Chapitre 4

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La nuit permit à Nolan de confirmer une crainte qui, jusqu’à présent, n’était que purement théorique : Grésil n’éprouvait pas le besoin de dormir. Pas cette nuit, en tout cas.

— Je te prête mon lit, lui avait certifié Nolan, des couvertures propres dans les bras. Je resterai dans le salon. Et tu as intérêt à garder ces vêtements sur le dos !

Grésil avait tenu moins d’une dizaine de minutes avant de descendre, en silence, pour aller se percher sur le fauteuil de Grand-Père. Il avait accrédité Nolan d’un regard fixe tel un enfant attentif à ce que ferait un aîné intéressant. Le jeune homme, en pleine réorganisation stratégique du désordre, s’était fâché sommairement avant de le reconduire à l’étage. Là encore, Grésil attendit un petit temps puis revint se lover dans l’assise de cuir sans un bruit. Néanmoins, la deuxième requête fut exaucée : l’adolescentl gardait le jogging et le tee-shirt qui lui descendait jusqu’aux genoux sans se faire prier.

— D’accord, j’irai moi-même dormir en haut, puisque tu veux rester là.

Une décision qui ne convenait pas à Nolan, mais qu’il se devait d’essayer. À peine eut-il remonté les draps sur sa poitrine que l’on toqua à la porte. Grésil attendait devant le pas, comme soucieux qu’on le sépare ainsi de lui.

— Hors de question que tu dormes avec moi ! s’était écrié le maître des lieux.

Le manège avait perduré tard dans la nuit. Nolan s’était demandé si la tempête n’effrayait tout simplement pas le garçon au point de le coller à toute présence qu’il jugeait réconfortante. Cette pensée réchauffa le cœur de l’hôte qui ravisa son impatience. Apaisé, Nolan eut une idée bête mais peut-être efficace.

— Tu veux que je mette la télé ?

Pas de réponse. Deux yeux investigateurs le regardaient à la place et décortiquaient ses moindres gestes : d’abord lancer une chaîne, qui se révéla inutile car l’orage au dehors sabotait la diffusion. Ensuite, la recherche parmi les cassettes de Grand-Père l’un de ces dessins-animés d’enfance – que Nolan eut du mal à dénicher dans la pléthore d’enregistrements loufoques. Il fallait également se souvenir du mode de fonctionnement du dinosaure qui avala la cassette. En fin de compte, le lecteur lança Pinocchio de Walt Disney.

— Désolé, il n’y en a pas des trop récents…

C’était égal pour Grésil. L’écran le captivait déjà plus que ce que pouvait dire ou faire Nolan qui en profita pour s’éclipser. Le jeune homme retourna dans son lit où il scruta le temps avant de se faire à nouveau enquiquiner. Les secondes, remplacées par des moutons, sautaient les barrières à n’en plus finir. Grésil ne venait définitivement plus le solliciter.

La clôture s’éloignait à chaque tour. Dans l’esprit de Nolan ne subsistaient que de petites boules blanches en mouvement, doucement balayées pour rejoindre une écume claire au-dessus de l’eau noire. Nolan s’abaissa pour caresser l’onde quand un déchirement le poussa en arrière. Un faisceau aveuglant sondait la surface soudain agitée de l’océan. C’était une lumière qui ne venait de rien. Elle tombait du ciel comme une manifestation divine frappe là où une prophétie devait s’accomplir. Tétanisé, Nolan regardait le feu s’approcher de lui plus près, plus près encore… mais il se réveilla avant que le pire ne se produise.

La lumière, mon garçon ! résonna la voix de Grand-Père.

Durant la nuit, le loquet des volets avait cédé face au vent et une lumière blafarde inondait la pièce. Pantelant, couvert de sueur, le jeune homme étudia laborieusement l’heure affichée sur son téléphone. La matinée demeurait déjà bien entamée. Que restait-il à faire pour le boulot, au juste ? L’analyse mentionnée dans ce mail snob, ou bien celle de…

— Grésil !

Une cascade de souvenirs frais venait de défiler dans sa tête. Nolan descendit quatre à quatre l’escalier sans se préoccuper de ses muscles encore engourdis. Arrivé dans le salon, ses pieds manquèrent de se prendre dans le revers du tapis et il dût s’arrêter longtemps avant de comprendre, médusé, ce qu’il s’était passé. Une chose était certaine, le salon ne ressemblait plus à celui qu’il avait laissé en allant se coucher. Deux éléments n’avaient pourtant pas bougé, il en était certain : le poste de télévision et Grésil, obnubilé par une nouvelle cassette dont Nolan inspecta la jaquette. “Le mystère de Roswell : un ballon-sonde aux matériaux…”. Le titre était si long qu’il débordait de l’encart.

— Pourquoi tu as touché aux affaires ? s’indigna Nolan.

