Chapitre 2
2. La demande
Il y a quelques temps, j’ai dû fuir les Prussiens dans une voiture avec neuf autres personnes. Nous nous sommes arrêtés après une rude journée. Nous étions vraiment en retard et arrivés en fin de journée dans une auberge, chez Monsieur Follenvie, un ancien marchand de chevaux. Après avoir vu que quelques Prussiens qui y logeaient et avant que nous puissions voir nos appartements l’officier à fait contrôler nos papiers par les soldats qui entouraient la voiture. Ensuite nous sommes entrés rejoindre nos chambres et ainsi nous préparer pour le diner.
Nous venions nous mettre à table en redescendant de nos chambres, réunis dans la salle à manger, Monsieur Flollenvie demanda : « Mademoiselle Elisabeth Rousset ?»
Nous nous sommes tous regardés, non sans une petite crainte car nous ne savions pas ce qu’il voulait, je dis que c’était moi.
Il me dit alors que l’officier voulait me parler à moi seule immédiatement.
Toute étonnée, je me demandais bien ce qu’il pouvait bien me vouloir et sentant que cela n’était pour le meilleur, je répondis d’une voix ferme : « Je n’irai pas. »
Une personne avec qui je faisais le voyage me dit que j’avais tort car mon refus peut amener des difficultés considérables, non seulement pour moi, mais même pour tous mes compagnons. Il ne faut jamais résister aux gens qui sont les plus forts me dit-il et que ça ne peut présenter aucun danger : c'est sans doute pour quelque formalité oubliée.
Tout le monde se joignit à lui, on me pria, on me pressa, on me sermonna, et l'on finit par me convaincre car on redoutait toutes les complications qui pourraient résulter d'un coup de tête. Je dis alors que j’y allais mais que c’était pour faire plaisir à tout le monde.
La comtesse m’a même pris la main en me disant qu’ils me remerciaient tous.
Quand je suis arrivée, directement dans sa chambre, il n’a pas hésité, après m’avoir complimenté sur ma beauté, mes seins, ma croupe, la qualité de ma peau et… Il me dit que son fantasme était de passer au moins une nuit avec moi qu’il rêvait depuis longtemps d’une femme de mon gabarit, de ma beauté et que je ne serais pas gênée de ce qu’il avait à me donner car la nature l’avait particulièrement gâté.
Je lui répondis que cela ne me faisait ni chaud ni froid et que ce genre d’invitation d’une manière aussi cavalière ne me plaisait guère, que je n’étais pas la bonne personne pour ce genre de chose. Je suis sortie aussitôt et j’ai regagné les autres à la salle à manger.
…Tous s'empressaient pour savoir, mais je ne dis rien et, comme le comte insistait, je répondis avec une grande dignité : « Non, cela ne vous regarde pas, je ne peux pas parler. »
On s'assit autour d'une haute soupière d'où sortait un parfum de choux. Malgré cette alerte, le souper fut gai. Le cidre était bon, le ménage Loiseau et les bonnes sœurs en prirent, par économie. Les autres demandèrent du vin ; Cornudet réclama de la bière. Il avait une façon particulière de déboucher la bouteille, de faire mousser le liquide, de le considérer en penchant le verre, qu'il élevait ensuite entre la lampe et son œil pour bien apprécier la couleur. Quand il buvait, sa grande barbe, qui avait gardé la nuance de son breuvage aimé, semblait tressaillir de tendresse ; ses yeux louchaient pour ne point perdre de vue sa chope, et il avait l'air de remplir l'unique fonction pour laquelle il était né. On eût dit qu'il établissait en son esprit un rapprochement et comme une affinité entre les deux grandes passions qui occupaient toute sa vie : le Pale-Ale et la Révolution et assurément il ne pouvait déguster l'un sans songer à l'autre.
M. et Mme Follenvie dînaient tout au bout de la table. L'homme, râlant comme une locomotive crevée qui avait trop de tirage dans la poitrine pour pouvoir parler en mangeant mais la femme ne se taisait jamais. Elle raconta toutes ses impressions à l'arrivée des Prussiens, ce qu'ils faisaient. Ce qu'ils disaient, les exécrant, d'abord, parce qu'ils lui coûtaient de l'argent, et, ensuite, parce qu'elle avait deux fils à l'armée. Elle s'adressait surtout à la comtesse, flattée de causer avec une dame de qualité.
