Chapitre 10 - 2
Donatien parla un peu pour essayer de calmer sa voisine. La pauvre avait beau réussi à se contenir, elle ne parvenait pas à s’empêcher de pouffer de rire à chaque fois qu’elle s’imaginait un mini Donatien imiter le comportement d’un chien. Difficile de lui en vouloir toutefois, le jeune homme le savait mieux que quiconque.
- Nan mais… ça m’a pris par surprise. Mais en soi, si on exclut la partie combat, c’est pas si bizarre pour un enfant d’imiter les animaux.
- Maintenant que tu le dis…
Le jeune homme marqua une pause, lançant un regard teinté de suspicion et de malice, avant de poser sa question.
- Ça veut dire que tu imitais les animaux toi aussi non ? Dis-moi tout !
- Pas trop le choix quand tu as un grand-père fils de berger qui s’occupe de toi les week-ends.
- Oh stylé ! Tu parles aux moutons du coup ?
- Plus ou moins oui.
- Tu leur dis quoi ? bêeeee… ?
- T’es bête…
- Bêeeeeeete !
Donatien laissa échapper un rire un peu gras immédiatement après sa piètre imitation, malgré tout le cœur qu’il y avait mis. Son amie Émilie ne tarda pas à le suivre. Elle se remettait à peine de son fou rire d’il y avait quelques minutes après tout. Cette fois-ci, elle reprit plus rapidement son calme et expliqua son secret à son ami.
- C’est principalement par sifflement qu’on essaie de parler aux animaux. Mon grand-père fait ça avec les chiens, le bétail et même avec certains oiseaux.
- Mais c’est trop bien ! tu sais faire ça.
- Pas aussi bien que lui. Je manque un peu d’entrainement et ça fait un moment que je n’ai pas pratiqué.
- Hm… tu sais quoi, ce midi on va dans le parc du campus et tu me montres. Partante ?
- Oh…
La demande du jeune homme semblait clairement la prendre de court. Émilie devint un peu contrite avant de se tortiller, puis de regarder derrière elle vers le reste de l’amphi qui se remplissait au fil des minutes. Elle se rapprocha ensuite de Donatien, prenant un ton de confidence pour lui répondre.
- D’accord… mais rien que nous deux.
- Ça marche.
Les deux amis s’échangèrent de légers sourires complices pour conclure définitivement leur accord. Comme un symbole, le professeur d’histoire médiéval débarqua à ce moment, plongeant le duo dans le silence.
Le calme dans l’amphi revenait progressivement à mesure que le professeur s’installait. Débarrassé de la charge de parler, l’esprit de Donatien se mis à vagabonder, comme souvent lorsqu’il ne se passait pas grand-chose. Dans un premier temps, son questionnement du matin lui revint à l’esprit. Après la discussion de tout à l’heure, le jeune homme voyait mal son amie réellement s’ennuyer, malgré sa solitude. Donatien vit différemment sa camarade, encore une fois. Il se demandait s’il allait découvrir une nouvelle facette d’Émilie tous les jours, si à la fin de la semaine il connaitrait sept versions différentes de son amie. Une chose demeurait certaine pour lui dans tous les cas : il était persuadé d’être tombé sur une fille pas ordinaire, de très bonne compagnie et d’une profondeur insoupçonnée. Un peu égoïstement, il se décidait intérieurement de partir à la quête de tous ses « secrets ».
Le cours magistral débuta ensuite. Un peu comme hier, la présentation n’était pas assez dense et complexe pour capter l’attention des étudiants. Au bout d’une heure, le jeune homme s’abandonna de nouveau à ses songes, le regard un peu perdu vers sa voisine concentrée sur les mots du professeur. L’histoire de son aïeul berger nourrit grandement l’imagination du jeune homme, qui se mit à se représenter son amie en bergère. Il se surprit à rapidement dépeindre une image claire de ce que cela pouvait donner : un paysage dépaysant de vallons parsemés de bocages d’un vert vif et assaisonné de quelques couleurs chaudes, tel de l’orange ou du jaune, issus de divers feuillages en arrière-plan ; au second plan un troupeau de montons bien gras et au poil long, gardés avec zèle par un chien dont Donatien ne saurait nommer la race, ce n’était pas un amateur de canidés ; et enfin au premier plan une Émilie en tenue de laine, assise sur un rocher et se stabilisant avec un bâton de berger, le visage légèrement dissimulé sous un large chapeau de paille. Un vent frais ballotait ses cheveux rebelles et donnait vie à ce cadre en pliant sous sa force chaque herbes, feuilles et branches visibles. En observant avec davantage d’attention la jeune femme, Donatien se dit que pour une bergère, d’imposantes lunettes étaient sûrement de trop. La vision hypothétique d’une Émilie sans ses verres le troubla bien plus qu’il ne l’imaginait. D’une part car son amie aurait parfaitement eu sa place dans un conte de fée, de ceux où les princes s’amourachent d’humbles bergères, mais surtout parce que sans lunettes, elle lui paraissait être quelqu’un d’autre. Encore une fois. Il se rassurait en reportant la responsabilité de son trouble sur l’habitude de la voir porter ses verres carrés, mais il ne pouvait oublier que seuls deux petits jours s’étaient écoulés. Dans le fond, Donatien commençait à comprendre qu’Émilie avait su le toucher. Pourquoi, comment ? Il ne parvenait pas à trouver de réponses plausibles à ses nouvelles questions pour le moment.
