Chapitre 8 - 2
Émilie semblait espiègle. Le jeune homme ne l’avait pas nécessairement vu venir, compte tenu de la première impression qu’il reçut d’elle. Mais son petit sourire taquin qu’elle s’efforçait de contenir et son regard empli de malice persuadèrent Donatien de rentrer dans son jeu. Pour rire un peu certes, mais aussi pour revoir cette expression qui curieusement le contentait beaucoup. Le jeune homme prit le temps de réfléchir entre deux coups d’œil à sa camarade, avant de trouver une jolie porte de sortie.
- Vu que tu parlais de ce midi, on va rester dans le thème et on va travailler sur le Grand siècle. Je sais pertinemment que tu approuves mon choix, mais la procédure m’oblige à demander ton consentement. Est-ce que ce sujet te convient ?
- C’est si rare les garçons polis de nos jours. Rien que pour cela je ne peux refuser.
Elle ria doucement, d’une voix qui semblait étouffée. Le jeune homme le pensait, mais en écoutant attentivement, il découvrit qu’il s’agissait certainement de son rire naturelle. Cela avait beau renforcer son côté fouine, Donatien devait reconnaître que ce petit rire la rendait mignonne durant l’espace de quelques secondes. Cet instant fila vite et le jeune homme retrouva une Émilie enjoué, mais de nouveau sérieuse.
- Allez, j’arrête de t’embêter. On cherche la problématique ?
- C’est gentil de ta part. Rien que pour ça j’accepte.
- À la bonne heure.
L’ambiance retomba un peu à la suite de ce dernier échange. Choisir ce que l’on aimait ou non était une chose, déterminer l’angle d’attaque d’une thématique aussi vaste que le siècle de Louis le Grand força les deux amis à cesser un long moment de se disperser pour se concentrer. Durant le processus, le jeune homme se surprit à réellement travailler à fond. Jusqu’à présent, ses travaux de groupe avec ses meilleurs amis se résumaient à environ vingt pourcents de travail sérieux et quatre-vingts pourcents de dissipation. Autant dire que l’efficacité ne se trouvait pas au rendez-vous, à l’inverse des résultats scolaires qui, paradoxalement, sur-récompensaient le peu d’efforts fournis. Avec Émilie, rien de tout cela. Non pas qu’elle était plus chiante qu’un Eddy, Ben ou Aube, elle venait d’ailleurs de le prouver, mais elle savait bien mieux distinguer les moments de détentes des moments de travail. Au point d’impressionner secrètement un garçon comme Donatien, peu habitué à une telle discipline dans les études. Dans la vie en général également, le jeune homme demeurait le plus dissipé de son groupe d’amis, malgré les apparences. Jusque-là, il compensait par sa capacité à comprendre et raisonner très rapidement, lui permettant d’abattre des montagnes de tâches en des temps records. Mais difficile d’aimer travailler quand cette activité se résume à se forcer et à sacrifier des soirées entières pour des travaux obligatoires. Jusqu’à aujourd’hui. Il travaillait bel et bien avec sa camarade, mais il éprouvait un certain plaisir, différent de celui qu’il avait toujours connu : celui de s’associer avec des gens que l’on apprécie pour accomplir une mission. Une synergie se mettait en place entre les deux partenaires, où chacun comprenait l’autre et parvenait à répondre de la meilleure des façons pour avancer au mieux et trouver des solutions. Tout était si fluide, voire facile, que le jeune homme ne se sentait pas fournir le moindre effort. Comme si cette séance de recherche n’était qu’une autre discussion banale avec son amie, entre la météo du jour et le repas du midi.
Les deux amis ne réalisèrent pas tout le temps écoulé, puisque presque une heure passa. Ce qui en soit représentait une performance, puisqu’après cette durée, les deux amis arrivèrent à un point d’accord.
- « Les ressorts de l’affirmation de l’Etat durant le XVIIème siècle, ou comment Louis Dieudonné est devenu Louis le Grand ? ». Faudrait peaufiner tout ça, mais ça me parait bien, non ? Demanda Émilie à son partenaire.
