Chapitre 7 - 2
Ce petit jeu leur permit également d’oublier un instant la notion du temps qui passait, au point que retour du serveur de tout à l’heure les surpris presque. En attendant l’arrivée de leurs plats, Donatien tenta de faire parler Emilie, à la fois par curiosité mais aussi pour se reposer un peu après avoir tant monopolisé la parole. De ce qu’il avait vu et entendu d’elle jusqu’à présent, il trouva un angle d’attaque :
- Je me demandais, l’internat où tu vis, il est loin d’ici ?
- Euh… Depuis la fac tu mets environ cinq minutes pour y aller, si tu marches vite. Mais depuis là où on est, ça doit faire moins de deux minutes. On ne doit pas être très loin de mon bâtiment.
- Ton bâtiment ? Il y en a plusieurs.
- Je ne suis pas sûre, mais je crois que oui. J’ai aperçu d’autres bâtiments qui eux aussi ressemblaient à des internats. Surtout que quand j’avais regardé les offres pour me loger, j’ai qu’il y avait plusieurs types d’internat où l’on vit en colocation ici.
- D’accord ok. T’as préféré être seul du coup ?
- Oui… je… je me sentais pas de vivre avec des inconnus.
- Je comprends, c’est déjà pas facile de vivre avec ses amis.
Un silence suivit la remarque du jeune homme. Malgré son débit de parole, le sujet semblait un peu déplaire à la jeune femme. Du moins selon Donatien. Il avait remarqué qu’elle avait perdu de son aisance dans sa réponse. Hésitant à poursuivre sur le même sujet, la curiosité du jeune homme le poussa malgré tout à continuer de l’interroger. Sentant qu’il prenait un risque, il éprouvait une pointe de stress, mais rien de quoi le déstabiliser pour le moment.
- T’es la seule de ton entourage à être venu à Broix ?
Elle acquiesça d’un signe de tête, avant de soupirer tout doucement, au point qu’il était impossible de déceler de la lassitude, ni même de la mélancolie.
- Oui. Je ne suis pas la seul à avoir quitté mon patelin, mais la plupart des gens de mon âge vont vers Baiona, la grande ville la plus proche de chez moi. Au pire, ceux qui partent le plus loin s’installent à Burdieau, à environ deux cents kilomètre. Je suis la seule à avoir traversé le pays pour mes études.
La réponse de sa camarade laissa le jeune homme assez admiratif. Il buta sur comment répondre, pour communiquer à Emilie au mieux ce sentiment qu’il éprouvait, avant de se rappeler de quoi faire dans ce genre de situation.
- T’es courageuse n’empêche.
- Tu trouves ?
- Bah oui. En tout cas de mon côté, si je n’étais pas avec mes amis, je ne sais pas si j’aurais sauté le pas pour venir seul ici. Et je n’ai traversé que la moitié du pays…
- Hm… peut-être que dans le fond on est pas si différent.
- Comment ça ?
- Euh… je veux dire que même si je suis seule ici, je sais que je peux toujours compter sur ma famille, même si elle vit loin. Ça doit être pareil avec tes amis non ?
- Hm… je sais pas. Je vois ce que tu veux dire, mais je ne considère pas mes amis comme des membres de ma famille , même si je tiens beaucoup à eux. A part peut être un à la limite, mais c’est plus romantique qu’autre chose.
Donatien se surprit à bien plus parler qu’il ne l’avait prévu. Pour une raison qu’il ne parvenait pas à identifier, il ressentait l’envie de parler d’une de ses problématiques à cette jeune femme : son rapport avec sa famille. Peut-être était-ce à cause du lien semblant incroyablement solide entre Emilie et sa fratrie qui le renvoya à sa situation diamétralement opposée ? Le jeune homme n’eut pas le temps de se poser vraiment la question, puisqu’il continua de se livrer à ce sujet.
- Même avec mes parents. C’est pas la guerre avec eux, très loin de là, mais je sens qu’il y a une distance entre nous. Et je suis fils unique donc ça n’aide pas à avoir de l’ambiance chez moi. Après il m’ont soutenu et ils le feront toujours je pense. Mais j’ai parfois l’impression que c’est plus contractuel qu’autre chose. Que c’est froid et un peu bizarre.
Un silence suivit sa dernière phrase. Donatien aurait aimé poursuivre, mais il ne savait qu’ajouter. L’essentiel avait été dit. Cherchant la réaction de sa camarade, le jeune homme découvrit qu’elle souriait, encore différemment cette fois-ci. Il y décelait…de la douleur ? Le jeune homme ne voyait pas autre chose, mais pourquoi ? il le su immédiatement, car Emilie étonna l’étudiant par sa réponse.
- C’est un peu drôle, je suis un peu ta Némésis. Tu as du mal avec ta famille proche, mais t'as réussi à te trouver une sorte de famille de cœur d’après ce que tu m’as dit. Moi c’est l’inverse, j’adore ma famille et je ne me vois pas vivre sans elle, mais j’ai toujours eu beaucoup de mal à me faire des amis. Du moins depuis que j’ai environ dix ans. A partir de là, c’est devenu de plus en plus difficile et je comprenais de moins en moins comment faire. Je crois que dans le fond j’ai fini par abandonner…
- Non. C’est faux.
Son regard, son visage, son expression, tout indiquait qu’il venait de lui infliger la claque de sa vie. Donatien avait beau admettre que son intervention manquait de finesse et de tact, il ne s’attendait pas à une réaction aussi vive. Perturbé un instant, il reprit la parole pour aller au bout de sa pensée.
- Je pense que si tu avais vraiment abandonné, tu n’aurais pas traversé tout le pays pour débarquer ici, livré presque à toi même. Je doutes pas de tes motivations, mais je crois que dans le fond, tu cherchais aussi un nouveau départ. Dans le fond tu as toujours envie de rencontrer des gens, j’en suis sûr.
Le jeune homme eut du mal à ne pas se décomposer après avoir donné son opinion. Outre le fait qu’il n’était pas du genre à agir ainsi avec autrui, préférant garder le silence et s’occuper de ses affaires même s’il avait des choses à dire, son attitude cavalière du moment le surprit lui-même. Il craignait d’avoir outrepassé les limites de sa camarade et d’avoir fait preuve de beaucoup d’impolitesse. Mais le récit d’Emilie le touchait énormément. Finalement elle avait raison, ils se ressemblaient beaucoup malgré les apparences. Quelque part soulagé d’avoir rencontré quelqu’un qui semblait pouvoir le comprendre, il souhaitait devenir cette personne pour elle aussi. La douleur dans le sourire d’Emilie se dissipa, ravissant grandement Donatien, et elle répondit avec un soupçon de résolution dans son ton :
- Oui, tu as sûrement raison. Même si je ne me faisais pas d’illusion à ce niveau avant de partir, je resterais très heureuse de pouvoir me faire des amis ici.
Alors que les deux camarades s’échangèrent des regards timides, mais complices, ils furent servis. Avant d’entamer leur repas du midi, Emilie interpela Donatien, d’une façon qui dérouta le jeune homme, avant de grandement lui plaire :
- Dodo ?
- Hm, oui ?
- Est-ce que… on pourrait devenir amis ?
- Avec plaisir.
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