Chapitre 17

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Mes jours en tant qu’Impératrice étaient interminables. À peine levée, j’avais déjà une tonne d’administratif à régler avant d’aller à la première partie de la réunion du Conseil, à dix heures. Pour m’aider dans mes débuts, les réunions avaient été programmées chaque jour, pendant un mois et ceux-ci ne se terminait qu’à dix-sept heures. Et bien évidemment, j’enchainais par deux heures de rédactions du compte rendu de la réunion du jour. Je n’étais réellement libre qu’à partir de dix-neuf, si je ne prenais pas de retard.

Mais aujourd’hui, c’était différent. Océane était restée après la réunion et avait de nouveau envahi ma chambre. Elle avait sorti une robe simple de mon armoire et l’avais posé sur mon lit. Assis à côté, elle m’attendait, toute souriante.


— Qu’est-ce qu’il se passe ? m’inquiétais-je.

— On sort. Ça fait déjà deux semaines que tu es impératrice et tu restes enfermée ici. Ça ne va pas du tout ça, ma chère.

— Et on va où ?

— Je t’invite au restaurant et Nathan viendra avec nous.

— Tu m’invites ? Non, je refuse.

— Minute papillon. C’est une invitation, tu n’as pas le droit de refuser. Et interdiction de ramener de l’argent. Tu as dix minutes pour te changer avant que je te coiffe. Aller hop, Votre Majesté, on se dépêche.

— D’accord, d’accord, rigolais-je.


Elle sortit de la chambre pour me laisser seule. J’attrapais la robe bleue à bretelle, toute simple qu’Océane avait posé sur le lit, sortie de mes ballerines beiges et récupérais un léger gilet gris dans mon armoire. Quand Océane revient dix minutes plus tard, précisément, elle m’obligea à m’installer devant le miroir de ma salle de bain. Je la regardais chercher dans les tiroirs ce qu’elle voulait. La voir si perdue, mais ne pas abandonner me fit rire. Quand elle eut enfin trouvé tout ce dont elle avait besoin, elle se plaça dans mon dos. Quand elle détacha mes cheveux, ses doigts frôlèrent ma nuque et j’eus un frisson dans le bas du dos. Heureusement, elle ne le remarqua pas. Je fermais les yeux et son odeur m’envahit. Il n’avait pas changé, toujours ce fameux mélange de roses et de pêche qui m’impressionnait. Comment pouvait-elle sentir aussi bon, sentir ce parfum alors qu’aucun de mes produits n’y correspondait ? J’étais tellement absorbé par son odeur, par ses doigts de fée dans mes cheveux que je ne sentis pas le temps passer.


— Et voilà, tu es magnifique, me complimente-t-elle.

— Merci, répondis-je en rougissant, mais gardant le contact visuel à travers le miroir.


Ses yeux étaient aussi hypnotisant que son parfum. À travers cette vitre, je ne parvenais plus à détacher mon regard du sien.


— Tu n’as pas l’habitude qu’on te fasse des compliments n’est-ce pas ?

— Pas vraiment non. À part Emma, il n’y avait personne pour le remarquer.

— Et bien, je te le dis encore alors. Tu es belle Elena, vraiment.

Je lui souris, sans rougir cette fois.

— Bon à moi de me préparer maintenant, repris-t-elle. Parce que oui, moi aussi j’ai d’autres affaires.

— Je t’attends dans la chambre.


Je sortis de la salle de bain et me positionnais devant la fenêtre pour regarder au-delà des murailles. Sortir du château ne me faisait plus peur. Ma mère m’avait accompagné la première fois puis Emma. Aujourd’hui, j’allais au restaurant avec Océane. Ma mère aussi m’y avait emmené. Cette fois-ci, ce serait différent, parce que je serais en compagnie d’une amie. Une amie qui ne prenait pas en compte mon statut d’Impératrice. Une amie qui l’était uniquement pour moi, Elena et qui me proposait des sorties. L’amie de mes plus beaux rêves. Quand elle sortit de la salle de bain, j’en restai bouche bée. Si j’étais magnifique, elle, c’était une déesse. Elle portait un magnifique chemisier blanc et un pantalon noir. Ses cheveux, d’un blond incroyable, étaient détachés et bouclés.


— Bah alors, ferme la bouche, dit-elle en rigolant.

