Chapitre 5 - 2/2

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Nolan avait basculé du fauteuil tant son réveil fut épouvantable. Recroquevillé tel un enfant que l’on aurait durement réprimandé, il dégoulinait de sueur et rien ne pouvait faire cesser ses tremblements incontrôlés. Il chercha avec frénésie le moindre élément susceptible d’apaiser les spasmes qui le secouaient. La main de Grésil apparut dans son champ de vision : le garçon s’était agenouillé à côté de lui.

— C’est rien. J’ai… c’est juste un cauchemar.

Devant les grands yeux soudains de l’adolescent, Nolan balbutia que ce n’était la faute de personne. Il était épuisé des derniers jours et son cerveau le lui faisait comprendre. Grésil resta tant que le jeune homme ne s’était pas au moins assis. Il se leva ensuite, atteignit la porte, le regard toujours rivé sur Nolan.

— Je vais bien ! protesta ce dernier. Qu’est-ce qu’il y a ?

Grésil avait effectué un mouvement de tête vers la cuisine. Viens, interpréta Nolan quand le garçon réitéra. Après cela, il disparut dans l’obscurité du couloir. Nolan se redressa sur son séant. La sombreur de la pièce n’était tranchée que par l’ampoule allumée d’une petite lampe sur la commode. Dehors, il faisait nuit noire. Le tic tac de l’horloge centenaire attira les oreilles puis les yeux du jeune homme. Vingt heures et quart. Grésil réapparut dans l’encadrement.

— Bon sang, Yann est là ?

Nouveau geste de la tête mutique. Grésil fit demi-tour.

— J’arrive ! bondit Nolan.

Le grondement de la machine à café résonna jusque dans le salon. Le tintouin de la chimère de Grand-Père paraissait bien faiblard à côté. Nolan lissa son sweat-shirt. Il arpenta le couloir au petit trot, passa la porte, s’aperçut qu’ici aussi seule une petite lumière baignait la pièce et, lorsqu’il tendit le bras vers l’interrupteur, vit l’homme au chapeau.

Nolan glissa contre la table. Incapable de détacher ses yeux du dos de l’intrus, il sentait à peine Grésil le hisser doucement jusqu’à une chaise. L’image dans la pénombre était celle du pont, la même silhouette, comme placardée contre le mur. Un personnage sans relief, immobile, dépourvu de souffle et peut-être de chaleur tant Nolan trouva que la pièce s’était refroidie. Sur le plancher se tenait un fantôme dont il ne pouvait se défaire de l’influence.

Le fumet du café écarta l’attention de Nolan juste assez pour qu’il perçoive Grésil apporter une tasse pleine à l’homme et une autre pour le maître des lieux. Celui-ci avisa la sienne, l’homme-de-dos resta inanimé contre le mur de crépis. Grésil alla déposer près du café de l’apparition quelques feuilles – celles qu’il noircissait plus tôt, Nolan les reconnut.

— Il est vain de se poser trop de questions.

C’était une voix plate. Pas trop basse, pas trop haute. Nolan l’entendait comme si elle l’encerclait de tous les côtés sans pour autant lui broyer les tympans. En bref, il ne pouvait ni l’ignorer ni l’éviter. Il pensa à se boucher les oreilles mais le bourdonnement de la phrase dans son cerveau lui intima que ce serait inutile : l’homme-de-dos trouverait assurément comment intégrer ses phrases dans sa tête. Nolan se sentait piégé comme un rat de laboratoire.

Il revint à lui l’espace d’un instant, lorsque Grésil poussa instamment la tasse entre ses mains, posées à plat devant lui. Le regard du garçon avait changé : il y suintait un tracas dont Nolan ne put identifier l’origine. Était-ce la présence de l’homme ? Était-ce l’état de Nolan face à ce dernier ? Était-ce l’issue que pouvait prendre la situation ? Voilà bien une question à l´issue difficilement imaginable.

— Merci…

Tout ce qui s’échappa de ses lèvres ne se résumait pas à grand-chose. Il gardait les yeux rivés sur ceux de Grésil. L’adolescent était le seul dont il sentait le soutien à ce moment. Grésil se détourna quand l’homme reprit la parole sans même un raclement de gorge.

