Chapitre 10 - 2/2

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— Je ne sais pas combien de fois il faudra que je massacre ce rosbif, lança A sans regarder le jeune homme. J’espère qu’une seule décapitation suffit.

Il entra, et jeta la lame dentée qu’il tenait à la main sur la desserte. Le tintement fit sursauter Nolan. A se tint le ventre alors qu’il refermait la porte derrière lui. Il ne put dissimuler le sang coulant le long de son flanc.

— Ce bâtard avait une arme… le fusil de Papy Mornington, je suppose ?

Nolan ne répondit rien.

— C’est dommage, j’aurais voulu épargner ce corps de ça… mais bon. J’ai connu bien pire.

A alla s’appuyer contre le plateau roulant dans une extrême lenteur. Il releva son t-shirt afin d’aviser les plombs qui lui perçaient la hanche droite.

— Toutes les relations entre Unn, moi et quiconque ne sont que l’action de eux, dit-il.

Il regarda le plafond.

— Ces rencontres ne sont pas le fruit du hasard. Avoir doté Oliver d’une telle capacité est là la preuve que leur plan a changé. Dorénavant, ils ne se focalisent plus simplement sur le corps ou l’esprit, mais peut-être sur quelque chose de plus complexe comme… je sais pas trop… C’est difficile de prévoir leurs idées.

Un fragment de plomb tomba au sol.

— Oliver a intégré ce plan très vite. Trop vite, même. Ce n'est pas normal. Unn et moi sommes âgés de presque cinq milles ans, cinq milles ans d'expérimentations. Cet Anglais n'a même pas un siècle et ils n'ont jamais cherché le contact avec lui, encore moins à lui faire comprendre à quoi il sert.

Le flou dans les yeux sombres de A parvenait presque à désarmer la rudesse de son regard. La reflexion qu'il s'infligeait devait le faire bien plus souffrir que ce que les cartouches d'Oliver lui avaient imposé.

— Harry Mornington devait faire partie de ces nouveaux plans, mais sans doute de façon post-générationnelle.

— Mon grand-père n’avait rien à voir avec toutes ces histoires, gronda Nolan.

— Il n’en savait pas plus que toi, tu sais. C’était un illuminé comme il y en a des milliers sur cette planète. Cependant…

A posa son regard noir et pourpre sur le jeune homme.

— Ce serait la raison d’avoir fait revenir Unn lorsque tu as emménagé sur cette île, et pas plus tôt.

— C’est le hasard !

— Le hasard n’existe pas !

Le visage de A exprima un instant de souffrance dans sa colère. Sa blessure lui entaillait la chair autant que le souffle.

— Ce qui est sûr… poursuivit-il dans la douleur, c’est que tu compte pour eux. Unn me l'a dit - à sa façon. Ils sont entrés en relation avec toi. Cela signifie que tu es bien inclu dans le plan et ça…

Il chercha nonchalamment sur la desserte parmi les outils. Ses doigts tirèrent du plateau une lame poisseuse de sang aux allures de dague.

— …ça, je vais y remédier.

Brandissant la dague, A entama une approche prédatrice vers le jeune homme, la volonté de tuer plus forte que sa douleur. Nolan gardait les yeux rivés sur le métal étincelant qui pointait vers lui. Il anticipa tous les scénarios possibles mais un seul demeurait vraiment : celui que la tétanie le clouerait sur place et que de toute évidence, il ne pourrait éviter le coup que lui assénerait son assassin.

En amorçant sa relève, Nolan sentit le coutelas sous sa semelle. Les jambes fléchies, il tendit le bras, referma les doigts sur le manche. A étira un rictus en constatant la scène. Il desserra les dents lorsque la porte s’ouvrit à la volée. Se tenant le cou tartiné de sang, Oliver cala le fusil sur son épaule, se balança sur ses jambes et le coup partit dans la remorque. L’instant d’après, l’Anglais s’était cramponné davantage à son arme et tira une seconde fois. Ce tir fut fatal pour A, son dos et sa nuque gravement perforés. Il chuta face contre terre, aussi désarticulé que pouvait l'être une poupée de chiffon.