Après nous sommes allez prendre possession de nos chambres pour la nuit. Je suis ressortie pour un besoin urgent et en revenant vers ma chambre, Cornudet, qui était du voyage avec nous voulu et presque m’obliger à avoir des rapports avec lui en me disant que j’étais bête, et qu’est-ce que cela pouvait me faire ? Je lui répondis qu’il y avait des moments pour cela et que ce n’était pas le moment avec les Prussiens dans l’hôtel. Il feint de comprendre, m’embrassa poliment et disparu dans sa chambre.
…Comme on avait décidé qu'on partirait à huit heures le lendemain, tout le monde se trouva dans la cuisine ; mais la voiture, dont la bâche avait un toit de neige, se dressait solitaire au milieu de la cour, sans chevaux et sans conducteur. On chercha en vain celui-ci dans les écuries, dans les fourrages, dans les remises.
Quand ils ont retrouvé le cocher dans le café du village, le Comte l’interpella : Nous ne devions pas partir à huit heures ?
Oui, répondit le cocher, mais j’ai reçu d’autres ordres.
De qui ?
Ma foi ! du commandant prussien !
Pourquoi ?
Je n’en sais rien, demandez-le-lui, moi, c’est l’aubergiste qui me l’a dit !
De retour à l’auberge ils n’ont pas pu voir ni l’aubergiste ni le commandant.
Quand vers dix heures Monsieur Follenville est enfin apparu, il nous dit que le commandant a interdit que l’on attelle la voiture et qu’il ne voulait pas que nous partions sans son ordre.
Nous avons donc attendu et après le café, l’officier a bien voulu recevoir ces Messieurs mais Cornudet refusa d’y aller.
Quand ils lui ont demandé pourquoi il ne voulait pas que l’on parte, il répondit avec son accent Prussien : je ne veux pas, c’est tout, au revoir Messieurs.
Le soir alors que nous allions nous mettre à table, Monsieur Follenville est apparu et nous dit : « L’officier prussien fait demander à Mlle Elisabeth Rousset si elle n'a pas encore changé d'avis. »
Je me dis qu’il avait du culot !
J’ai failli étouffer !
Non dis-je ! suivi de quelques insultes à son encontre.
Jamais, jamais, jamais !
Le gros aubergiste est alors parti.
Là tout le monde est venu autour de moi pour savoir ce qu’il voulait pour que je me mette dans cet état !
Ce qu’il veut, ce qu’il veut ? C’est coucher avec moi ! que je leur ai crié !
Là ils étaient tous avec moi, les femmes me consolaient comme si elles allaient faire une partie du sacrifice avec moi et les hommes le maltraitaient de barbare et que c’était honteux pour un homme de son rang mais je voyais bien qu’ils se posaient déjà la question, pourquoi elle ne veut pas alors que c’est une pute ? Les deux sœurs, elles se regardaient et on sentait bien qu’elles n’en avaient rien à faire.
Nous avons diné mais le cœur n’y était pas, je sentais et voyais dans les regards que les esprits commençaient à s’échauffer. Les femmes sont montées coucher les premières, les hommes qui ont invité l’aubergiste à prendre un verre avec eux et on se demande pourquoi, sont restés tout un temps à discuter de l’affaire !
Quand je suis montée, l’officier m’est apparu et m’a expliqué que cela ne servait à rien de résister car il devait partir d’ici dans peu de temps et que ce ne serait pas sans avoir gouté à son corps d’une manière ou d’une autre, demain matin une personne laissera sa place dans la voiture et demain soir une autre et vous serez la dernière et je m’occuperai personnellement de vous. Ou alors passons une belle soirée, faisons ce que nous avons à faire et demain vous repartez tous tranquillement.
Je me mis à pleurer et j’ai demandé si tout cela était bien vrai.
Si vous voulez, dès que vous entrez dans ma chambre et que vous vous mettez à l’aise, je donne l’ordre devant vous d’atteler la voiture pour huit heures.
Ce qui fut fait !
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