy gère la sécurité intérieure. Ou l’inverse. Wotan n’a pas de tâche précise. Il me remplace quand j’ai affaire à un seigneur qui refuse de traiter avec une femme. En fait, son vrai travail consiste à faire en sorte que l’Helaria soit toujours là dans mille ans.

— Je ne comprends pas.

— Quand les Feythas sont arrivés, ils ont asservi cette planète. Sais-tu combien ils étaient ?

— Non. Les récits parlent d’à peine une dizaine. Aussi peu d’individus ne peuvent pas contrôler tout un monde. Je dirai plusieurs milliers.

— Les récits sont exacts pourtant. Ils n’étaient que douze. Leur technologie était telle qu’il a fallu le sacrifice de presque tout un monde pour les vaincre.

— Douze ! Seulement !

Vespef hocha la tête.

— Ils ont été vaincus, alors que viennent-ils faire ?

— Ceux-là ont été vaincus. Ils ne sont certainement pas les seuls. Ceux qui nous ont envahis ne savaient pas reproduire leur technologie. Ce n’était pas des ingénieurs. Enfin, si. Mais dans un tout autre domaine. Ils ont créé tous ces Nouveaux Peuples, là-dedans ils excellaient. Cependant tous les objets qu’ils ont laissés derrière eux ont été fabriqués ailleurs. Ici, ils n’ont rien produit. Ces ingénieurs, ils sont bien quelque part. Un jour, ils nous trouveront. Le but de Wotan est de s'assurer que quand ils reviendront, nous soyons prêts à nous battre à armes égales.

— Ils ne reviendront peut-être pas, remarqua Deirane.

— Et s’ils reviennent ?

Deirane médita un moment sur ces paroles.

Deirane regarda Cleindorel qui avait réussi à entraîner en haut du grand mat le pauvre mousse terrifié à l’idée de la voir perdre l’équilibre et tomber. Habituée à travailler en haut des serres, elle ne risquait rien.

— Je ne pense pas que vous soyez venue pour me parler des projets à long terme de Wotan, dit-elle.

— En effet, répondit Vespef, vous avez droit à des explications sur les événements des derniers jours.

— Il me semble en effet. J’ai l’impression désagréable de m’être fait manipuler.

— C’est une impression fausse. Enfin, pas tout à fait.

La pentarque hésita avant d’ajouter.

— En fait si, vous avez parfaitement raison. Mais nous vous avons aidée à récupérer votre nièce.

Deirane opina du chef. L’aide de l’Helaria avait été décisive dans cette libération.

— Avant de commencer, j’ai une question, commença Deirane. Aldower a parlé d’un contre sort. L’avez-vous trouvé ?

Vespef hésita avant de répondre.

— Nous l’avons trouvé, répondit-elle. Malheureusement, il ne vous sera d’aucune utilité.

— Pourquoi ?

— Nous l’avons analysé. Nous avons compris comment il fonctionne. Et par contrecoup comment fonctionne le sort qui lie ces pierres à votre corps.

— Et alors.

— Ce sort assure votre intégrité physique. Il est aussi responsable de votre jeunesse apparente. À partir du moment où il cessera d’agir, toutes ces pierres et ces fils d’or qui transpercent votre corps entraîneront votre mort. Et elle ne sera ni rapide, ni indolore.

— Il n’y a aucun moyen de le neutraliser.

— Son créateur aurait peut-être pu.

— S’il était toujours vivant, soupira Deirane.

— Les hauts gems sont immortels, néanmoins ils peuvent être tués. Seul un autre gems en est capable.

— J’espérais tant me débarrasser de cette malédiction.

— Vous avez porté ces pierres pendant les deux tiers de votre vie. Pourriez-vous y renoncer facilement ?

Deirane mit longtemps à répondre.

— Je ne sais pas, dit elle finalement. J’ai appris à vivre avec elle, à en tenir compte dans mes actes, à exploiter leur potentiel…

Elle s’interrompit.

— Si vous me donniez ces explications promises, reprit-elle brutalement.

— Vous êtes sûre ?

— Oui.

— D’accord. Nous sommes sur la trace d’Aldower depuis des années.

— Je m’en doutais. Pourquoi ?

— Cela fait quatre ans qu’il mène divers complots pour déstabiliser la Pentarchie. Il a essayé de monter les six peuples de l’Helaria les uns contre les autres pour provoquer une guerre civile. Sa dernière action, tu la connais.

— La guerre contre Shaab.

Vespef hocha la tête.

— La guerre contre Shaab en effet. Les premiers rapports concernant cette guerre remontent à presque un an…

— Stop, s’écria Deirane, si les rapports remontent à un an, comment se fait-il que vous vous soyez fait surprendre ?

— Je viens de te le dire, Aldower a tenté de déstabiliser la Pentarchie en montant les peuples les uns contre les autres. Il fallait ressouder le lien. Quel meilleur moyen que de les faire se battre ensemble pour protéger leur foyer ?

— Vous avez provoqué une guerre pour consolider l’Helaria ?

Deirane ne revenait pas de cette révélation.

— Bien sûr que non, répondit Vespef, mais elle est là. On nous l’a imposée, on a cherché à en tirer le meilleur parti.

— Bien sûr.

— Et puis, nous ne nous attendions pas à une attaque aussi violente, ni aussi tôt. Comme Muy l’a dit dans son discours, nous avons été présomptueux.

Deirane ne savait que dire tant les paroles de la pentarque l’avaient soufflée. Vespef regarda le rivage défiler. La croissance de la ville d’Ortuin et de la province environnante avait crééf un début de commerce avec la capitale. Les convois étaient bien plus nombreux que vingt ans plus tôt. Si elle devait refaire le même périple aujourd’hui, elle attendrait certainement la capitale plus rapidement et sans faire de mauvaises rencontres.

Au bout d’un long moment, elle finit par reprendre la conversation.

— Votre idée n’a pas fait long feu. L’Helaria est au bord de l’effondrement.

— L’Helaria est loin d’être vaincue, rétorqua Vespef. Notre flotte est presque intacte. Et…

— Presque intacte, vous avez perdu cinq navires et dix autres sont tombés aux mains de vos ennemis. La moitié de votre flotte est anéantie.

— Un quart. À l’heure actuelle, trente autres navires font route vers Ystreka. Ils arriveront avant un mois.

— D’où viennent-ils pour mettre autant de temps ? Pas d’un port que je connais en tout cas…

Elle eut comme une illumination.

— Menjir avait raison, vous avez fondé des colonies ailleurs sur le continent.

— Les royaumes stoltzt qui avaient survécu à la guerre étaient affaiblis. Ils tombaient les uns après les autres sous les assauts des humains. Nasïlia, Orvbel, l’actuel Yrian et tous les états nés de la disparition de l’Ocarian, tous étaient stoltzt à l’origine. Les humains les ont conquis et ont massacré notre peuple. Tout ce qui reste est l’Helaria, le Mustul, la Melia, le Ferleren, quelques communautés que le Salirian n’a pas osé exterminer et quelques cités États de l’Ocarian. On trouve aussi quelques nomades aux abords de Nasïlia qui attendent de reconquérir la ville. Il nous fallait prendre des précautions pour éviter de disparaître. Nous avons développé des colonies hors de portée des humains seulement elles ne sont pas nouvelles. Nous les avons créées au milieu de l’ère feytha et tous les royaumes de l’époque les connaissaient. Ils les ont oubliés.

— Vous les avez un peu aidés.

— Non, le mépris pour l’instruction que professe ton peuple nous a aidé.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 7 versions.

Vous aimez lire Laurent Delépine ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0