LE RETOUR

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3. Le Retour

Ah voilà, c’est bien dit le Génie mais que voulez-vous alors ?

…Le lendemain matin quand je suis arrivée près de la voiture, le cocher, enveloppé dans sa peau de mouton, grillait une pipe sur le siège, et tous les voyageurs radieux faisaient rapidement empaqueter des provisions pour le reste du voyage. On n'attendait plus que moi. J’étais troublée, honteuse, je m’avançais timidement vers mes compagnons, qui, tous, d'un même mouvement, se détournèrent comme s'ils ne m'avaient pas aperçue. Le comte prit avec dignité le bras de sa femme et l'éloigna de mon contact impur. Je m’arrêtais, stupéfaite. Alors, ramassant tout mon courage, je voulu aborder la femme du manufacturier d'un « bonjour, Madame » humblement murmuré. L'autre fit de la tête seule un petit salut impertinent qu'elle accompagna d'un regard de vertu outragée.

Tout le monde semblait affairé, et l'on se tenait loin de moi comme si j’eus apporté une infection dans mes jupes. Puis on se précipita vers la voiture où je suis arrivée seule, la dernière, et je repris en silence la place que j’avais occupée pendant la première partie de la route. On semblait ne pas me voir, ne pas me connaître mais Mme Loiseau, me considérant de loin avec indignation, dit à mi-voix à son mari : « Heureusement que je ne suis pas à côté d'elle. » pensant que je ne l’avais pas entendu. La lourde voiture s'ébranla, et le voyage recommença. On ne parla point d'abord. Je n'osais pas lever les yeux. Je me sentais en même temps indignée contre tous ces voisins, et humiliée d'avoir cédé, souillée par les baisers de ce Prussien entre les bras duquel on l'avait hypocritement jetée. Même les sœurs n’eurent aucune compassion.

Pendant le voyage, Loiseau dit qu’il avait faim alors sa femme atteignit un paquet ficelé d'où elle fit sortir un morceau de veau froid. Elle le découpa proprement par tranches minces et fermes, et tous deux se mirent à manger.

La comtesse fit de même et elle déballa les provisions préparées pour les deux ménages. C'était, dans un de ces vases allongés dont le couvercle porte un lièvre en faïence, pour indiquer qu'un lièvre en pâté gît au-dessous, une charcuterie succulente, où de blanches rivières de lard traversaient la chair brune du gibier, mêlée à d'autres viandes hachées fin. Un beau carré de gruyère, apporté dans un journal, gardait imprimé : « faits divers » sur sa pâte onctueuse. Les deux bonnes sœurs développèrent un rond de saucisson qui sentait l'ail et Cornudet, plongeant les deux mains en même temps dans les vastes poches de son paletot-sac, tira de l'un des quatre œufs durs et de l'autre le croûton d'un pain. Il détacha la coque, la jeta sous ses pieds dans la paille et se mit à mordre à même les œufs, faisant tomber sur sa vaste barbe des parcelles de jaune clair.

Boule de suif, dans la hâte et l'effarement de son lever, n'avait pu songer à rien. Elle regardait, exaspérée, suffoquant de rage, tous ces gens qui mangeaient placidement. Une colère tumultueuse me crispa d'abord, et j’ai failli leur crier leur fait avec un flot d'injures qui me montait aux lèvres mais je ne pouvais pas parler tant l'exaspération m'étranglait. Personne ne me regardait, ne songeait à moi. Je me sentais noyée dans le mépris de ces gredins honnêtes qui l'avaient sacrifiée d'abord, rejetée ensuite, comme une chose malpropre et inutile. Alors je songeais à mon grand panier tout plein de bonnes choses qu'ils avaient goulûment dévorées, à mes deux poulets luisants de gelée, à mes pâtés, à mes poires, à mes quatre bouteilles de bordeaux et ma fureur tombant soudain, comme une corde trop tendue qui casse, je me sentis prête à pleurer. Je fis des efforts terribles, me raidit, avalant mes sanglots comme les enfants ; mais les pleurs montaient, luisaient au bord de mes paupières, et bientôt deux grosses larmes, se détachant de mes yeux, roulèrent lentement sur mes joues. D'autres les suivirent plus rapides coulant comme les gouttes d'eau qui filtrent d'une roche, et tombant régulièrement sur la courbe rebondie de ma poitrine. Je restais droite, le regard fixe, la face rigide et pâle, espérant qu'on ne me verrait pas….

Voilà, vous savez tout, ce que je désire plus que tout c’est de redémarrer la dernière soirée quand l’officier me demande de venir le rejoindre dans sa chambre et de revivre les vingt-quatre heures suivantes.

Ma bonne Demoiselle, je suis là pour cela, nous allons recommencer au moment où vous arrivez dans la chambre pour passer la nuit avec l’officier, d’accord, pour le reste rien de changé, vous reprendrez la diligence comme prévu après la soirée, quand vous aurez terminé.

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