Chapitre 20
Cette nuit fut la plus longue de toute. Ce n’était pas la deuxième réunion du Conseil qui m’empêchait de dormir, mais le fait de savoir que j’allais revoir Océane. Je voulais lui dire ce que je ressentais pour elle, cette sensation qui me retournait l’estomac à chaque fois que je la voyais et qui me donnait le sourire. Mais comment lui parler de quelque chose que je ne savais pas moi-même ?
C’est elle qui me sortit de ma rêverie, dans la Grande Salle quand elle passa ses bras autour de mon cou et en m’embrassant sur la joue. En me retournant, son sourire créa une boule dans mon ventre. Je me levai et la pris à mon tour dans mes bras, ce qui me surprit autant qu’elle.
— Je t’ai manquée on dirait, commença-t-elle.
— Tu n’imagines même pas.
Quand je compris ce que je venais de dire, je lui tournai le dos afin qu’elle ne me voie pas rougir. J’attrapai un verre d’eau et commença à le boire.
— Serait-ce une déclaration d’amour ? me taquina-t-elle
Je m’étouffai et reposai mon verre, essayant de reprendre une respiration normale. Peine perdue, mon cœur battait tellement vite dans mes tympans que je crus qu’il allait exploser.
— Non non… ce n’est pas… enfin… bégayais-je.
Jouant avec mes doigts sans parvenir à la regarder dans les yeux. Mes joues, comme mes oreilles étaient en feu.
— Je rigolais hein, on est amies après tout, c’est normal que tu veilles me voir plus souvent.
— Euh… oui, voilà… c’est ça, répondis-je légèrement déçu.
Elle avait raison, nous n’étions qu’amies et elle ne semblait pas ressentir la même chose que moi.
— Tu es sûr que ça va ? Je ne voulais pas te blesser en disant ça. C’est juste que j’ai déjà…
— C’est bon, la coupais-je, ça va. Tu es en avance, dis-je en regardant ma montre pour changer de sujet.
— Exact, je voulais passer un peu de temps avec toi avant le Conseil.
— Vraiment ?
— Oui, je t’aime bien et être avec toi c’est cool.
— Tu… m’aimes bien ?
La situation allait trop vite pour moi. Mon cœur faisait des bons dans ma cage thoracique, et je ne savais plus quoi dire. Comment devais-je interpréter son comportement envers moi ? Un coup j’avais l’impression qu’il y avait quelque chose de réciproque, peu importe ce que c’était et l’instant d’après, toutes impressions s’envolaient, comme s’il n’y avait rien d’autre que de l’amitié et du respect entre nous.
— Évidemment que je t’aime bien. Tu m’as sauvé la vie et tu es une personne incroyable. Je suis vraiment contente de t’avoir rencontré et de te compter parmi mes amies.
— Je ne suis… qu’une amie pour toi ? tentais-je à l’encontre de ce que me dictait mon cœur et ma raison.
— Pourquoi ? Tu crois qu’il y a quoi entre nous ? demanda-t-elle visiblement surprise par ma question.
M’étais-je vraiment trompé sur elle ? Sur ce que je croyais avoir compris ?
— C’est que…
Heureusement pour moi, on se fit interrompre par l’arrivée des autres Conseillés. Elle s’éloigna pour qu’ils ne se rendent pas compte de notre relation et par la même occasion, cela m’évita de me justifier auprès d’elle. Je n’aurais même pas su quoi dire. Je me sentais terriblement bête d’avoir pu penser qu’il y aurait pu y avoir autre chose que de l’amitié entre nous. Je me sentais bête, idiote, mais surtout déçue.
Je repris rapidement mes esprits et me concentrai sur la réunion du Conseil, faisait fis de tous les sentiments contraires que je ressentais pour Océane. J’évoquai le projet de l’hôpital, les impôts et les bourses d’études. Ils acceptaient tout. Quand la réunion du Conseil se termina, je fus soulagée que tout se soit bien passé. Comme la dernière fois, Océane fut la dernière à partir.
