Eddy poursuivit et acheva son récit :

- Pour le moment pas grand-chose à dire, si ce n’est que les profs en science de l’environnement ont soit vingt-cinq ans, soit quatre-vingts. Vraiment il y a pas de juste milieu. Ah si, il y a un master de notre fac qui nous a parlé.

- Euh, c’est tout ? Il a dit quoi de spécial ? Demanda Aube.

- Rien, il nous a juste parlé. Si j’ai déjà oublié c’est que c’était sans intérêt.

- Mon pauvre… le master de ma fac sait synthétiser de la drogue et que c’est comme ça qu’il est devenu riche. Il portait plein de blings en or et en diamant et il était habillé en fourrure d’ours.

- Et sans mentir ça donne quoi ?

Aube soupira de dépit, avant de répondre avec un sourire contenu

- Il a passé vingt minutes à nous expliquer comment il a mis six mois à produire du dentifrice goût citrouille, tout ça pour nous démontrer que la chimie c’est « fun » et qu’on va s’éclater pendant nos années ici.

Eddy et Dodo ne purent s’empêcher d’éclater de rire aux dépends de leur amie. Elle ne leur tenait pas rigueur toutefois. Elle comme tous ses camarades de promos avaient dû fournir un effort colossal pour ne pas se moquer de leur aîné. Mais elle en profita pour faire parler Donatien.

- Et toi là, j’veux savoir quelle connerie ton master t’as sorti.

- Hm… déjà imaginez Hitler sans moustache, en fille, avec une voix douce et un beau sourire, qui est bienveillante et n’a à priori pas le projet de tuer tout le monde.

- Bah c’est pas Hitler du coup ? Réplica Eddy.

- Bien sûr que non enfin ! C’est juste pour dire qu’elle parlait bien. Je vous jure, elle pourrait devenir présidente d’un pays, tout le monde était captivé et il y a même eu des vrais applaudissements !

- Impressionnant. Mais pourquoi la comparer à Hitler ?

- Pour ses talents oratoires et sa capacité à captiver les foules. Et vu qu’Hitler est plus connu que Cicéron je me suis dit que la comparaison serait mieux comprise.

- Mon Dieu mais tu vas jamais réussir à te faire de potes. T’es vraiment grave.

Aube reprit la parole, pas mal amusé par la logique à la fois correcte et complètement absurde de son ami. Elle appréciait rire de l’humour un peu particulier de Donatien, encourageant le jeune homme à cultiver son « talent ». En temps normal, il aurait persévéré dans son délire, mais les événements du jour l’obligèrent à surprendre ses deux amis.

- Et pourtant… ce matin je me suis fait une connaissance.

- Mais nan !? Genre t’as parlé avec un inconnu ?

- Une inconnue. Elle s’appelle Emilie et elle est encore plus timide que moi.

- Le mensonge de Aube était plus crédible que le tien tu sais ? dit un Eddy tout aussi surpris que son amie

- Mais je vous jure que c’est vrai !

- Prouve-le.

- Argh… vous allez voir vous deux que je mens pas.

Eddy et Aube plaisantaient à moitié. Ils ne doutaient pas de la bonne foi de leur ami, mais il était encore plus inconcevable pour eux que pour Donatien qu’il soit capable de sociabiliser aussi « facilement ». Mais malgré leur réaction et les préjugés qu’ils avaient sur lui, les deux amis demeuraient ravis de voir Donatien changer à ce niveau. Eux deux et Ben s’inquiétaient parfois de la froideur et de la réserve du jeune homme et se demandaient souvent à quoi il pouvait penser. La conversation prit alors une autre tournure, inédite pour les trois amis. Aube commença à interroger Donatien, comme si la conversation précédente n’eut pas lieu.

- Du coup elle ressemble à quoi.

- Euh…ben… à une intello un peu. C’est pas pour être méchant, mais elle réunit tellement de clichés que c’est difficile de ne pas le penser. Après j’ai un peu l’impression qu’elle se cache.

- Comment ça ?

- Je sais pas, c’est vraiment une impression que j’ai. Parce qu’en vrai elle est un peu mignonne quand tu prends le temps de la regarder.

- Oh oh oh… je vois.

- Quoi ?

- Rien rien… tu lui as dit quoi sinon ?