A vivait encore quand Oliver avança auprès de lui. L’Anglais libéra son cou désormais scindé par une cicatrice bientôt invisible. Oliver et Nolan virent les yeux violets de l’agresseur se figer sur point : devant A figurait le corps déjà inanimé de Grésil. Ses dernières pensées supposaient peut-être que dans cette vie-là encore, son plan n’avait pu aboutir pleinement.

Les deux autres restèrent un instant sans voix, lorsque Oliver fut le premier à réagir.

— La cage de Faraday concerne ce salaud également.

Nolan l’écoutait sans parvenir à se détacher complètement du corps qui luttait pour vivre. Enfin, l’étincelle qui animait le regard violet s'éteignit. Nolan eu un frisson.

— Nolan, écoute-moi bien.

— Hm ?

Le jeune homme sentait lentement ses membres se mettre à trembler.

— Je vais prendre Twist, annonça Oliver. Tu vas aller m’ouvrir une porte à la fois, en prenant soin de refermer la précédente entre-temps. On va faire en sorte que cette saleté reste bien sage le temps de méditer sur son sort.

Nolan entendait les mots mais leur sens demeurait trouble. Son attention s’était éclipsée derrière le froid qui l’engourdissait de seconde en seconde. L’Anglais le scruta jusqu’à écarquiller les yeux quand Nolan tomba à genoux. Tous deux réalisèrent que le premier coup de feu avait bien touché une cible ; Nolan avait l’épaule droite, le côté droit du poitrail et un morceau de jugulaire durement atteints. Le sang qui s’épanchait le long de son torse ne laissait que peu de temps de réaction.

Oliver se précipita à ses côtés. Il avait déjà ôté son propre haut pour en déchirer des bandes de tissus avec les dents.

— Grésil… siffla Nolan.

— T’inquiète pas pour lui, trancha l’Anglais. Une fois dehors, ses parents le guériront. Je m’en occuperai.

Oliver n’avait pas encore appliqué son bandage de fortune qu’un couinement artificiel s'éleva dans le camion. Un gyrophare s’était activé tout comme une lumière sur le poignet de A : l’écran d’une montre clignotant, l'icône d’un cœur suivit d’un 0 affichés en rouge vif. Dans le raffut s’ouvrirent avec surprise les pans latéraux de la remorque. Le vent de l’Atlantique s’engouffra aussitôt qu’il emporta les espoirs de garder A hors d’atteinte de l'exterieur.

— Ce bâtard avait tout prévu ! vociféra Oliver. Lève-toi, il faut partir ! Vite !

Nolan s’écrasa sur lui-même, l’esprit si flottant qu’il cru passer à travers le sol. Oliver le rattrapa avant qu’il ne plonge tout entier dans le lac de son propre sang. Il tenta de hisser le corps meurtri du jeune homme sur ses épaules, l’échine parcourue de sueurs froides. Il sentait cette chair de poule malheureusement familière se répandre jusqu’au bout de ses orteils. Ce frisson, il l’avait eu quelques secondes avant que l’Erebus ne disparaisse.

L’Anglais sauta du camion tandis que ses oreilles se mirent à bourdonner.

— Lève-toi ! Allez ! hurla-t-il en agrippant l’autre pour le traîner.

La dernière image d’Oliver que vit Nolan était celle d’une expression horrifiée qui habillait son visage. Quand le jeune homme ferma les yeux, un éclat de lumière le frappa au point de se demander s’il avait effectivement clos les paupières. Le froid qui le mordait s’estompa au profit d’une chaleur apaisante. Nolan supposa qu’il s’était endormi devant la cheminée familiale, et que les flammes, à la fois douces et puissantes, l’enveloppaient d’un voile bienfaiteur.

Le temps était venu de se reposer.

Assis tout près de lui dans cette étendue étincelante, Grésil le regardait profiter d’un sommeil paisible. Le garçon ne le quitta des yeux que lorsqu’il sentit la présence de l’homme-de-dos à ses côtés. Il lança à ses parents un œil inquiet.

— Il ne pourra y en avoir qu’un, assura la voix désincarnée.

Les prunelles de Grésil projetaient par nuées des éclairs d’imploration. S’il n’avait pas eu à faire beaucoup de choix durant son existence, il détestait avoir à s’y confronter. Il hocha la tête, puis revint poser le regard sur l’endormi.

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