Chapitre 6 - 2
Donatien se rappelait avec plaisir de son échange avec Aube, si bien que sa réplique sortit tout naturellement de ses lèvres. Il ne se rendit compte de sa maladresse qu’à la vue de sa voisine qui se recroquevillait sous le poids du malaise qu’elle semblait ressentir, pensant avoir contrarié son camarade. Partagé entre s’autoflageller de culpabilité et retenir un fou rire, le jeune homme clarifia rapidement la situation :
- Nan t’inquiète, c’est pas contre toi. C’est juste qu’avec mon amie on avait eu la même discussion hier c’est pour ça.
- Ah d’accord !
Un profond soulagement se devinait dans sa réponse. Il se voyait encore plus dans le relâchement tout entier du corps de la jeune femme, qui laissa échapper un rire discret. Un gloussement contagieux qui donna le sourire au jeune homme, qui éprouvait un plaisir sincère à la voir commencer à se sentir à l’aise. Au moins avec lui.
- Du coup vu que t’as l’air de connaître la différence entre une église et un siège épiscopal, tu peux me la dire s’il te plaît. Histoire que je ne m’attire plus d’ennuis.
- C’est simple, un siège épiscopal désigne simplement où réside un évêque. Donc pour répondre à ta question, cela signifie juste que la cathédrale de l’université est le lieu de résidence de son évêque. Vu qu’à l’origine cette université était un monastère, ce n’est pas surprenant.
Donatien écouta l’explication de sa camarade sans perdre une miette. La réponse à sa question l’intéressait certes, mais entendre pour la première fois Emilie fournir une réponse un peu longue que d’ordinaire le captivait davantage. Le contraste avec la jeune femme anxieuse d’il y a à peine vingt-quatre heures était saisissant. Elle dégageait actuellement bien plus de confiance et le jeune homme se doutait qu’il avait débusqué une de ses passions, l‘histoire. Rien de plus commun dans une faculté d’histoire, mais elle semblait l’être plus que lui, et bien davantage de l’étudiant moyen.
- Ouais j’ai remarqué ça hier. Ça se voit clairement que cette université a une histoire longue et très riche.
- Oh, tu sais dater les bâtiments ?
- Pas de façon précise pour être honnête, mais j’arrive à déterminer l’époque de leur construction et les éventuelles modifications apportées au fil du temps.
- Whoa, c’est génial !
- M…merci
Tout avait changé chez elle, le jeune homme le compris immédiatement tant cela paraissait évident. Entre l’absence d’hésitations, le ton enjoué de sa voix et la lueur dans ses yeux cachés derrière ses grandes lunettes, Donatien se demandait s’il venait de découvrir une Emilie alternative, que lui seul avait réussi à trouver parmi les centaines d’étudiants de la fac. Cette simple pensée suffit à égayer pour de bon son lundi matin.
Les deux étudiants n’avaient pas conversé longtemps, une quinzaine de minutes tout à plus. Assez cependant pour sympathiser et patienter, le temps que la salle se remplisse. Peu après, leur chargée de TD rentra, mettant un terme au bruit de fond des dizaines de conversations entre les étudiants. La professeuse possédait cette rare et recherchée capacitée d’imposer le respect par sa seule présence. Là où certains enseignants travaillaient toute leur vie sur eux même pour parvenir à cette fin, cette femme paraissait appartenir à ceux qui, dès leur naissance, parvenaient sans beaucoup d’effort à fasciner leurs contemporains. Même assis, Donatien la devinait grande, pour ne pas dire à la bonne, taille de cette femme. Assez pour dépasser beaucoup d’homme mais pas de trop non plus, de quoi éviter de trop intimider ses interlocuteurs. De même pour sa carrure, pile entre les clichés de la mannequin filiforme et de la deuxième ligne d’une équipe de rugby féminine professionnelle. Elle dégageait à travers une démarche assurée et élégante une puissance peu commune et une énergie intense. Davantage à travers son regard, provenant de pupilles noisette tirant parfois vers le jaunâtre par temps ensoleillé, comme aujourd’hui. Ces yeux rares contrastaient avec sa peau de bistre. Un simple détail qui exerçait le même pouvoir sur tous, celui de nous faire réaliser que cette femme était un peu différente des autres. Au cas où tout cet arsenal ne suffirait pas, elle arborait une chevelure longue jusqu’à la taille. Parfaitement travaillée et totalement naturelle, cette coiffure léonine achevait d’asseoir un charisme capable de discipliner une classe d’une vingtaine d’étudiant.
Elle arriva derrière son bureau, le plus nonchalamment du monde, et semblait ignorer qu’une vingtaine de paires d’yeux ne parvenaient pas à se détacher d’elle. Une impression qui mourut dès l’instant où elle prit la parole.
- Bonjour… vous êtes bien sage dites donc.
