Chapitre 7

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Pour rejoindre ma chambre, je passais devant la grille qui menait aux cachots. Lieu où ma mère restait longtemps et où j’avais la stricte interdiction d’aller. Que pouvait-elle bien me cacher de plus important que moi ? Comme chaque fois que je passais devant, la grille était fermée par une chaîne et un cadenas. Rien n’était électromagnétique dans cette serrure. Ayant envie de savoir ce que me cachait ma mère, je tentais de forcer le cadenas et tirais de toute mes forces sur la chaîne. Derrière moi, je savais qu’Emma essayer de m’en empêcher mais je l’ignorais. Je m’acharnais sur la chaîne incassable. Mes doigts s’éraflaient sur la chaîne métallique et laissaient ses marques sur mes paumes.


— Vous savez que vous n’avez pas le droit d’y aller, tenta-t-elle de me résonner.


Elle essaya d’attraper mes mains pour que je ne me blesse pas plus. Mais dès qu’elle approchait, j’éloignais mes mains d’elle pour qu’elle ne les attrape pas.


— Vous devriez essayer de vous calmer, Mademoiselle. Avant que votre mère n’arrive.

— Soit réaliste Emma, elle ne viendra jamais. Je ne suis rien pour elle. Je pourrais mourir, ça ne la perturberait même pas. Elle me l’a dit, cette sortie était une erreur et ça ne reproduira plus.


J’avais arrêté de lutter avec cette chaîne et étais maintenant assise contre la grille, les genoux repliés contre ma poitrine. Emma s’assit à côté de moi et me prit dans ses bras. Pourquoi fallait-il que ce soit ma servante qui joue le rôle de ma mère ?


— Ne dites pas ça. Je ne sais pas ce que je deviendrais si je venais à vous perdre et beaucoup de personnes comptent sur vous, même si vous ne le savez pas.

— Comment ça ? demandais-je en relevant la tête

— Je ne peux pas en parler ici, mais on attend tous que vous vous rebelliez contre votre mère. Que vous nous sauviez tous.

Elle avait dit ça en chuchotan

t le plus bas possible et avait vérifié que personne ne nous écoutait. Elle me souriait et séchait mes larmes du bout de ses doigts. J’aurais aimé que ma mère soit comme Emma, douce et attentionnée. Elle se releva, me tendis la main que j’attrapais et m’aida à me relever à mon tour. En silence, elle me conduisit jusqu’à ma chambre, peu de temps avant que ma serrure électromagnétique se verrouille pour le reste de la journée. Heureusement pour moi, Emma avait récupéré le panier-repas de ce midi et je pouvais manger. J’étais désormais enfermée dans ma chambre, sans rien faire jusqu’au lendemain matin.

Vers quinze heures, j’entendis frapper à ma portée avant que le verrou électromagnétique ne se déverrouille, laissant entrer Emma. Hormis ma mère, elle était la seule à avoir la carte magnétique de ma chambre. Comme j’étais assise sur mon lit, à regarder par la fenêtre, elle s’assit à côté de moi.


— L’impératrice a quitté le château pour plusieurs heures. Je voulais prendre de vos nouvelles.

— Elle a quitté le château, vraiment ? Pourquoi ?


Je me tournais aussitôt vers Emma. Du plus loin que je me souvienne, ma mère n’était jamais sortie de l’enceinte du château. Mais en même temps, je n’avais jamais surpris une discussion avec des diplomates avant la dernière fois. Je n’avais jamais vu une part faible et désorientée de ma mère avant notre sortie au lac. C’était la première fois que les choses changeaient dans ma vie, à croire que quelque chose se préparait. En bon ou mauvais, je ne saurais le dire.


— Dis-moi ce qu’il y a au-delà des murs, repris-je.

— Vous ne me croiriez pas.

— J’imagine des forêts, des lacs, des villages remplis de personnes. Est-ce que tu me trouves faible, Emma ?


Si, au sein même des jardins du château, il y avait plein d’arbres fruitiers et un étang, il devait y avoir la même chose à l’extérieur. J’imaginais aussi le monde à travers les livres que j’avais lus. Livres que ma mère avait choisis pour moi, comme pour m’empêcher de découvrir ce qu’elle me cachait depuis dix-neuf ans.


— Pas du tout Mademoiselle, au contraire même. Qu’est-ce qui vous préoccupe ?


Elle attrapa mes mains dans les siennes. À chaque fois qu’elle voulait me calmer ou que je me confie, elle faisait ça. Le simple fait d’être en contact avec ses mains me réconfortait. Contrairement aux miennes, elles étaient les témoins de tout le travail qu’elle faisait pour moi, que ce soit la cuisine, me coiffer ou le ménage. Ses mains étaient sûrement devenues râpeuses à cause de toutes les lessives qu’elle avait dû faire. Le faisait-elle à la main ? Utilisait-elle une machine ? Toutes ses questions idiotes me donnaient de plus en plus l’impression d’être inutile, de ne savoir rien faire. D’être complètement dépendante d’Emma et de tous les domestiques qui s’occupaient du bon fonctionnement du château.


