Chapitre 10 - 1/2

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Oliver révéla que A avait rejoint la chaumière au volant d’un poid-lourd maquillé en véhicule d’intervention, garé à proximité du pick-up de Nolan. La remorque avait été grimée aux détails et aux couleurs rouge et jaune des soldats du feu, mais l’Anglais se doutait que l’intérieur n’avait rien à voir avec le métier qui servait de façade.

— C’est une cage de Faraday, conclut-il. Il l’avait déjà expérimenté avec l’Erebus.

— Je sais.

Nolan résuma le bavardage de A tandis qu’Oliver hochait la tête à chaque élément relaté. Lorsqu’il évoqua la raison qui le poussait chaque fois à retrouver l’adolescent, Oliver fronça durement les sourcils.

— Cette enflure se trompe. Twist ne survit pas mieux que lui à ce que ses parents lui font. Ne pas être en mesure de parler de ce qu’il subit ne le rend pas plus privilégié qu’un type réincarné à chaque fois. Et pour ce qui est de l'ignorance humaine, c'est un peu de sa faute. Si cet imbécile se rappelait de tout, pourquoi il n'a pas fermé sa bouche plutôt que de s'attirer les foudres de la pensée unique du moment ?

— Vous pensez qu’on arrivera à le convaincre ? demanda Nolan.

— Nous n’y arriverons pas, trancha l’Anglais. Il a cinq milles ans, non ? Comment changer une mentalité aussi âgée ? Impossible. Le mieux reste de le zigouiller pour nous donner du répit, avant qu’il ne revienne avec un nouveau corps…

— Non !

Oliver afficha une mine vexée.

— Il m'a tiré une balle dans la tête ! s’offusqua-t-il en brandissant le plomb maculé de sang. Qui sait ce qu’il t’aurait fait par la suite, tu y as pensé ?

— Et l’arrêter ?

— Laisse tomber. Tu vois bien qu’il dispose d’un trop grand nombre de moyens… il est peut-être seul maintenant, mais il est certain qu'il possède un réseau tentaculaire à travers le globe. Le jeter aux autorités pour que ses alliés le tirent de là dans l’heure est une erreur gravissime pour nous.

— On a l’avantage d’être deux, et il ne sait peut-être pas que tu es vivant.

— Certes. Sauf qu’il est armé. Pas nous.

— En fait…

Nolan rapporta le calibre 12 sans jamais ôter le drap qui le recouvrait. Quand Oliver libéra l’arme, ses yeux s’agrandirent de stupéfaction.

— Bon sang, cette maison est sacrément équipée !

L’emplacement des cartouches indiqué par Nolan, l’Anglais investiga frénétiquement la cuisine sans laisser le moindre répit aux tiroirs et à ce qu’il trouva dedans. Il dénicha le trésor le sourire aux lèvres.

— Ça fait plus de soixante-dix ans que je tire comme je veux en Amérique. Voyons si ça sert !

Le plan que les deux hommes élaborèrent ensuite n’avait rien d’une stratégie militaire. L’aptitude surnaturelle d’Oliver lui donnait un avantage contre A, ce serait donc à lui de l’affronter. Nolan devait profiter de cette dissuasion afin d’entrer dans le camion et libérer Grésil. Faute de précision, il était inenvisageable d’imaginer d'autres solutions dont le défaut n’était autre qu’il ne pouvait s’agir que de théories, et non de garanties. Aussi, A penserait peut-être que Nolan était encore accroché au radiateur de la cuisine et baisserait son arrière-garde. Il ne restait à déterminer que la position de A avant de lancer l’attaque, un fait fondamental s’ils tenaient à conserver l’effet de surprise le plus longtemps possible.

— Ce psychopathe n’est qu’un sale menteur, lâcha Oliver tandis qu’il chargeait le fusil à deux coups.

Nolan bandait son poignet au-dessus du lavabo. Il se tourna vers l’Anglais.

— S’il recherche Twist à chaque fois, c’est pour voir ce qu’ils lui ont fait à l’intérieur, ajouta ce dernier. Crois-moi, quand nous étions sur l’Erebus, j’ai vu dans ses blessures des organes et des tissus qu’un humain normal ne possède absolument pas. C’est ça qui intéresse vraiment l’autre taré.

Il remplit les poches de son pantalon de grandes poignées de cartouches.

— Mais bon… ça fait partie du truc.

— Comment ça ? questionna Nolan en étirant ses doigts.

Ils ne sont jamais bien loin, cage de Faraday ou pas. L'autre connard est idiot de croire qu'il va pouvoir leur échapper.

Comme A l’avait fait avant lui, Oliver avait pointé le plafond d’un doigt.