- Si elle voulait m’accompagner pour la fin de la matinée, parce que j’avais prévu de me promener un peu vu qu’on avait fini tôt. Elle a refusé mais elle a apprécié ma demande. D’ailleurs on a parlé un peu, assez pour devoir annuler ma balade.

- Mais c’est pas mal tout ça. C’est bien Dodo !

Aube adorait en apprendre le plus possible sur la vie « privée » de son ami. Même si sa nature curieuse et un intérêt coupable pour les potins la poussaient à agir ainsi, elle souhaitait sincèrement connaître davantage Donatien. Elle estimait que le jeune homme était bien plus intéressant qu’il ne le laissait transparaître et chaque information glanée, aussi infime pouvait-elle être, participait à reconstituer le puzzle du monde intérieur du jeune homme. Le voir comme ça, plus ouvert, atténuait le plaisir de la quête certes, mais le savoir sur la voie de l’épanouissement représentait une belle compensation.

- Tu crois qu’elle finira par être pote avec nous ? Demanda Eddy.

- Oula… je vais déjà voir si elle me fuit ou pas demain quand j’irai la saluer.

À partir de là, la conversation se poursuivit sans le moindre accroc. La nouvelle de Donatien semblait avoir réussi à égayer la journée de tout le monde, peu emballé par leur rentrée respective. Si bien qu’ils ne remarquèrent pas l’arrivée de Ben enfin libéré de sa fac de cinéma. Au bout d’un moment, Donatien vit le visage amusé de son ami.

- Ah, enfin celui qu’on attendait !

- Trop d’honneurs que vous me faîtes.

- Nan mais c’est vrai ! raconte-nous ta journée ! En récompense Dodo te racontera un truc de ouf ! Réplica allègrement Aube.

- Sérieux ? Je me dépêche alors.

Ben s’assis et s’installa tranquillement, piqué d’intérêt pour la nouvelle de Donatien. D’autant plus que sa matinée n’était pas riche en péripéties. Il s’efforça donc à être le plus concis possible.

- Pour ma journée, il y a deux directeurs qui ont blablaté et un de nos master qui cherchant des figurants pour ses projets persos de courts métrages. Sauf qu’on a cherché avec mes voisins de table et en fait il tourne des sortes de films érotiques expérimentaux. C’était trop drôle !

- Arrête, tu mens ! lança un Eddy complètement abasourdi

- Je te jure que non, regarde.

Ben montra l’écran de son téléphone et les trois amis. Les preuves étaient irréfutables, le site internet et les films existaient belle et bien. Eddy, Aube et Dodo n’en revenaient toujours pas. Surtout Eddy

- Surveille tes arrières, t’es dans un endroit dangereux…

- T’inquiète, on réfléchit à monter des groupes d’autodéfense.

- Ouf, me voilà rassuré !

Une fois le « problème » Eddy curieusement réglé, Ben prouva une fois de plus qu’il ne perdait jamais le nord.

- Bon, maintenant parlons de toi Donatien.

- Ouiii ! Il a réussi à aborder et à discuter avec une inconnue. Il l’a même invité à passer du temps avec lui ! tu te rends compte !?

Aube restait toujours très enthousiaste de la journée de Donatien, au point de surprendre Ben qui s’attendait à autre chose. De plus intéressant ou spectaculaire, ou au moins d’un peu plus palpitant qu’un début de sociabilisation, chose qui se produisait chaque seconde dans le monde.

- Un peu décevant… Mais très content pour toi Dodo. Tu nous la présenteras un jour ?

- J’espère. Ça dépendra pas mal d’elle vu comment elle parait renfermée.

- Ça va changer ça, t’inquiète.

Un des talents de Ben venait d’être utilisé, savoir fermer une discussion et changer de sujet sans que personne ne trouvât rien à redire. Donatien appréciait énormément cette qualité chez son ami, le sortant plusieurs fois de situation assez périlleuses pour lui. Ainsi la conversation repris, durant bien une bonne heure. Chacun avait fini son repas depuis un moment et le reste de la journée leur appartenait. Après un moment de réflexion à se demander que faire pour profiter de ce beau temps et de ce dimanche, la balade avortée de Donatien revint sur la table. Les quatre amis se mirent rapidement d’accord pour flâner dans le grand parc du campus.