— Tu voulais me dire quelque chose tout à l’heure, dit-elle en voulant prendre ma main.
— Ce n’est rien, oublie, ajoutai-je en retirant ma main de la sienne.
— Est-ce que j’ai dit ou fait quelque chose qui ne t’a pas plus ?
— Ce n’est pas toi, c’est… moi. Si ça ne te dérange pas, j’ai du travail.
— Bien sûr, je ne vais pas te retenir longtemps. Est-ce que tu as trouvé des informations pour internet ?
— Non, répondis-je froidement.
— Tant pis, enchaîna-t-elle visiblement touché par le ton que j’avais employé. Je vais y aller alors.
— Ouais, à la semaine prochaine.
Lui parler si froidement me faisait autant de mal qu’à elle. La seule chose que j’avais en tête actuellement était ses lèvres. Je voulais poser les miennes sur les siennes, mon cœur m’y poussait alors que ma raison me disait de ne pas le faire. Lutter contre soi-même était épuisant et douloureux.
— Elena… quoi que j’aie pu te faire, j’en suis désolée. Ce n’était pas dans mon intention de te blesser, sincèrement.
— Tu ferais mieux de partir.
— Tu as raison. À la semaine prochaine, enchaîna-t-elle tout aussi froidement.
Quand elle se retourna, j’eus l’impression que mon cœur se déchirait en deux. Je ne voulais pas qu’elle parte alors que je lui avais dit de le faire. Alors que ma vue se brouillait et que des larmes commençaient à arriver, je me retournai en direction du trône pour éviter qu’Océane ne me voie, au cas où elle décidait de m’adresser un dernier regard.
Peu de temps après, je sentis Emma me prendre dans ses bras et me frotter le dos. Mes larmes coulèrent de plus belle.
— Pourquoi ça fait si mal ? demandais-je entre deux reniflements
— C’est ça l’amour, Elena. Des hauts et des bas. Tu lui as dit ?
— Je n’ai pas réussi. Je ne suis qu’une amie pour elle.
— Tu en es vraiment sûr ?
— Je n’en sais rien, Emma ! Je ne sais même pas ce que je ressens exactement.
— J’ai plein de romans d’amour chez moi si ça peut t’aider.
— Pourquoi pas.
Je me dégageais et séchais mes larmes avant que quelqu’un d’autre ne nous remarque.
— Dis-moi Emma, ta famille a bien besoin d’argent ?
— Pour Juliette surtout, pourquoi ?
— Juliette, pourquoi ?
— Elle est atteinte d’une maladie cardiaque depuis sa naissance et les frais médicaux coûtent cher.
— Je ne sais que tu ne veux pas de mon aide, mais je veux quand même t’aider. Est-ce qu’il y a quelque chose que ta sœur sait faire ?
— Elle est plutôt douée en informatique.
— Sérieux ? Tu n’aurais pas pu me le dire avant ? J’essaie de comprendre pourquoi la connexion internet de tous les habitants est coupée dès qu’on fait certaines recherches.
— Qu’est-ce que tu essaies de me dire ?
— Si ta sœur accepte, je l’engage pour être mon informaticienne. Elle m’aidera à désinstaller les logiciels espions de ma mère et régler ce problème d’internet. Et ça vous fera un salaire supplémentaire.
— Je lui en parlerais demain. Merci Elena.
— Ça te dit qu’on aille lui proposer ensemble ? J’ai envie de sortir un peu.
— Bon très bien. Je vais me préparer alors.
— On se retrouve ici dans une demi-heure ?
— C’est parfait.
Je filai dans ma chambre pour changer de robe et récupérer ma couronne. Je mis une robe bleue à bretelle, courte jusqu’aux genoux. Il faisait tellement chaud dehors que je n’avais même pas besoin de prendre de gilet. Dès qu’on fut prête à partir, on monta toutes les deux dans la même voiture, accompagnées de gardes.