L’équipe entama son excursion nocturne à pas de loup. L’Anglais guida Nolan jusqu’à son 4x4 avant de lui ordonner de rester là, à couvert, le temps de trouver la position de A. Le camion, quelques mètres après le pick-up, n’avait définitivement rien de suspect au premier abord. Une porte à l’arrière menait à l'intérieur via quelques marches escamotables. Oliver entreprit de faire le tour du véhicule dans l’espoir de déterminer si la cible figurait dedans, ou si A en était sorti pour une quelconque raison. La réponse fut donnée quand la porte en métal grinça et que A alla s'asseoir sur les marches dépliantes.

Oliver s’était figé contre le flanc du poids-lourd. Dissimulé derrière la vitre de son propre véhicule, Nolan l’imaginait retenir son souffle dans l’obscurité alors que A avait paisiblement allumé une cigarette. La scène ne dura pas plus de quelques minutes, quoique longues pour certains. Enfin, A jeta son mégot derrière lui, se leva et quitta le périmètre du camion. Il s’était dirigé vers la pente et sa silhouette s’était perdue entre la sombreur de la nuit mêlée à celle de l’Atlantique. L’Anglais jeta un œil vers le 4x4. C’était là le signe qu’attendait Nolan pour foncer jusqu’à la remorque pendant qu’Oliver, mettant son arme à l’épaule, s’engouffra dans les pas de A.

Monter les marches s’avéra complexe. Nolan évitait les grincements d’acier au point qu’il atteignit le plancher de la remorque à quatre pattes. Il réalisa que le sol métallisé avait été éclaboussé d’une substance épaisse en sentant un liquide lui coller aux mains. Il poussa lentement la porte derrière lui, puis s’empara du mode lampe-torche de son téléphone. Ce coup-ci, il vit ce qui lui avait sali les mains : du sang. Privé du courant d’air marin de la côte, l’habitacle s’emplit d’effluves ferrées. Nolan sentait la nausée lui monter à la tête à tel point qu’il eut du mal à lire un écriteau, affiché là, en gros caractères : “ sas - toujours verrouiller l’une des deux portes “.

La pièce où il se tenait justifiait le premier terme de l’écrit, étroite et délimitée par deux ouvertures : la première qu’il avait emprunté, l’autre qui menait un peu plus profondément dans la remorque. Dans un sursaut de courage, il avança dans le camion.

La nouvelle chambre disposait d’un plafonnier bourdonnant. C’était assez de lumière pour que les yeux du jeune homme trouvent Grésil recroquevillé sur lui-même. Le garçon gisait nu dans une flaque de sang. Ici, l’odeur de métal s’était alourdie davantage. Nolan vacilla contre l’encadrement de la porte.

— Grésil ?

Pas de réponse. Nolan approcha de l’adolescent. Cette imprudence se solda par la fermeture automatique de l’accès, équipé d’un ferme-porte et d’une poignée utilisable de l'extérieur seulement, à moins de disposer d’une clé.

— Merde !

Son esprit se résigna aussitôt. L’état de Grésil le préoccupait plus que l’air sanglant de la pièce ou qu’il figurait dans une situation inextricable à l’instant. Posant ses deux genoux dans la mare rouge, Nolan sentit son pantalon s’imbiber tandis qu’il frôlait du bout des doigts l’épaule du garçon. Grésil était gelé et son souffle imperceptible. Nolan le secoua plus fort. Les yeux de l’adolescent demeuraient clos sur un visage bien plus pâle qu’à l’ordinaire. C’est en lui écartant les bras que le jeune homme réalisa l’ampleur de ses blessures.

Nolan sentit son corps basculer en avant. Les canyons creusés dans le ventre et le torse de Grésil ne laissaient un verdict sans appel : ces sévices l’avaient tué. Nolan se redressa, chancela à nouveau contre la paroi avant de se mettre vainement en quête de quoique ce soit pouvant colmater une telle blessure. Il vit une desserte dans un coin de la pièce. Le plateau avait été maculé de rouge transporté par les outils jetés dessus. La boîte de conserve qui le retenait prisonnier ne disposait de rien d’autre. Il entendit un tir au dehors mais ignorait si Oliver en avait terminé avec le bourreau de Grésil.

Sa conscience marqua une pause emprunte de déni. L’espace d’un instant, la réalité se fana au profit d’un scénario plus acceptable dans son esprit forgé par la raison. Tout ceci n’existait pas. C’était le fruit d’une énième vision depuis qu’il avait hérité de la maison de Grand-Père. La vérité n’avait rien d’aussi sanguinolent et tordu. Il était temps pour Nolan de faire la part des choses.

Cette pensée l’avait conduit jusqu’au plateau où ses mains se baladèrent sur les objets ensanglantés. Il s’en saisit de un au hasard et ses yeux, en transe, l'admirèrent momentanément.

Des pas soudains dans le sas le tirèrent de sa rêverie.

— Oliver ! beugla Nolan en chavirant en arrière, le coutelas chutant à ses pieds.

La porte s’ouvrit. A s’engouffra dans la pièce. Nolan se sentait aussi perdu qu’il était acculé dans son piège à rat.

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