Chapitre 9 - 1/2
Le corps d’Oliver s’effondra lourdement sur le parquet. Nolan regardait se dérouler la scène, pétrifié par l’effroi. Le faux pompier remonta la visière de son F1 avant de pénétrer sur les lieux. Un deuxième homme en tenue d’intervention investit la maison, tandis que l’autre mit en joue le maître des lieux.
— Bouge pas ! Ou tu finiras comme le premier.
Grésil choisit ce moment pour se placer entre lui et son hôte. Nolan se trouva si lâche, contrairement au garçon qui avait le courage de le protéger en dépit de son maigre gabarit. Le second intrus maugréait dans son casque en inspectant le mort à ses pieds.
— Bon ! dit-il en rejoignant la mauvaise troupe. Ce bouffon allait avoir un siècle de vie à son compteur, il fallait bien que ça s’arrête un jour ou l’autre.
À l’attention de Grésil, il ajouta :
— Cent ans, c’est beaucoup trop pour un humain, tu ne crois pas ?
— C’est quoi la suite du programme, A ? interfèra son compère.
Le dénommé A prit le temps de visiter le couloir. Comme Grésil, il ressentait de l’intrigue vis-à-vis des affiches qui l’en tapissaient.
— Menotte le grand dadet là-dedans, ordonna-t-il en désignant la cuisine. Je surveille le gamin en attendant. On le balancera dans la remorque ensuite.
– Reçu. Et celui-là ?
Tous les quatre avisèrent un Oliver inerte. Une flaque de sang avait auréolé le tour de sa tête.
— On le jettera dans l’Atlantique.
À la suite de ce propos, Nolan fut poussé dans la pièce choisie et projeté contre le radiateur en fonte. Le subalterne lui entrava les deux poignets sans soin à l’une des barres, puis quitta la maison derrière Grésil et son chef. Il y eut un mouvement mécanique dehors, le bruit d’une machine suivit d’une secousse, succédé par un temps d’arrêt. Deux ombres passèrent devant la fenêtre et Nolan put entendre le bruit d’un tas que l’on traîne.
Nouveau silence. Le jeune homme, pris de panique, cherchait sur le chauffage un défaut quelconque à exploiter pour se décrocher de là, mais la pièce de métal était trop robuste. Il se hissa sur les genoux, se contorsionna du mieux qu’il le pouvait, tirait de toutes ses forces, quand un second coup de feu, éloigné à l'extérieur, le stoppa net. Tous ses efforts annihilés, la peur le prostra dans son coin, les joues baignées de larmes.
La nuit tombait. Nolan s’était recroquevillé contre le calorifère. Il lui avait fallu de longues heures avant de retrouver un pouls plus ou moins régulier, un effort balayé lorsque quelqu’un entra dans la chaumière. L’homme s’engagea aussitôt dans la cuisine. Il se jeta sur le frigo et en sortit tout ce que pouvaient bien dégoter ses doigts investigateurs. Nolan nota les effluves de poisson et de sauce se mêler à celle âcre du métal. L’intrus déposa son butin sur la table, ôta sa veste d’intervention maculée de sang ainsi que son casque. Il marmonna encore – A, le second – et alluma la lumière. Nolan se figea.
A s’assit, imperméable au regard troublé qui dévisageait ses yeux pourpres, bordés de zébrures sombres, des marques plus intenses que les traits fins et jeunes de son visage. La faim lui ordonna de se jeter sur son magot qu’il dévora sans aucune retenue. Il mangea, vida un demi-litre d’eau, s’affala un instant, recommença.
— J’avais pas mangé depuis des jours, dit-il soudain. Entre les recherches, le voyage, le corps d’Oliver, le corps de Kayne…
Il se pencha vers Nolan.
— Kayne était mon associé. Tu sais, l’autre gars… mais j’avais plus besoin de lui. Puis Unn ! Je dois dire que j’étais si impatient de revoir ce sale gosse que j’en ai perdu mes manières.
Ainsi, l’autre tir avait été destiné au meurtrier d’Oliver. A se leva, passa instamment ses mains à l’eau et au savon et revint à sa place, tourné vers son captif. L’air s’était saturé d’une odeur artificielle d’agrumes.