— Excuse-moi. Mais tu… ce n’est rien, dis-je finalement en lui tournant le dos.

— Tu peux le dire, tu sais. Je ne vais pas te manger.

— Et bien dans ce cas… toi aussi tu es belle.

— Merci, rougit-elle à son tour. D’ailleurs, j’ai une autre surprise pour toi.


En faisant involontairement voler ses cheveux, elle se tourna vers le bureau et attrapa une boite recouverte d’un papier coloré. Elle revint vers moi en me le tendant. Nos doigts se frôlèrent et un léger frisson me parcourut.


— Ouvre, enchaîne-t-elle.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Ouvre, tu verras.

L’écoutant, je déchirais le papier coloré et découvris une boite que j’ouvris pour sortir un objet qui tenait dans ma main.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Un téléphone. J’ai enregistré mon numéro dessus pour que tu puisses me joindre n’importe quand. Ce sera plus simple pour se contacter.

— Mais je ne sais même pas comment ça fonctionne !

— Tu vas apprendre vite, ne t’inquiète pas. Et Emma sera là pour tout t’expliquer. Regarde, si tu veux envoyer un message, tu as juste à cliquer ici. Ensuite en appuyant là tu fais apparaître le clavier pour écrire et là pour envoyer le message.

— Oh d’accord. Merci.

— Mais de rien. On peut y aller maintenant.


Laissant ma couronne au château, pour mon plus grand bonheur, Océane me fit monter dans une petite voiture blanche toute simple. Même si des gardes nous escortaient, le fait d’être dans une voiture des plus classique, me fit sentir normal. Dans cette voiture, je n’étais pas l’impératrice. J’étais la jeune femme de dix-neuf ans, celle qui découvrait enfin la vie, l’amitié, mais surtout la liberté.


— C’est ta voiture ? la questionnais-je en chemin

— Celle de ma mère pour être exact. J’ai appris à conduire dessus avec elle quand j’avais dix-sept ans. J’ai obtenu mon permis peu de temps avant qu’elle… qu’elle disparaisse. Et maintenant, elle est à moi.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Avec ta mère ?

— Elle a toujours lutté pour mon frère et moi, pour qu’on ait une vie pas trop compliquée. Mes parents faisaient partie d’un groupe opposant à ta mère. L’armée est venue les chercher un jour et on ne les a jamais revus. Je la soupçonne de les avoir tués, comme elle a presque fait avec moi, mais sans preuve, je n’arrive pas à faire mon deuil et ne peux qu’espérer.

— Excuse-moi. Je ne voulais pas faire remonter de mauvais souvenirs.

— Au contraire. J’ai besoin de savoir ce qui leur est arrivé pour passer à autre chose. Peut-être que toi, tu pourrais savoir ce qui leur est vraiment arrivé.

— Je me renseignerais.


Arrivée en ville, Océane se gara chez elle. Nathan nous rejoignit et on se rendit à pied dans un petit restaurant plutôt sympathique. On s’installa à une table assez à l’écart et on commandait tous des pizzas.


— C’est la première fois que ma sœur invite une amie au resto ? commenta Nathan. Vous devez être quelqu’un de spécial.

— C’est le cas, enchaina Océane.

— Non, je n’ai rien de spécial. Je suis juste… moi malheureusement.

— Et vous vous êtes rencontré comment ?

— Elena m’a sauvé.

— Mais… vous êtes la princesse ? Enfin… l’Impératrice ?

— Nathan !

— Oui c’est moi. Mais ce serait possible de ne pas en parler ?


À ce repas, j’en appris un peu plus sur la famille Luisard. Nathan était actuellement en dernière année de lycée et souhaitait continuer ses études en fac de sciences. Lui et Océane n’avaient que 3 ans de différence, Océane ayant vingt ans, Nathan en ayant dix-sept. C’était leur père qui avait construit et rénové la maison familiale. C’était l’une des raisons qui expliquait pourquoi leur maison était si bien entretenue, contrairement aux autres bâtiments de la Capitale.


— Et vous, si vous n’étiez pas Impératrice, vous auriez voulu faire quelles études ? me questionna Nathan.

— Je n’y ai jamais vraiment réfléchi. Je n’ai toujours étudié que le l’économie.

— Je suppose que tu es douée avec les chiffres du coup ?

— J’espère bien ! Surtout après douze ans d’études.