— Ma mère a dit que je ne survivrais pas dehors seule. Elle dit que c’est un monde dangereux. Et si elle avait raison ? Après tout, je suis une princesse de dix-neuf ans, complètement inutile. Même ici, je ne sers à rien, avouais-je en baissant les yeux en direction de mes mains.

— Vous aurez votre rôle à jouer. C’est vous seule qui allez hériter de votre mère et devenir impératrice un jour.

— Comment puis-je devenir impératrice en étant enfermée dans ma chambre, en ne sachant rien sur mon Empire ?


Je me demandais surtout, comment être une bonne Impératrice, en ne sachant, ni ce qu’il fallait faire, ni comment le faire, ni ce qu’on attendrait de moi une fois que je serais montée sur le trône.


— Quoi qu’il arrive, je serais là pour vous aider. Après tout, votre mère m’a engagée pour m’occuper de vous et vous servir.

— Pourquoi dois-tu me servir ? Pourquoi ne puis-je rien faire seule ? Non pas que ça me déplaise, mais je me sens totalement inutile.

— Que diriez-vous de venir une heure en cuisine avec moi ? Vous pourriez voir ce que font les domestiques pour vous et votre mère.


Emma me proposait de cuisiner avec elle, de faire une activité différente de l’ordinaire. Je voulais sortir de ma chambre pour être avec Emma, peu importe ce qu’on ferait. Mais en même temps, je savais que si je sortais et que ma mère l’apprenait, ça se retournerait contre moi, voir contre Emma. Je ne pouvais pas être égoïste au point d’ignorer ce que ma mère risquait de faire à Emma si elle apprenait ma désobéissance.


— Je suis censée être punie dans ma chambre Emma !

— Votre mère n’est pas là. Elle ne le saura jamais. Et puis ça vous éviterait de me faire une dépression.

— Et si elle le sait justement, qu’est-ce qui va se passer ?

— Ne pensez pas à ça, je m’en occuperais en temps voulu.


Elle se leva et ouvrit la porte. Malgré toutes mes bonnes résolutions pour ne pas l’impliquer dans ma désobéissance, je n’arrivais pas à aller contre sa décision. Je n’arrivais pas à dire non à Emma parce que je savais qu’elle le faisait pour mon bien.


— Bon, alors, vous venez ? me demanda-t-elle en souriant.

— C’est bon, j’arrive.


Elle me tendit la main que j’attrapais et la suivit jusqu’aux cuisines. Elles étaient immenses. Il y faisait chaud et de multiples odeurs envahirent mes narines. Parmi toutes les personnes qui y travaillaient, je ne reconnus aucun visage.

Une dizaine de fours ornaient les murs. Au centre, il y avait un immense plan de travail où s’affairait une dizaine de personnes. Tout à droite, il y avait un grand four à bois, non utilisé, à côté d’une porte qui devait être l’accès aux quartiers des domestiques. Sur tous les murs, il y avait des étagères en marbres. Les ingrédients devaient être rangés là-dedans. À gauche, je compris rapidement que c’était là qu’était stockée toute la nourriture fraîche. De là où j’étais, je pouvais voir la température de la pièce, 4°C. Ça devait être un réfrigérateur ou une pièce dans le style.


— Ça sent tellement bon ici, m’exclamais-je. Pourquoi ne m’y as-tu pas emmené avant ?

— Votre mère ne voulait pas.

— Elle ne veut jamais rien de toute façon, râlais-je.

— Que diriez-vous de faire un gâteau au yaourt ? C’est très simple.

— Vraiment, je peux ?

— Je serais ravi de vous apprendre à cuisiner.

— Qu’est-ce qu’on attend alors ?


Je vis un énorme sourire se dessiner sur les lèvres d’Emma et compris que la cuisine était aussi son domaine de prédilection. Elle sortit les ingrédients et me demanda de verser la farine. Cependant, j’en mis absolument partout et ne pus m’empêcher de rire. J’attrapais de la farine et la jetais sur Emma qui fit ensuite de même. C’était le meilleur après-midi. Même les autres cuisinières rigolèrent en nous voyant. Ça faisait vraiment du bien. Quand le gâteau fut enfin prêt, elle sortit plusieurs assiettes et cuillères. Elle coupa plusieurs parts et en donna à qui en voulait.


— Contente que cette activité vous ait fait sourire, Mademoiselle Elena, ajouta Emma.

— Merci à toi de me l’avoir proposé.

— Votre Altesse ? m’interpella une cuisinière

— Oui ? répondis-je intéressée


C’était rare qu’une personne autre que ma mère ou Emma m’adresse la parole. Et c’était encore plus rare que ce soit un autre domestique.


— Votre gâteau est délicieux.

— Sans Emma, je n’aurais pas réussi, répondis-je en rougissant.

— On attend tous avec impatience que vous montiez sur le trône, ajouta la cuisinière.