— J’ai vu durant mes investigations que cette maison appartenait à un certain Harry Mornington. C’est toi ?
— C’était mon grand-père.
— Comment tu t’appelles, au juste ?
— Nolan.
— Mornington, c’est très anglais, pas trop écossais… Il est pas là, ton grand-père ?
— Il est décédé en début d’année.
— Oh, condoléances. T'as dû récupérer la vieille barraque paumée dont personne ne voulait, du coup. Dis-voir, tu es en bonne santé ?
Nolan trouva la question suspecte, un ressenti qui teinta sa courte réponse.
— Oui, pourquoi ?
Il regretta sa question, de peur qu'on lui réponde d'un coup de poing tyrannique. L’autre se balançait sur sa chaise, pensif.
— Pour savoir, pour savoir… Toi et Unn vous étiez les deux seuls ici ? Avec feu ce Britannique ?
— Oui.
A afficha une mine ravie par ces informations.
— Je te le demande parce que je n’ai pas eu le temps de me pencher là-dessus, confia-t-il. Il y a trois ou quatre jours, une tempête s’est inopinément déclarée dans la zone des Hébrides Intérieures. Un anticyclone suspect a affolé mon labo. Un décollage. Maintenant que Unn est sur la terre ferme, c'est plus facile de le surveiller depuis les airs, voilà tout.
A était un personnage très expressif dans ses propos. Ses doigts ondulaient entre lui et son auditoire, ajoutant une valeur narrative non négligeable à son récit. Nolan repensa à la façon dont Grésil s’exprimait avec l’homme-de-dos et sa ressemblance avec les mimiques de l’indésirable.
— Les locaux ont eu le droit à un bel orage artificiel ! J’ai épluché les appels à l’aide des habitants des îles touchées par l’anomalie. Je voulais un témoignage paranormal du phénomène. Aucun ne m’a vraiment retenu, sauf un : un homme disait qu’il avait trouvé un ado dans l’Atlantique. L’appel venait de toi ?
Nolan hocha lentement la tête.
— En fait, ça ne m’a pas intrigué plus que ça. Là où j’ai su que c’était la bonne, c’est quand cet idiot d’Anglais a quitté Austin en sautant dans le premier avion pour Londres, puis pour l’Ecosse. Punaise ! Je lui avais pourtant dit que je le retrouverai. La première chose que je fais quand je récupère mes moyens, c’est de le fliquer lui, enfin… ce n’est plus la peine, désormais.
Il avala quelques frites dans un rire mauvais.
— J’adore ce siècle. Les informations vont à toute vitesse. Mais ce qu’il y a de mieux, c’est que tous ces gouvernements s’espionnent entre eux – ainsi que leurs propres populations – par une myriade d’outils numériques ultra-perfectionnés. Si on en prend le contrôle, on peut tout savoir. Et devine quoi ?
Il laissa planer quelques secondes de blanc destinées à sa propre satsifaction.
— Le contrôle, je l’ai. Je te l’accorde, ça ne s’est pas fait en un jour. Jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale, le contrôle ne s’achetait que par l’argent. Dès la fin de la guerre, j’ai su que l’argent n’allait plus suffire si je voulais garder le rythme. Il m’a fallu pas moins de quatre réincarnations depuis 1947 avant que mes filons ne concordent entre eux et que mes plans ne deviennent inéluctables.
— Parce que vous vous réincarnez, vous ?
Nolan s’était exprimé platement. Fait comme un rat, son esprit ne lui donnait aucune option de survie. Seule la soif de compréhension demeurait. Le jeune homme espérait que s’il devait y laisser la vie comme Oliver l’avait fait, autant emporter un maximum de réponses dans la tombe, ou dans l’océan. Périr sans comprendre lui était inconcevable.
— Unn ne t’as pas parlé de moi ? répliqua A.
— Il ne parle pas.
A leva les yeux au ciel en maugréant.
— Pourquoi vous l’appelez Unn ?
— Parce que c’est son nom, imbécile, cracha l’intrus. Il le porte depuis plus de cinq milles ans.
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