Son regard investiguait en vain la pièce dans l’espoir de retrouver tous ces fragments éparpillés plus tôt, mais le capharnaüm avait été rangé de fond en comble. L’endroit était devenu méconnaissable. Il confronta durement Grésil qui se détourna un instant de son émission. Le garçon regarda autour de lui, la mine curieuse. Il se leva, alla jusqu’à un meuble où les cassettes avait été empilées sans qu’aucune ne dépasse et désigna une pile en particulier. S’emparant d’une nouvelle émission qu’il échangea contre celle en cours, Nolan déduisit que Grésil avait alimenté le magnétoscope toute la nuit tout en effectuant son brin de ménage.

— Comment je vais m’y retrouver, maintenant ? se lamenta le jeune homme au bord des larmes. Il y avait une statuette que j’avais offerte à mon grand-père là-dedans !

Nolan glissa un coup d'œil fortuit sur une commode et fronça les sourcils. Sur le plateau, il vit l’objet mentionné serré parmi d’autres. Pourtant, la sculpture d’origine malienne s’en détachait étrangement, comme si la vision du jeune homme se focalisait sur celui-ci en particulier. De plus, pas le moindre grain de poussière n’en ternissait le bois poli.

Nolan isola de son inventaire mental un panel de gris-gris dont il éprouvait des sentiments similaires. Il trouva chacun d’entre eux dans la pièce sans que Grésil, assis devant un reportage sur les expériences en télécommunication de l’URSS, ne lui indique une seule localisation. Dans son esprit s’était installée une carte désormais claire du salon. La force qui avait réorganisé la pièce s’était assurée d’inséminer dans la tête du jeune homme les emplacements d’absolument tout. Nolan dégota même du premier coup une VHS obscure dont il n’avait jamais eu le courage de confronter Grand-Père sur l’existence de la chose.

— Je crois que…

Il s’arrêta quand Grésil ficha son regard dans le sien. Nolan remarqua que dans ses iris vivaient des émotions très subtiles. Peu expressives, à condition que l’on n’y prête aucune attention. Dès lors, tout l’inverse s’en dégageait.

— Je pense qu’il faut aller à l'hôpital.

Le protocole de départ pour Bowmore fut exécuté sans accroc. Grésil avait enfilé une veste et des bottes trop grandes pour lui tandis que Nolan coupait la télévision et préparait ses papiers d’identité. Il s’assura que le garçon était à ses côtés avant d’ouvrir la porte d’entrée. Il n’était plus l’heure de lui courir après.

Le contraste météorologique le saisit dès qu’il poussa le battant. La douceur de ce matin lui fit ouvrir grand les yeux vers un horizon porté par un calme appréciable. L’air marin lui remplit agréablement les poumons. Nolan profita du moment jusqu’à ce qu’il perçoive le regard de Grésil du coin de l'œil. Le garçon sondait son visage dans l’attente possible d’une consigne. Nolan réalisa qu’il campait sur le perron sans que rien ne se passe.

— C’est le pick-up là-bas, se ressaisit-il.

Ils gagnèrent le véhicule en pataugeant dans l’allée boueuse. Nolan installa Grésil sur le siège passager avant de prendre place derrière le volant.

— On y va ?

Cette fois, l’adolescent prêtait attention au contrebas du terrain. Le jeune homme balaya inconsciemment de ses yeux les herbes jusqu’au ponton. Ses mains se crispèrent. L’homme au chapeau se tenait sur le vieux bois.

Nolan mit un coup de clé dans la précipitation. La batterie ne délivra qu’une faible étincelle au moteur qui ne démarra pas. Il réitéra. La main serrée sur le contact, il entendit l’engin lutter encore vainement. Ses yeux se perdirent au-delà de la fenêtre passager. Il lui sembla que l’homme s’était approché sans se retourner. Aucun visage ne les regardait, lui et son invité. À la troisième tentative ratée, Grésil sortit de l’habitacle et dévala la pente pieds-nus, ses grandes bottes laissées sous le siège.

— Non, reviens !

Nolan se rua hors du véhicule. Il en fit le tour comme un animal apeuré. En bas, Grésil avait atteint le ponton. Le jeune homme glissa jusqu’à l’océan, les yeux rivés sur ses chaussures qui s’empêtraient dans les herbes mouillées. Il sauta sur les graviers le ventre noué par la peur. Grésil, seul sur les planches abîmées, se tourna vers lui. Son expression curieuse détendit de peu un Nolan terriblement aux aguets.

Où est passé l’intrus ?

— Qui est-ce ? Tu le connais ?

Chaque battement de son cœur lui faisait tourner la tête dans toutes les directions. L’inconnu s’était échappé dans un clin d'œil comme il avait l’habitude de le faire. Un poids soudain contre sa poitrine détourna son attention : Grésil avait collé sa tête juste sous son cou, là où pulsait les puissantes ondes. Personne ne parlait à ce moment, mais il semblait à Nolan entendre quelques mots rassurants. Peut-être surgissaient-ils des tréfonds de son esprit, peut-être étaient-ils portés par la brise ou le mouvement tranquille des flots de l’Atlantique. Peut-être était-ce la voix de Grésil, bien qu’il ne fit rien pour s’en assurer.

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