Chapitre 2 - 2/2

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Nolan trébucha en arrière. Sa chute se solda par un atterrissage express, le séant grandement amorti par le fauteuil de Grand-Père. Une chance dont les monticules n’eurent pas la moindre miette : l’éboulement coordonné de chacun d’entre eux projeta des nuées de feuilles. Le passage s’en retrouva entièrement enseveli et Nolan, sur son perchoir, pris au piège. Les yeux écarquillés et les bras au-dessus de la tête, il se recroquevilla, la sensation que la maison allait suivre la cadence infernale.

Ce fut en toute logique que les murs tinrent bon.

Nolan n’attendit pas que la dernière feuille touche le sol pour se redresser sur ses jambes en coton. Ce geste se conclut par la douleur d’avoir mis le pied sur une sorte d’épine entraînée là par le déluge. Le jeune homme bondit dans le fourbi. Une demi-douzaine de cassettes furent écrasées par sa ruade, trois livres pliés et une statuette sans origine perdit la vie, mais il le fallait bien ; dehors, l’homme au chapeau était toujours là. Nolan devait s’échapper du bourbier à la hâte s’il voulait l’interpeller.

Il glissa dans le couloir et s’appuya contre le mur le temps d’inspecter sa plante tel un maréchal-ferrant étudie le sabot d’un cheval. Puis, il bloqua entre ses mâchoires un épais pan de son pull. Il ôta la punaise qui était logée dans sa plante avant de la jeter quelque part sur son bureau. Dans cette pièce, la créature de Grand-Père n’avait toujours pas cessé ses jérémiades. Nolan libéra le pull. La brûlure sous son pied fut vive lors de l’opération seulement. Le sang superflu qui imbibait sa chaussette s’était déjà arrêté sous la forme d’une petite auréole rougeâtre.

Nolan remonta le corridor jusqu’à l’entrée. Il y pêcha sans un coup d'œil son manteau sur le portant, enfila ses bottes de pluie et grimaça quand la semelle frotta sa piqûre. Il ouvrit la porte dans une gesticulade et sortit sur le palier, là où le vent de l’hiver l’accueillit comme il se devait. Le froid lui fit presser les paupières tout en lui mordillant la peau des joues et du nez. Nolan se frotta les yeux, le col de sa veste remonté jusqu’à ses oreilles rougissantes. Il scruta le jardin d’herbes jaunies de gauche à droite. Sur le ponton, trois mouettes se faisaient la conversation dans leur langue piaillarde.

L’homme était parti.

Nolan s’avança. Son incrédulité gardait son regard grand ouvert, attentif au moindre détail d’un environnement qu’il connaissait par cœur. Les branches nues des arbrisseaux se balançaient dans la brise océanique. Les brins secs des vivaces ondulaient comme des vagues terrestres. Tout cela ne suffisait pas à persuader Nolan qu’il n’y avait plus rien. La tranquillité qui régnait sur la parcelle n’était pas naturelle, il en était convaincu.

Ce fut alors que les mouettes crièrent contre quelque chose qu’il ne voyait pas du haut de la pente. Les pierres grises à la jonction de l’eau dissimulaient tout. Seule une main se brandit derrière les roches. Les volatiles s’égosillèrent un instant avant de quitter, agaçés, les planches du ponton.

Nolan laissa ses pas le guider dans la descente. Il courait presque lorsqu’il atteignit les roches dans un dérapage. Le bois de l’appontement, du même âge que lui, avait souffert des vagues glaciales de cette année. La moitié branlait alors que l’autre glissait à vue d'œil. Nolan s’engagea sur l’édifice bâti par Grand-Père dans un frisson non pas de peur de la bascule, mais plutôt à l’idée de trouver de quoi affoler la presse locale, voire nationale.

Le ponton se tenait sur la roche submergée à une très faible profondeur. Les graviers s’enfonçaient doucement dans l’onde de part et d'autre de la construction. Ce fut par ici que Nolan et sa famille abordaient l’eau tranquille de l’océan en maillot de bain quand l’air était à la baignade. C’était dans cette petite descente caillouteuse qu’une personne gisait.

Nolan devint blanc comme un linge. Il regardait avec des yeux dépourvus de raison le corps nu à moitié immergé, du bassin jusqu’aux orteils, la tête appuyée contre la paroi brute du rocher. Le jeune homme s’effondra sur lui-même tant la vision avait fait naître en lui les plus sombres façons de traîner un humain ici.

Son esprit lui murmurait de prendre son téléphone. Là, dans sa poche. Oui, voilà ce qu’il fallait faire. Appeler les secours. Tout simplement. Mais Nolan ne parvenait pas à détacher le regard du pâle visage de ce qui devait être un adolescent. Ses mains ne voulaient plus lâcher le bois écharpé de la planche qui le soutenait, quitte à laisser les échardes lui taillader les paumes en espérant que cela le ramène à la réalité.

Le corps abandonné réagit à sa place. Deux iris brunes se posèrent lentement sur Nolan. Elles ne transmettaient aucune peur, aucune douleur, aucune question. Une seule, en vérité : elles le détaillaient comme pour lui demander de se présenter.

Nolan chancela sur ses bras. Celui de l’inconnu se leva vers lui pour anticiper la chute, mais le jeune homme agrippa le rebord de justesse.

— Donne-moi ta main, allez ! s’exclama Nolan dans un semblant de jugeote.

L’adolescent prit le temps de pivoter sur ses jambes englouties. Il se servit d’abord du rocher comme saisie, puis estima que son secouriste demeurait une prise plus confortable. Nolan le hissa sur le ponton comme un sac de vivres une fois le poignet du garçon attrapé. À la grande surprise de l'adulte, le garçon tenait sur ses pieds d'une stabilité insoupçonnée.

— Seigneur ! Mais tu es gelé !

L’autre ne répondit pas. Il gardait les yeux rivés sur le visage de son sauveur toujours dans la possible attente d’un nom à entendre. Peut-être le croyait-il descendu du ciel. Il abaissa seulement le regard quand Nolan lui enveloppa le corps dans son manteau. Le vêtement lui arrivait aux genoux et ses épaules nageaient dans le surplus de tailles.

— Comment tu t’appelles ? interrogea Nolan en frottant les manches sous lesquelles séchaient les bras frêles de l’inconnu.

Les explications ne venaient pas. L’adolescent s’était remis à fixer le propriétaire des lieux d’une curiosité silencieuse.

— J’appelle les pompiers.

Nolan composait déjà le numéro d’urgence lorsqu’il avait affirmé cela. Le délai des services de secours ne prit qu’une dizaine de secondes.

— Allô ? Je vous appelle depuis Portnahaven, l’impasse au bout de Queen Street. Vous m’entendez ? J’ai un ado en état de choc, je crois. Il était dans l’eau et… madame, vous m’entendez ? Dans l’eau gelée… madame ? Allô ?

Tandis que Nolan se répétait à une ligne qui ne passait plus, l’inconnu avait détourné son attention sur le jardin endormi par l’hiver. La proximité de l’Atlantique ne permettait pas à la vie de s’y développer à foison. Cette année, la neige avait cessé le mois précédent, mais la glace se formait là où la force des vagues était moindre. Sans sa veste, Nolan se frigorifiait de minute en minute. De son côté, l’adolescent quitta le ponton sans manifester le plus petit des frissons. Tout autour, Zéphyr s'était réveillé. Une tempête imprévue approchait.

Les gouttelettes froides de l’eau avaient beau rester accrochées à sa peau, la tranquillité du nouvel arrivant dominait la rudesse habituelle du vent couplée à celle du zéro celsius.

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