— Je ne saurais pas comment faire. Et cela voudrait dire que ma mère est morte.


Voulais-je vraiment devenir Impératrice ? Même si je détestais l’Impératrice actuelle, elle n’en restait pas moins ma mère. Et même si je le voulais, je ne suis pas sûr d’y arriver et de répondre aux attentes des habitants de l’Empire. Un Empire dont je ne savais même pas le nom.


— Vous y arriverez très bien, j’en suis persuadée.

— Merci, rougissais-je. J’essayerais de ne pas vous décevoir si cela devait arriver.

— Vous ne pourrez pas faire pire que votre mère.

— Comment ça ?


Quand elle vit le regard noir que lui adressait Emma, elle baissa les yeux et s’éloigna de nous. Même les domestiques en savaient plus que moi. Le monde à l’extérieur était-il si horrible que ça ? Pour ne pas prolonger cet instant, Emma mit de la musique et tout le monde se mit à danser, même moi. Mais dix minutes plus tard, ma mère débarqua en trombe dans la cuisine, énervée. Elle avait dû remarquer mon absence dans ma chambre.


— Où est ma fille ?

— Je suis là mère, répondis-je à la place d’Emma.

— Pourquoi n’êtes-vous pas dans votre chambre ? Je vous avais ordonné d’y rester.

— C’est de ma… commença Emma

— Je voulais vous faire une surprise, la coupais-je. Je vous ai fait un gâteau avec l’aide d’Emma.


Même si je devais mentir sur l’intention initiale de cette activité, je ne voulais pas qu’Emma soit mise en cause. Elle avait fait ça uniquement pour me remonter le moral, pour ne pas m’abandonner comme ma mère l’avait fait tant de fois.


— Vous n’avez rien à faire dans une cuisine Elena ! Vous êtes une princesse !

— J’essaye de faire des efforts pour vous plaire, mais ça vous est égal ! Tout ce que vous savez faire c’est de me rabaisser sans cesse. Si je suis une princesse, comme vous le dites si bien, traitez-moi comme tel ! m’énervais-je.

— Vos enfantillages sont vain Elena. Pour la peine, votre servante sera punie à votre place.

— Je ne vous laisserai pas faire, enchaînais-je en me plaçant devant Emma. Elle n’y est pour rien.


C’était la première fois que je défiais ma mère pour protéger quelqu’un. Le courage qui me parcourut à cet instant était bien plus puissant que celui que j’avais eu après notre sortie à l’étang. Emma n’avait rien fait de mal et je ne comptais pas laisser ma mère lui faire quoi que ce soit.


— Cessez de faire l’enfant. C’est son rôle d’être puni à votre place.

— Laissez-faire Mademoiselle, me chuchota calmement Emma.


Elle posa ses mains sur mes épaules et toute ma détermination s’envola. Comment pouvais-je protéger quelqu’un qui refusait mon aide ?


— Ce n’est pas juste, finis-je par abandonner.


Quand ma mère comprit qu’elle avait encore gagné, elle récupéra la carte magnétique d’Emma avec violence. Elle m’attrapa ensuite le bras et me tira jusque dans ma chambre avant de m’y enfermer une bonne fois pour toutes. Cette fois-ci, seule ma mère possédait la carte de ma chambre et personne ne pourrait me sortir de mon isolement. Dans celle-ci, je regardais par la fenêtre au-delà des murailles d’où je pouvais voir des arbres à perte de vue. C’était le seul accès au monde extérieur qui m’était offert. Heureusement, le sentiment d’oppression, signe avant-coureur d’une crise de claustrophobie ne vint pas. Regarder l’horizon au lieu des murs de ma chambre aidait beaucoup.

Cuisiner avec Emma n’avait duré que deux heures, mais j’avais été heureuse. Emma m’avait appris à cuisiner comme si elle était ma mère et j’avais ri et jouer avec elle comme si elle était une amie. Pour moi, Emma était bien plus qu’une servante. Sans elle, comme maintenant, j’étais perdu. Sans elle, je ne trouvais aucun sens à ma misérable vie de riche princesse prisonnière de son château. Sans elle pour me faire rire, ma chambre était ma cellule et ma mère mon geôlier.

Et aujourd’hui, à cause de moi, parce qu’elle avait voulu me sortir de ma solitude, parce qu’elle avait voulu continuer de jouer son rôle de grande sœur, elle allait payer le prix de notre amitié. Ma mère allait lui faire je ne savais quoi et j’avais l’impression que tout était ma faute. Je l’avais trahi et ne pouvais actuellement rien faire pour la sauver des griffes de ma mère et me faire pardonner.

J’étais totalement impuissante face à ma mère malgré mes nombreuses tentatives de rébellion et de fugues. Je me laissais tomber sur le lit et laissais couler mes larmes en silence, espérant que personne ne m’entendait et surtout pas ma mère. Je ne savais même pas ce qui allait arriver à Emma et ça me rendait malade.

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