— Cool. Oh, d’ailleurs, Océ m’a dit qu’elle avait trouvé un travail grâce à vous. Mais je dois avouer ne pas avoir tout compris.

— Oh ça. Océane fait partie de mes douze conseillers. Parmi ses douze, il y a les quatre précédents de ma mère, certaines grandes fortunes et d’autres, choisis par le maire de Glenharm. Même si je n’en connais réellement que deux. Ta sœur m’aide à prendre les bonnes décisions, on va dire. Il y a encore tellement de choses que je ne sais pas sur l’Empire et elle peut m’aider à en apprendre plus.


Nathan semblait aussi intelligent que sa sœur. Finalement, Océane avait eu raison de m’obliger à sortir, à aller au restaurant. En plus de rencontrer son frère, qu’elle surprotégeait, ça m’avait fait du bien de discuter, comme une jeune fille normale. Au retour, je reconnus une femme sur la place du village. J’hésitais un instant avant de me rappelais qu’elle était bien la mère d’Emma.


— Je te raccompagne, Elena ? proposa Océane.

— Non, ça ira. Il y a quelqu’un à qui je dois parler.

— Bon d’accord. Appelle-moi si tu as besoin.

— Les soldats me ramèneront, ne t’inquiète pas. Et merci encore pour le restaurant.


Après avoir salué Nathan et Océane, j’approchais de la mère d’Emme, tout en cachant le tremblement de mes mains dans les poches de mon gilet. C’était une femme de taille moyenne, les cheveux bruns, les yeux marrons et légèrement enrobés, même si ses vêtements amples cachaient ses formes. Elle ressemblait beaucoup à Emma.


— Hum… excusez-moi de vous déranger. Vous êtes bien la mère d’Emma ?


La femme se retourna et m’observa quelques instants des pieds à la tête. Une boule se formait dans ma gorge, mais je serais les poings pour ne rien faire paraitre.


— Et toi, tu es la fille de Julie. Qu’est-ce que tu veux ? commença-t-elle sur la défensive.

— J’aimerais… discuter de ma mère. J’ai cru comprendre que vous la connaissiez, la dernière fois.

— Emma est dans le coin ? Elle n’est même pas venue me dire bonjour.

— Elle n’est pas là non.

— Bon, suis-moi. Allons discuter chez moi. Tu as le moyen de prévenir Emma d’où tu es ?

— Non.


Elle sortit son téléphone de sa poche et le porta à son oreille. D’un signe de tête, elle m’invita à la suivre jusqu’à une maison en bordure de ville. Dans le petit jardin, très bien entretenu, du linge était étendu le long d’un fil, séchant au soleil. Allongée sur l’un des transats, en maillot de bain, une fille lisait un livre, au soleil.


— Eloïse, va t’habiller ! intervint la mère d’Emma en apercevant celle qui devait être sa fille.

— Mais…

— On a une invitée alors tu vas t’habiller correctement.

— Mais maman ! Mon short et mon débardeur ne sont même pas encore secs.

— Tu as plein de vêtements dans ton armoire alors dépêche-toi. Ta sœur ne va pas tarder à arriver.

— Emma ? Trop cool.


La jeune fille ne perdit pas une minute de plus. Elle referma son livre et se dépêcha de rentrer, pour se changer. La mère de famille m’invita à entrer et me proposa un verre de jus de fruits frais quand je m’assis à table. À l’étage j’entendais deux filles se disputer.


— Excuse-moi, je dois aller voir ce qu’il se passe.


Elle grimpa l’escalier en vitesse et la dispute prit fin immédiatement. Cinq minutes plus tard, la mère de famille descendit avec Eloïse et une autre jeune femme. Les deux ressemblaient beaucoup à Emma. Les filles prirent aussi un verre de jus de fruits et s’assirent à table avec moi.


— Elena, je te présente mes filles, Eloïse, la plus jeune et Juliette. Jeanne ne devrait pas tarder à rentrer et tu connais déjà Emma.

— Enchantée. Je ne savais pas qu’Emma avait autant de sœurs. Je ne l’ai appris que très récemment d’ailleurs.

— Tu veux manger quelque chose ? Je dois bien avoir des gâteaux dans les placards.

— Non merci. Je sors du restaurant.

— Moi aussi j’aimerais bien aller au restaurant, soupira Eloïse.