Un brouhaha soudain le tira de ses rêveries, le cours venait de s’achever. Encore troublé, il tira parti du rangement de ses affaires pour revenir sur terre et profiter du reste de la journée. Une balade l’attendait avec son amie et il fallait discuter de comment se sustenter rapidement. Réfléchissant à la question, il se souvint d’un détail qu’il avait remarqué hier midi qui permit de débloquer la situation.
- Au Marché, je me souviens d’un stand qui vendait des sandwichs, mais pas que. Ça allait du panini au bokit, on devrait aller voir ça avant d’aller au parc.
- Bokit ? C’est quoi, ça se mange ?
Donatien jeta à Émilie un regard pour vérifier si effectivement elle plaisantait. C’était le cas. À moitié au moins. Le jeune homme prit tout de même la peine de lui répondre pour clore proprement cet échange.
- Tu verras, c’est incroyable. Mais j’espère que tes toilettes sont solides.
- Euh…
- Roh j’t’embête.
Le jeune homme ne put s’empêcher de taquiner sa camarade, sentant qu’elle avait ouvert les hostilités. Sur un rire complice, les deux amis quittèrent l’amphithéâtre, puis la faculté, empruntant le même trajet qu’hier. La météo, moins généreuse que la dernière fois, demeurait plus que clémente pour l’un des derniers jours de l’été. Suffisamment pour se promener en pleine nature, ce qui motivait le jeune homme et contribuait à maintenir son humeur au beau fixe.
Arrivé au Marché, Donatien retrouva vite le fameux stand. Malheureusement, un concept aussi pratique devait être victime de sa popularité. Les deux amis durent se résigner à patienter plusieurs minutes, salivant sur les photos des menus et résistant aux multiples délicieuses odeurs provenant des stands et restaurants limitrophes. Finalement, le duo arriva à la caisse et purent choisir à leur guise. Par chance, ils furent arrivés assez tôt pour éviter des pénuries, ce qui arrivait souvent pour certains sandwichs très populaire. Le bokit à la daurade, le préféré de Donatien, appartenait à cette liste et il en commanda deux avec un plaisir non dissimulé. Ce qu’Émilie remarqua. Une fois servis, les deux amis se mirent en route vers le grand étang, derrière le campus. En chemin, juste avant la première bouchée, la jeune femme se lâcha un peu.
- Je te trouve bien enthousiaste pour quelqu’un qui va détruire ses toilettes ce soir.
- Après tout déféquer peut-être un immense plaisir. Pourquoi crois-tu que la scatophilie soit si répandue ?
- C’est bon t’as gagné.
- Allez, bon appétit quand même.
- On dit bonne dégustation.
Donatien lança un regard se voulant exaspéré à son amie, ce qui n’eut pour effet que de la faire rigoler. La réaction du jeune homme n’était de toute façon qu’un prétexte pour la jeune femme de relâcher le rire qui cherchait à sortir au moment où elle avait contre-attaqué. La balle de nouveau au centre du terrain après cette égalisation, les deux amis entamèrent enfin leur déjeuner.
- Aïe ! ça pique !
- Oh, ça va c’est pas grand-chose.
- Mais je suis sensible moi…
- Le pire c’est que je te crois…
- Espèce de voleur.
Malgré ce petit incident, le palais d’Émilie s’accommoda rapidement de ces saveurs inconnues pour elle. Le duo poursuivit sa route, trouvant leur rythme de croisière à travers les centaines d’étudiants qui, comme eux, profitaient de leur pause et de cette belle journée.
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