- Ça me va, je pense qu’on a une base pour avancer.
- Oui. D’ailleurs ça te dit d’approfondir ça mercredi ? j’ai hâte de commencer je t’avoue…
- Hm… en vrai moi aussi. On fait comme ça.
- Super !
Le jeune homme se sentait étrangement bien. Un peu comme à la fin d’une course de fond lors de ses cours d’EPS. Ce sentiment demeurait encore trop rare chez lui pour qu’il l’identifie clairement, mais il était certain qu’il allait y devenir accroc.
Ce petit succès marquait surtout la fin officielle de sa journée de travail. Là où d’ordinaire le jeune homme ne tardait jamais à vite rentrer chez lui pour se retrouver, loin des obligations du monde, aujourd’hui quitter la fac signifiait se séparer d’Émilie. Idée plutôt triste compte tenu des bons moments déjà passé avec elle ce jour-là. Il prit alors le temps de rester là où il se trouvait, discutant avec une Émilie semblant partager le souhait de son ami : demeurer un plus longtemps ensemble. Ce qui pouvait aisément se comprendre pour elle car, contrairement à son camarade, personne ne l’attendait ce soir, ni les suivants. À ce propos, les obligations de la colocation finirent par obliger le jeune homme à ne pas trop tarder non plus. Une dizaine de minutes après la confirmation de la problématique, Donatien se leva, annonçant tacitement la fin de la conversation. La jeune femme le suivit jusqu’à la sortie du bâtiment de la fac, et même plus loin, jusqu’au grand cloître face à l’entrée principale. Les deux amis se séparent là.
- Je vais par là. Du coup à demain.
- Oui, à demain Dodo.
Les deux amis s’accordèrent tacitement pour s’échanger deux bises avant de se quitter. Mais ils avaient beau savoir que l’une venait du sud du pays et que l’autre du nord, ils commencèrent à le comprendre à ce moment. Évitant de justesse une situation très embarrassante, pour ne pas dire délicate, les deux amis finirent leur journée commune sur un premier choc culturel.
- Il faut présenter la joue gauche en premier pour une bise tu sais jeune homme ?
- Bah j’ai toujours commencé avec la droite et j’ai jamais eu de problèmes…
- Bah vous vous trompez tous dans ce cas.
- Pourquoi t’es la seule personne que je connaisse qui commence par la gauche dans ce cas ?
- Parce que je suis la première personne civilisée que tu rencontres peut-être ?
- Ou peut-être que tu viens tout juste d’inventer cette règle pour m’embêter ?
Les deux amis étaient bien partis pour passer le début de soirée à s’écharper dans la bonne humeur, mais un message provenant du groupe de la coloc rappela le jeune homme à la réalité.
- Bon, j’ai pas le temps de t’apprendre la vie maintenant. On règlera ça une prochaine fois.
- Oui, à demain, monsieur aux étranges manières.
- Gneuh gneuh gneuh…
Sur ce, les deux amis empruntèrent deux chemins différents pour la première fois de la journée. Avant de se perdre de vue pour de bon, Emilie interpela une dernière fois son ami.
- Dodo !
- Ouais ?
- Merci pour cette journée.
Un peu surpris par cette gratitude qu’il n’estimait pas méritée, le jeune homme comprit rapidement le pourquoi de l’attitude de son amie. Lui non plus n’avait pas passé un aussi beau lundi, le tout en bonne compagnie.
- Je t’en prie, jeune femme aux étranges manières.
Les deux amis s’échangèrent un dernier sourire avant de se retourner vers leurs objectifs : leur nouveau foyer. Le chemin du retour, agrémenté d’une lumière du soir encore estivale, un peu chaude et d’un jaune or enchanteur qui sublimant tout ce qu’il éclairait, contribua à égayer un jour déjà plus que parfait pour le jeune homme. Jamais, pas même dans son imagination plus que fertile, il n’aurait imaginé un tel déroulé pour ce premier jour de sa vie universitaire, tant dans le scénario que dans le côté positif. Une agréable surprise qui ne le déplaisait pas, bien au contraire.
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