— J’ai quelques courses à faire avant de passer chez moi, ça ne te dérange pas ?
— Pas du tout. Je vais marcher un peu.
— À tout de suite alors.
La vérité, c’était que je voulais parler à Océane, m’excuser. Je voulais tout lui expliquer, mais j’en étais incapable. Je ne savais pas quoi lui dire. Alors que je marchais tête baisser en jouant avec mes doigts, j’entendis chuchoter autour de moi. C’est elle, disait-il. Je me redressai et observai les villageois autour de moi. C’était de la peur que je voyais dans leurs yeux. Je pris ma couronne dans les mains et la désignée aux villageois.
— C’est de ça que vous avez peur ? leur demandais-je inquiète.
— Oui Votre Majesté, répondit un homme. Êtes-vous là pour nous arrêter ?
— Vous arrêtez ? Pourquoi je ferais ça ? À ce que j’en sais, vous n’avez rien fait.
— C’est que… habituellement… reprit une femme.
— Je comprends. Ma mère c’est ça ? Prenez là, dis-je à un garde en lui tendant ma couronne. Je ne suis pas là en tant qu’Impératrice de toute façon. Je voulais juste ma…
Quand j’aperçus Océane au loin, mon cœur s’accéléra mais je restai pétrifiée. Devais-je la rejoindre pour tout lui expliquer ? Devais-je attendre de mieux comprendre mes sentiments pour comprendre les siens ? Un garde m’interpella, me ramenant à la réalité.
— Tout va bien Votre Majesté ?
— Oui, répondis-je en tournant la tête vers lui. Je vais bien.
Je regardai à nouveau là où était Océane, mais elle avait disparu. M’évitait-elle ? En baissant à nouveau les yeux, je repris ma marche, ne sachant absolument pas où aller. Hormis la famille d’Océane et celle d’Emma, je ne connaissais personne ici. Quelques minutes plus tard, une voix que je reconnus m’interrompit.
— Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, mais je crois que ma sœur est fâchée contre toi.
— C’est normal Nathan, repris-je.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
— Je ne suis qu’une amie pour elle. Je voudrais lui dire ce que je ressens exactement, mais j’en suis incapable, avouais-je facilement.
— Tu l’aimes c’est ça ? Bah, ma pauvre, c’est compliquer l’amour. En tout cas, je peux te dire que tu n’es pas qu’une simple amie pour ma sœur.
— Comment ça ?
— Elle ne te protégerait pas autant sinon. Elle tient beaucoup à toi, plus qu’avec ses amis. Tu fais partie de sa famille Elena et ça, c’est être plus qu’amie.
— Tu crois que je devrais lui dire ?
— J’en suis persuadé. Même si au final elle te dit non, tu seras soulagé d’en avoir parlé et votre relation ne pourra que s’améliorer.
— Merci Nathan, je sais quoi faire maintenant.
— Tu viens faire quoi par ici sinon ?
— Voir la famille d’Emma et proposer un travail à l’une de ses sœurs.
— Emma… ta servante c’est ça ?
— Techniquement oui, mais c’est surtout ma meilleure amie.
— Je ne vais pas te retenir longtemps alors. Ravie d’avoir pu t’aider.
Il s’éloigna en même temps qu’Emma me retrouva. Le garde me redonna ma couronne et c’est en silence qu’on se dirigea vers sa maison. Sa mère nous accueillit avec des boissons fraîches et j’en profitai pour évoquer ma proposition avec Juliette. Elle accepta presque aussitôt, contente de pouvoir mettre en application toutes ses connaissances informatiques. Ayant déjà un ordinateur, je n’avais pas besoin de lui en racheter un. C’est ainsi que l’on conclue toutes les deux sa prise de poste dès le lendemain à neuf heures. Une voiture de l’armée viendrait la chercher.
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