Chapitre 6 - 1 : Premier cours
Sept heures, comme hier. Cette fois-ci le réveil se révéla bien plus difficile pour un Donatien qui devait payer quelques excès. Entre autres ses nombreux fous rires, sa longue marche et surtout les deux litres de bières qu’il avait descendu dans l’euphorie d’hier soir. Que ce fût sa tête ou n’importe lequel de ses muscles, tout son corps était endolori, plus ou moins intensément.
Le premier quart d’heure de ce lundi matin gagnait déjà sa place parmi les pires de la courte vie du jeune homme. Sans la dynamique qui le poussait à vivre pleinement le jour présent, il serait très clairement resté allongé à souffrir le martyr. Malgré tout, Donatien trouva la force de sortir de son lit et de se tenir debout sans tomber dans les vapes. Il se lava ensuite longuement le visage, l’aidant grandement à se dégriser, ou au moins à ne pas s’endormir. Gagnant la cuisine pour se remplir l’estomac, il croisa Ben qui était déjà présent. Lui non plus ne semblait pas très frais. En voyant Donatien, il lui souriait avant de lui dire, d’une voix un peu plus rauque et cassée que ce que Dodo avait l’habitude d’entendre :
- Je savais ce qu’on avait oublié hier après-midi. Du doliprane.
Les deux amis rirent de bon cœur, avant que Donatien ne répondît avec une voix marquée par les séquelles de la soirée arrosée des deux amis.
- Qu’est-ce qu’on ferait sans toi, merci de veiller sur nous.
- Wow, impressionnant…
- Quoi ?
- Ta voix. Et ta descente aussi. T’as appris ça où ?
- À force de regarder faire mon père sûrement…
Les deux camarades petit déjeunèrent ensuite assez rapidement. Les deux débutaient les cours assez tôt, donc pas la possibilité de le passer à papoter. Devoir se préparer en même temps ne représentait pas un problème pour eux cependant. Sans avoir à se parler, les deux amis s’accordèrent à s’organiser au mieux pour ne pas empiéter sur la routine de l’autre. Bien que la colocation représentât une première expérience pour eux deux, les deux amis avaient eu l’occasion de vivre ensemble quelques fois durant leurs années collèges et lycées, que ce fût pour des voyages scolaires ou de simples nuits passées chez Ben. Ces précédents leurs permirent de s’apprivoiser au quotidien et de considérablement renforcer leur lien, qui aujourd’hui demeurait précieux et spécial, même au sein de la bande. Au point que pour Donatien, Ben était le frère qu’il n’avait jamais eu. Cela ne se voyait pas du tout compte tenue de la nature réservée du jeune homme, mais il n’en pensait pas moins.
Sur le départ, les deux amis croisèrent un Eddy venant tout juste de se réveiller et plutôt mal en point.
- Whoa… t’as pris cher. Fit remarquer un Donatien qui se retenais de rire
- Je sais, je sais…
La voix d’Eddy, si fatiguée et faible qu’elle en devenait presque inaudible, confirmait l’état désastreux de ce dernier. N’osant imaginer à quoi pouvait ressembler Aube, le jeune homme s’amusait intérieurement du fait que la bande fût déjà sur les rotules avant même d’avoir entamé leur année. Dodo et Ben saluèrent ensuite rapidement Eddy avant de descendre les escaliers, s’amusant coupablement à spéculer sur le déroulé de la journée de leur ami.
Une fois dehors, Donatien se sentit bien mieux. Dans le ciel se trouvaient quelques cumulus éparpillés. Excepté ce détail, la météo semblait similaire à celle d’hier. Le mercure un chouia frais incita les deux amis à vite se mettre en route, en quête de leur fac respective et de quelques rayons de soleil. Le trajet, contrairement au petit déjeuner, fut bien plus taiseux, chacun étant absorbé par les jeux d’ombres et de lumières entre le soleil et les immeubles résidentiels du quartier ; secondés par le discret mobilier urbains, les véhicules garés et les quelques arbres contraints se battant en duel. Rapidement, les deux amis gagnèrent le campus et devaient donc se séparer. Dodo et Ben se souhaitèrent une bonne journée avant que le jeune homme ne se dirige vers sa fac d’histoire.
Ce matin, Donatien devait assister à un TD. Dans sa Fac, les amphithéâtres et les salles les plus vastes se trouvaient tous au rez-de-chaussée, tandis que les salles de taille plus standard étaient réparties à partir du premier étage. Gagnant ce dernier, le jeune homme découvrit le véritable visage de sa faculté. En découvrant le décor qui l’attendait, Donatien pensa immédiatement au bâtiment dans lequel Eddy étudiait, songeant qu’il n’avait absolument rien à lui envier.
