Chapitre 2 - 1 : En douceur
Donatien arriva rapidement à la salvatrice dernière place libre de l’amphithéâtre, tout en bas de la salle. Peu de temps avant de s’installer, il remarqua une chevelure d’un roux vif complètement désordonnée. Sa mère aurait été horrifiée d’une telle vision, mais pas son fils. Lui-même n’appréciait pas vraiment coiffer ses cheveux crépus et épais, au point de se les raser de près régulièrement. Voir cela lui rendait cette jeune femme déjà sympathique. Du moins il supposait que ces cheveux appartenaient à une fille.
Sa question trouva immédiatement une réponse. À peine le jeune homme avait commencé à sortir ses affaires, sa voisine retourna son visage vers lui, attirée ses mouvements. Ce dernier fit de même et découvrit enfin à quoi ressemblait sa voisine d’amphi. Sans être spécialement enthousiaste, il trouvait ce qu’il voyait charmant. Ce qui pourrait sembler étrange à première vue, la jeune femme en face de lui ne semblait se soucier de son apparence. Pas de maquillage, ni de soin de peau particulier et la monture de ses imposantes lunettes dégageait la même neutralité que son t-shirt. Mais le jeune homme passa très vite sur ces détails pour se contrer sur ce qu’il y avait de remarquable : à savoir ses taches de rousseur peintes par un artiste sur son visage, son visage rond respirant la douceur et la chaleur, ses lèvres naturellement rouges, ou presque, et ses magnifiques yeux qui semblaient de loin hésiter entre le bleu et le vert comme couleur d’apparat. Une sorte de portrait de maître qui tenterait par tous les moyens de paraître parfaitement quelconque. Un paradoxe étrange qui attisa la curiosité de Donatien. Rassemblant tout son courage, il tenta de paraître confiant et sympathique.
- Salut !
- Bonjour…
Le jeune homme s’y attendait un peu, sa voisine n’avait pas l’air sociable. Il se désolait souvent de lui-même pour la quantité de bravoure et de détermination qu’il devait déployer pour simplement dire « bonjour » à des inconnus. Mais celui de la jeune femme le choqua presque. Dans le sens où non seulement la concurrence pour le prix de l’étudiant le plus coincé du campus de Broix risquerait d’être la plus rude depuis des décennies, mais il démontrait que sa voisine semblait bien plus timide que lui. S’il voulait s’en faire une camarade, voire une amie, il allait devoir prendre des initiatives, lui parler, lui proposer des sorties et tout un tas de chose que Donatien détestait. Et qu’il n’eût de toute façon jamais fait de sa vie. Pour quelqu’un de socialement passif comme lui, cela n’avait rien de naturelle de créer et d’entretenir des relations.
Toutefois, le jeune homme était porté par une dynamique nouvelle, bien plus positive qu’au lycée. Donatien ne se mentait pas à lui-même, il partait de loin d’un point de vue social. S’il avait accepté cette aventure un peu folle avec ses amis, c’était en partie pour lui, pour grandir et changer. Le voilà face à son premier « défi », il n’allait pas déjà se défiler. Il fallait admettre également que le caractère timoré de sa voisine le rassurait. Sans ressentir un sentiment de supériorité malvenu, le jeune homme était rassuré par la conviction que cette jeune femme ne se moquerait jamais de lui, étant bien trop timide pour cela. Il se sentait un peu coupable de penser ainsi, mais pas suffisamment pour le détourner de son objectif : parvenir à nouer un début de relation avec elle.
Pour l’instant, la situation ne paraissait pas propice à Donatien pour agir. Le bruit de fond produit par les étudiants rendait toute communication orale difficile, le discours du doyen allait commencer d’ici quelques minutes et il estimait que sa voisine devait être une jeune fille sérieuse et n’appréciant pas que ses voisins de tables ne la perturbent durant les heures de cours. Il opta donc pour la patience et se décida à tenter de lui parler à la fin de la matinée de présentation.
Durant le peu de temps le séparant des premiers discours des doyens, du personnel et des étudiants vétérans, le jeune homme prit le temps d’observer les immenses vitraux restaurés, ce que le jeune homme avait deviné à la transparence impeccable du verre, mais surtout grâce aux représentations de ces vitraux, abstraites et symbolique rappelant le savoir et l’éducation. Son regard se tourna ensuite vers le plafond, en arc boutant et peint. Rien de bien extravagant ni d’agressif à l’œil, ils s’agissaient d’immenses tableaux représentant ce que le jeune homme devinait être les jardins de la vieille université. Ou ses différentes cours, difficile pour Donatien de bien analyser ces œuvres depuis sa position.
De toute façon, son exploration prit fin au moment où le directeur du campus en personne se mit à tousser dans son micro. Il était arrivé et prêt depuis au moins deux ou trois minutes, mais il savait apprécier le spectacle de premières années insouciant et spéculant sur leur avenir ici, à Broix. Il avait bien passé plus de la moitié de sa longue carrière d’éducateur à ce poste si convoité de doyen de l’université de Broix. Certains étudiants avertis dans l’amphi se demandaient même comment ce vieil homme rond, bonhomme et à la force si tranquille qu’elle paraissait amorphe à leurs yeux avait pu se retrouver là. Tout connaisseur de l’histoire du campus savait que connaître en détails les centaines d’intrigues nées de la valeur inestimable du siège du « bureau pourpre », celui du doyen de l’université, se révélait presque autant irréalisable que de traverser l’Océan Pacifique à la nage. Non seulement à cause du nombre de faits historiques passés, mais surtout parce que l’histoire de l’université se poursuit. Chaque année, ce grand livre se voit ajouter un nouveau chapitre. Quand bien même tous les ans ne se valaient pas, une tendance émergeait : le nombre de candidats ne cessait d’augmenter. A l’ère de l’information et de l’épuisement des ressources naturelles, les plus grandes puissances du monde devaient compter de plus en plus sur le cerveau de leur population. Malgré ses huit siècles, le campus de Broix se retrouvait plus dynamique que jamais. Les fonds affluaient abondamment de la part d’acteurs divers et variés, souhaitant tous prendre le contrôle de cette place forte de la connaissance et de la recherche. Ce qui remettait en cause toujours davantage la présence d’un individu en fin de compte assez proche de la mort et paraissant dépassé par les enjeux de ce siècle. Le doyen actuel dépassait les quatre-vingts ans.
Chaque faculté devait bénéficier d’un mot de bienvenue du directeur du campus. Ce dernier se contenta d’un discours d’accueil concis et vague, adoucit toutefois par une voix d’homme sage et un visage bienveillant, avant de rapidement céder sa place au directeur de la faculté d’histoire. Un homme bien plus jeune que son supérieur mais ayant l’âge d’être le père de tous les étudiants de première année présents ici malgré tout. Le contraste avec le doyen continuait d’être entretenu lorsque le directeur de la faculté prit à son tour la parole. Son expérience à son poste et sa connaissance des lieux se manifestaient dans un tunnel interminable et verbeux. Le tout pouvant très aisément être résumer ainsi : « vous voilà dans un lieu riche en histoire, d’illustres personnages sont passés avant vous entre ces murs, profitez d’étudier dans un tel cadre et soyez à la hauteur de cette faculté d’exception ». Donatien eut bien du mal à ne pas s’endormir et remerciait intérieurement la chaotique chevelure de sa voisine. La vaine tentative de deviner où naissaient et vers où poussaient les innombrables mèches rousses de sa camarade de promotion avait parvenu à susciter suffisamment l’attention du jeune homme pour pas qu’elle ne s’éteigne complétement.
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