Difficile de déterminer ce qui était le plus impressionnant actuellement : le fait que pas le moindre étudiant n’osait émettre le moindre bruit et que tous craignaient plus que tout de devoir assurer le rôle du premier à lui répondre, ou bien que cette scène se répétait quasiment à l’identique chaque année. La professeuse finissait même par prendre plaisir à jouer de son charme pour intimider les nouveaux arrivant à son premier cours de l’année. Mais la juger comme joueuse et légère serait mal la connaître.
- Ne perdons pas davantage de temps… Je suis Mlle Élodé et comme vous vous en doutez, vous allez d’ici la fin du semestre produire par groupe de deux des travaux traitant d’un sujet de votre choix. Je vous laisse très libre à ce niveau. Là où je serai fasciste, ce sera au niveau de la méthodologie. Je m’attends à ce que vous la suiviez à la lettre. Je vous la présenterais durant nos heures ensembles, au fur et à mesure. Des questions ?
Toujours aucunes paroles provenant des étudiants assis en face d’elle. Mais elle pouvait déceler quelques courageux, comme Donatien et Emilie, qui prenaient l’initiative de dénier de leur tête. Comprenant le message, elle reprit le fil de son cours. Comme les années précédentes, la première séance était consacrée à la présentation du déroulé du semestre, du travail attendu et des étapes à suivre scrupuleusement pour ne pas finir largué et charrette au début du mois de décembre. Autre chose ne changeait pas non plus, la monopolisation absolue de la parole de Mlle Élodé. Jamais un étudiant n’avait osé parler durant tous les cours d’initiations. Ils ne se ressoudaient à le faire que par la contrainte des présentations des avancées de leurs travaux, à partir du deuxième cours du semestre.
Donatien suivait de son côté très attentivement le cours. Outre sa résolution de devenir davantage assidu, le charisme et le discours de sa chargée de TD eurent leur effet sur le jeune homme. Il ressentait certes de la pression, un peu, mais le sentiment qu’il s’agissait d’un défi à relever prédominait. De plus, la perspective d’un travail en binôme l’enchantait, puisqu’il se voyait déjà demander l’aide de sa voisine et visualisait avec un certain plaisir l’accès à sa demande par la jeune femme. Il s’efforçait donc à bien prendre en note le maximum d’informations possible pour faciliter le travail personnel. Un petit tour de force pour lui, puisqu’il avait toujours rencontré des difficultés à se concentrer sur des sujets et des enseignements qui ne l’intéressaient que moyennement, voire pas du tout. Aujourd’hui, il parvenait, non sans efforts, à garder le fil d’un exposé dense et surtout long. À tel point qu’il ne remarquait pas le nombre croissant d’étudiants qui tentaient de donner le change, mais qui au fond d’eux avaient déjà abandonné l’idée de suivre le cours jusqu’au bout.
Le temps du TD défila malgré tout à une vitesse folle. À peine Mlle Élodé avait achevé son cours inaugural et exposé les attendus pour la semaine prochaine que l’heure de la pause du midi pointa le bout de son nez. Une fois la fin du TD officialisé par les mots et surtout le départ de la professeuse, un brouhaha semblable à un immense soulagement emplit la salle. Un bruit de fond sonore inévitable pour la formation des binômes, mais surtout pour permettre à chacun d’évacuer la tension et la fatigue nerveuse accumulée durant ces dernières heures. Cela compliquait un peu la tâche pour un Donatien n’appréciant pas élever sa voix, mais pas de quoi l’empêcher de demander à Emilie.
- On se met ensemble pour le TD du coup ?
- Oui, avec plaisir !
Pour une fois, l’imagination du jeune homme ne le trompa pas. La formation du duo Donatien-Emilie fut acté sans le moindre accroc et ils purent immédiatement discuter de leur organisation. Sortant et comparant leur emploi du temps respectif, ils parvinrent à placer plusieurs rendez-vous.
- Bon, on a les lundi soir et mercredi après-midi pour travailler le TD. On commence dès aujourd’hui dans ce cas. Conclu Donatien.
- Ça marche alors. Acquiesça Emilie.
- Parfait dans ce cas !
Les deux camarades commencèrent ensuite à ranger leurs affaires, dans un silence de plus en plus lourd. Donatien, et Emilie se doutait-il, savaient au fond d’eux que le sujet du midi devait être abordé. Devant la situation qui ressemblait que trop bien à celle de ce matin, le jeune homme décida d’imiter sa camarade et de se lancer sans se poser de question.
- Pour ce midi, tu fais quoi ?
- Oh…hm… je ne sais pas trop à vrai dire.
- T’en fais pas, moi non plus. Mais hier j’ai repéré un coin sympa dans le campus où bouffer, ça te dit de m’accompagner ?
- Hm… oui, je veux bien. C’est où ?
- Pas très loin, il faut juste traverser le cloître de l’entrée principal.
- D’accord, je te suis.
Leurs conversations avaient beau devenir de plus en plus naturelles et banales, le jeune homme ressentait encore les frissons du surpassement de soi et de l’accomplissement. Ces petites victoires pour lui commençaient à réellement le rendre heureux. Finissant rapidement de débarrasser leur siège, les deux étudiants se mirent en route et quittèrent la salle.
Annotations
Versions