— On n’en a pas les moyens, chérie.

— Ouais, à cause de Juliette.

— Fais attention à ce que tu dis. Enfin bon. Tu avais des questions sur ta mère, Elena, c’est ça ?

— Oui, mais… je ne sais pas si je peux vraiment les poser.

— Tu peux tout me demander, ma grande.

— Je pense que ce n’est pas le bon moment.


La plus âgée de deux sœurs présentes, Jeanne se tourna vers moi et m’observa d’une manière insistante. Pas très à l’aise, je tentais tant bien que mal de l’ignorer.


— Il y a un problème ? finis-je par lui demander.

— Comment tu connais Emma ? Elle ne nous a jamais parlé de toi.

— Heu… et bien…

— Jeanne, intervint sa mère, ça ne te regarde pas.

— On… on travaille au même endroit, mentis-je à moitié.

— Au château impérial ? s’étonna-t-elle. C’est comment là-bas ?

— C’est lugubre, oppressant, ennuyant

— Tu es si peu à l’aise au château ? me questionna la mère d’Emma.

— Oui, madame.

— Appelle-moi Corine, s’il te plait.

— D’accord. J’ai trop de mauvais souvenirs là-bas. J’ai beau essayant d’en refaire, avec Emma, mais je n’y parviens pas. Même partie, ma mère y est encore trop présente.

— Tu travailles avec ta mère ?

— Jeanne ! Ça suffit ! Ta mère… tu parviendras à lui pardonner un jour. Quand tu y seras prête. Tous les enfants quittent le nid un jour. Même si là, c’est elle qui est partie.

— Vous savez pourquoi elle m’a abandonné, n’est-ce pas ?

— Oui. J’ai réussi à la convaincre de partir avant qu’il ne soit trop tard.


Finalement, tout semblait se résumer à une seule personne, Corine. Elle avait discuté avec ma mère, qui avait fui quelques heures après, sans me dire quoi que ce soit.


— Vous voulez dire que c’est à cause de vous qu’elle est partie ? Que j’ai été obligé de prendre un pouvoir que je ne voulais pas ?

— Ce n’est pas… excuse-moi Elena, mais j’ai fait ce que j’avais à faire. SI je n’ai rien dit toutes ses années, c’est parce que je savais ce que vivait ta mère, que ce n’était pas simple pour elle, mais elle ne m’a pas aidé non plus. J’ai tout fait pour aider ta mère et tout ce que j’ai eu en retour c’est l’impossibilité pour ma fille d’être correctement soignée. Alors oui, j’ai poussé ta mère à partir pour que tu prennes sa place, pour que tu changes les choses. Parce que je sais que tu en es capable.

— Vous auriez mieux fait de vous abstenir.

— Tu ne voulais pas te libérer de ta mère ? Tu ne voulais pas devenir impératrice ?

— Bien sûr que non ! éclatais-je.


La porte de la maison s’ouvrit au même moment et Emma entra. Je savais qu’elle avait entendu, mais elle ne disait rien. En silence, alors que tout le monde la regardait, elle ouvrit le frigo avant de le refermer et de s’asseoir avec nous sans rien avoir pris.


— Tu es l’impératrice ? s’exclama la plus jeune en comprenant enfin.

— Eloïse ! la rabroua immédiatement Emma.

— Mais… qu’est-ce que j’ai dit ?

— Elena, enchaîna-t-elle. Je sais que c’est compliqué pour toi, mais…

— Non, tu ne sais rien, tu n’es pas à ma place, l’interrompais-je.

— Le ménage a été fait dans la chambre de ta mère, sa servante personnelle a trouvé ses journaux. Elle les a mises sur ton bureau.

— Merci.

— Il serait tant de rentrer, tu ne crois pas.

— Tu as raison. Merci de m’avoir reçu, Corine.

— Reviens quand tu veux, Elena. Quand tu seras prête à savoir toute la vérité sur ta mère, je serais là.


Emma embrassa ses sœurs puis sa mère, récupéra quelques affaires dans sa chambre avant qu’on ne rentre au château. Je devais tirer un trait sur la vie d’une jeune fille ordinaire. J’étais Elena de Stinley, fille de la dictatrice Julie et désormais Impératrice. Ce passé et ce titre qui me colleraient toujours à la peau, tel un déguisement mal ajusté.

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