— Pas trop vilain.

Nolan ne comprenait pas bien où il voulait en venir. À qui parlait-il ? Grésil ? Ce dernier hocha tout simplement la tête à l’affirmative. Il se mit ensuite à faire de légers mouvements de mains. Toujours dépourvu de parole, Grésil étirait, repliait ses doigts, ses paumes, ses poignets, moulinait dans un sens, puis dans l’autre. Ses bras suivaient sans vigueur la cadence. Nolan restait captivé devant ce qui pouvait s’apparenter à des jets de sorts.

Pourtant, quand le garçon croisa le regard de son hôte, il laissa ses mains se poser sur la table. Avec Nolan, la parole était transmise par les expressions du visage. Le jeune homme vit que de lui à l’homme-de-dos, la façade de Grésil passait de l’empathie et de la compréhension les plus exubérantes à la froideur la plus profonde. Du moins, à cet instant. Nolan se souvint que sa rencontre la veille n’avait pas été des plus animées en termes d’émotions – sauf concernant les siennes – sans pour autant avoir été glaciales comme à ce point.

— Vous parlez entre vous ? demanda Nolan d’une voix éteinte.

Le visage de Grésil passa à l’homme-de-dos. La fadeur également. Ses mains reprirent leur œuvre.

— Très gentil de t'avoir gardé.

Nolan sursauta quand la voix se prononça. L’inconnu pouvait-il seulement voir ce que racontait Grésil ? Chaque fois que Nolan essayait de comprendre, les choses se complexifiaient. Alors que l’homme se tenait bien dans la cuisine, la voix restait désincarnée. C’était une dissonance qui laissa entrer la migraine dans les têtes dépourvues de l’habitude à ce phénomène.

Nolan se massa les tampes tandis que les la discussion se faisait sans avoir énoncé le moindre sujet. Grésil s’interrompit brusquement. Il tendit le bras vers celui de Nolan, plaqué le long de ses côtes.

— Cela devrait aller.

L’homme-de-dos avait énoncé ce qui seront ses derniers termes. Grésil s’adossa dans la chaise. La froideur s’était tempérée et avec elle le soulagement avait pris place. Nolan se détendit assez pour concevoir que son café devant lui avait refroidi. Le temps de s’emparer de la tasse, de la vider d’une traite et de brusquement la cogner sur la table, il manqua de s’étrangler lors de sa dernière gorgée.

L’homme-de-dos s’était dissipé.

Nolan se rua de sa chaise. Il inspecta les meubles, le mur, les alentours. Grésil ne semblait savoir que faire entre se lever ou rester assis là à regarder cet animal angoissé.

— C’est un fantôme, lança le jeune homme. Ce doit être quelque chose comme ça.

Les dessins de l’adolescent ne se trouvaient plus sur la table. Nolan passa trente fois la main sur le bois pour en avoir le cœur net.

— Tu es réel, toi, au moins ?

Grésil se leva aussitôt, piqué au vif. Nolan ne le laissa pas amorcer un autre mouvement quand il l’empoigna par les épaules pour le secouer. Sa poigne était ferme, personne ne pouvait s’en extirper. Toutefois, sous ses doigts se tendaient des muscles authentiques. Grésil se raidissait de peur ou de colère, quelque chose qui fit lâcher prise à Nolan. Le garçon recula de quelques pas saccadés.

— Pardon.

Nolan se laissa tomber sur la chaise, celle entre la table et là où se tenait l’homme-de-dos.

— Je deviens complètement dingue.

Il lui sembla que personne ne l’avait entendu. La cuisine demeurait dénuée de toute autre présence que la sienne, baignant dans la lumière dorée de la petite ampoule. Grésil s’était enfui.

Nolan se sentait misérable, assis là à se demander où le problème résidait. En lui, dans cette maison, dans cette situation. Il était démuni.

La tasse offerte à l’homme-de-dos par Grésil l’interpella quelque peu. Lorsqu’il se pencha au-dessus, elle était complètement vide.

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