Comme le laissait supposer sa façade, la faculté d’histoire ressemblait sur de nombreux points à une vaste cathédrale. Avec sa longue et très haute nef supportée par d’immenses piliers, de croisées d’ogives ornés et quelques immenses vitraux longilignes, difficile de comparer cet édifice avec autre chose. Toutefois, là n’était le plus impressionnant. Donatien réalisa que tout cela ne représentait qu’une enveloppe, attrayante certes, qui dissimulait la vraie richesse de la faculté d’histoire : son aménagement intérieur. Là où une cathédrale était essentiellement composée de vide, cette école profitait de ce vaste volume pour concevoir une école unique en son genre. À première vue, cet endroit ressemblait beaucoup à ce que le jeune homme avait pu observer à la faculté de sciences de l’environnement. Ici aussi se trouvait au-dessus des têtes des étudiants des passerelles, des coursives et des balcons sur lequel travailler ou se poser. Cependant, là où chez Eddy ce volume jouait un rôle de transition entre l’extérieur et l’intérieur, ici il rassemblait. Cette nef était le cœur de la faculté d’histoire, un point de passage obligé pour l’immense majorité des étudiants et du personnel. Très rare étaient ceux ne passant pas quotidiennement par ici, quasi exclusivement des travailleurs de l’ombre ou des étudiants ayant un pied dans le monde professionnel ou de la recherche.
Malgré le désordre apparent, le jeune homme trouva vite ses marques grâce à son fidèle plan. Si cette vaste nef laissait place au vide et aux espaces ouverts, l’équivalent des collatéraux, espaces moins hauts et étendus longeant la nef dans les églises, contenaient l’ensemble des salles de classes et des bureaux. Ajouté à une répartition intelligente des cours dans les différentes salles selon les étages, Donatien trouva vite son chemin. Le « secteur » des premières années s’avérait être tout en bas de cette partie de la fac. Il ne lui suffisait que de traverser la nef pour attendre sa salle, la 104.
Comme hier, le jeune homme avait quitté la coloc assez tôt. Contrairement à hier, il n’avait pas vraiment perdu de temps. Ainsi, il trouva une salle de classe spacieuse, régalant autant les yeux que le reste de la faculté, très lumineuse car également ouverte sur la nef, mais presque vide. Donatien ne pouvait compter que trois personnes présentes, lui compris. Il reconnut alors immédiatement la chevelure caractéristique de sa nouvelle camarade, assise seule au premier rang, côté nef. Il se dirigea vers elle, prenant toutefois le temps d’inspecter cet endroit. Il remarqua un plafond vouté et peint, sans parvenir à comprendre ce qui était représenté. Comme dans l’amphithéâtre, le mobilier semblait neuf, ou au moins très bien entretenu. Mais pas de vitraux en guise de fenêtre, malgré leurs formes caractéristiques du style gothique.
Peu de nouveautés, pas assez en tout cas pour retenir longuement l’attention du jeune homme. Arrivant à hauteur d’Emilie, la jeune femme se retourna vers lui. Elle avait entendu les bruits de pas de son camarade qui resonnait grâce à la consistance des murs en pierre et l’absence de bruit dans la salle. Donatien n’eut pas le temps de s’inquiéter ou de se poser la moindre question, ce qui arrivait systématiquement lorsqu’il devait sociabiliser avec des « presque » inconnus. À peine Emilie avait reconnu son camarade de la veille, qu’elle l’accueillit à sa façon : un « salut » doux, enjoué, mais presque inaudible, accompagné ensuite d’un sourire délicat et tout aussi discret que sa voix.
Ils ne se connaissaient que depuis hier, mais un lien les reliait déjà. Donatien le sentait, mais il ne parvenait pas à mettre des mots dessus. Jamais il n’avait expérimenté un tel paradoxe : il se sentait assez à l’aise pour s’asseoir à côté d’elle en cours le plus naturellement du monde, sans lui demander, comme s’ils se connaissaient depuis des jours, au point de se surprendre lui-même à réaliser la chose ; mais sa fidèle timidité l’empêchait encore de parler à sa nouvelle camarade sans réfléchir à la meilleure question à lui poser, ni à anticiper toutes ses réponses possibles. Heureusement pour lui, Emilie prit rapidement la meilleure décision face à cette situation d’immobilisme entre deux jeunes gens peu à l’aise à lancer la conversation : elle posa une banale mais ouverte question.
- Tu as passé une bonne journée hier ?
Donatien la trouvait toujours un peu rigide, mais elle venait de donner lui une leçon. Ce dernier commençait à se rendre enfin compte qu’il n’avait pas besoin de se creuser la tête à chercher la meilleure réponse pour converser et paraître intéressant. La simplicité de sa camarade dans sa communication, et dans à peu près tout de ce qu’il savait d’elle, commençait déjà à positivement influencer un Donatien souvent bien trop compliqué. Sans attendre, ce dernier lui répondit avec une certaine gaité dans sa voix, puisqu’il se remémorait une journée qu’il chérissait déjà.
- Oui très ! Ce serait long de tout raconter, mais ouais ça a été cool hier. J’ai passé la journée avec mes colocs, on a fait un peu le tour du campus et de notre quartier.
- Ça devait être bien j’imagine.
- De ce qu’on a vu oui, mais il reste encore plein de trucs à voir et à tester.
- C’est sûr… Vous avez vu quoi ?
- On est d’abord allé voir le parc derrière la cathédrale du campus, enfin le siège épiscopale…
- Oui, la nuance est importante.
- Tu vas pas t’y mettre toi aussi ?!
- Hein…. ? Euh… pardon, désolé
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