Chapitre 21
Le lendemain, même si Emma m’avait réveillée une heure avant l’arrivée de Juliette, je n’étais toujours pas prête à l’accueillir. Mes cernes sous les yeux en disaient long sur la nuit que je venais de passer. Je me sentais bête et stupide. À cause de mes sentiments, j’avais abandonné une amie, celle qui comptait le plus pour moi. Pour Océane, je n’étais qu’une amie et ça me brisait le cœur de le reconnaître.
La veille, au village, nous nous étions croisées et elle m’avait tourné le dos comme si je n’étais personne. Je l’avais déçu et la culpabilité qui parcourait mes veines était violente. Devais-je aller la retrouver pour tout lui dire et m’excuser ? Devais-je lui laisser le temps ? Toutes ses questions, je n’aurais jamais pu les imaginer ses dix-neuf dernières années. J’avais loupé tellement d’expérience à cause de ma mère qu’à chaque fois qu’une situation nouvelle se présentait, je ne savais jamais comment agir.
— Elena ? m’interpella Emma en passant sa main devant mes yeux
— Excuse-moi, j’arrive dans un instant.
— Juliette comprendra si tu ne te sens pas assez bien pour l’accueillir. Tu as juste à me dire quoi faire.
— Je vais bien.
— Très bien. On va t’attendre dans la Grande Salle alors.
Je regardais le miroir de ma salle de bain, redressais les épaules et pris une grande inspiration. Faignant un sourire, j’attrapai ma couronne en sortant de ma chambre. Comme prévu, les deux sœurs se trouvaient dans la Grande Salle, discutant dans les bras l’une de l’autre.
— Enchantée Juliette, commençais-je en lui tendant une main peu sereine.
— Merci à vous de m’accorder cette chance, Votre Majesté.
— Tu peux me tutoyer. Je t’avoue que le vouvoiement me fait trop penser à ma mère.
— Qu’est-ce que tu voudrais que je fasse exactement ? Pour te prouver mes capacités ?
— Si tu arrives à désactiver les logiciels espions de ma mère, ce sera déjà génial.
— Qu’est-ce que tu sais sur ses logiciels ?
Elle installa son ordinateur sur la table et plusieurs pages s’ouvrirent. Incapable de comprendre quoi que ce soit, je sus qu’elle était la personne idéale pour régler tous mes problèmes informatiques. Cet ordinateur portable avait l’air surpuissant. Ma mère en avait eu un, quelques années auparavant.
— Rien du tout. Désolé de ne pas pouvoir t’aider plus, répondis-je après avoir détourné les yeux de son ordinateur.
— Ce n’est rien. Je vais en avoir pour plusieurs heures, peut-être même pour la journée.
— Prends ton temps. Je ne suis pas l’un de ses patrons qui comparent le temps à l’argent.
— Je n’en ai jamais douté.
Elle se concentra sur son ordinateur et se mit à taper sur le clavier. Je savais qu’il valait mieux ne pas la déranger et voulu quitter la pièce. Emma me retint à peine deux pas après et me tira au fond de la salle.
— Maintenant, tu vas me dire ce qu’il ne va pas.
— Je n’ai pas envie d’en parler, enchaînai-je en croisant les bras et en lui tournant le dos.
— Elena, souffla-t-elle. C’est Océane, c’est ça ?
— Pourquoi tous mes essais se terminaient-ils en échec ? J’ai voulu dire à Océane que je ressentais et je l’ai perdue, avouais-je. Je ne sais pas si je dois l’appeler ou si je dois attendre. Je l’ai blessée, Emma et je ne sais pas ce que je dois faire.
— Tu es perdue, ça se comprend. Mais es-tu vraiment sûr de l’avoir perdue ?
— Elle m’a tourné le dos hier au village. Son message était clair.
— L’Océane que je connaissais, n’aurais jamais tourné le dos à quelqu’un sans bonne raison. Tu as peut-être mal interprété son action ?
— Je me souviens que tu l’avais reconnue, dans la cellule.
— Peut-être qu’elle voulait juste te laisser un peu de temps pour comprendre ce que tu ressens vraiment. Tout ça, c’est tellement nouveau pour toi.
— Je devrais l’appeler ?
— Au moins, lui envoyer un message d’excuse. Si elle est en colère contre toi, tu le sauras tout de suite. Si ce n’est pas le cas, elle t’appellera peut-être d’elle-même pour mettre les choses au clair.
— Un message d’excuse donc. J’espère y arriver, pour une première.
— N’oublie pas que je suis là si tu as besoin d’aide.
— Merci Emma.
Elle m’embrassa sur le front avant d’aller retrouver sa sœur. Elles avaient l’air heureuse et proche toutes les deux. Comme s’il n’y avait plus aucun problème quand elles étaient réunies. Exactement la même sensation que j’avais en présence d’Océane. Il me suffisait de la voir, même de loin, pour que mon cœur devienne aussi léger qu’une plume.
Je sortis de la Grande Salle pour prendre mon téléphone dans ma chambre. Je m’assis sur mon lit et restai immobile pendant une bonne dizaine de minutes, incapable d’écrire le moindre mot. Je ne savais même pas quoi lui dire. Une demi-heure plus tard, je finis par lui envoyer un simple « excuse-moi », espérant qu’elle ne m’en voulait pas et qu’elle parlerait à ma place.
À peine cinq minutes après l’envoi du message je reçus sa réponse. « Retrouve-moi dans une heure devant chez moi avec des affaires de piscines. Je veux te faire découvrir quelque chose. » Heureuse, je préparais aussitôt un sac et mis mon maillot de bain, deux-pièces bleus, directement sur moi. J’étais une bonne nageuse et j’avais hâte de le monter à Océane. La natation était le seul sport que ma mère m’avait autorisé. J’avais toujours nagé dans l’étang de la propriété.
Ma mère m’avait elle-même appris à nager quand j’avais six ans. À ce moment-là, elle se préoccupait encore un peu de moi. Même si elle en voulait toujours plus, m’épuisant jusqu’à la fin de chaque cours, c’étaient les seuls moments où je pouvais passer un peu de temps avec elle. Les seuls moments où j’étais heureuse. Grâce à elle, je ne pourrais jamais me noyer. Grâce à elle, je pouvais sûrement battre d’autres grands nageurs. Peut-être étais-je même plus douée qu’Océane.
Dès que mon sac fut prêt, je mis une légère robe bleue avant d’aller prévenir Emma. Je dus l’accompagner en cuisine. Je ne savais pas combien de temps allait durer ce rendez-vous, mais j’espérais qu’il dure le plus longtemps possible. Emma me prépara rapidement un panier repas froid pour ce midi, au cas où.
— Tu crois que je devrais lui dire ? Et si elle me repousse complètement après ? Et si…
— Arrête de te prendre la tête pour rien, Elena. Vas-y sans rien espérer, comme ça, pas de faux espoirs. Le principal c’est que tu t’amuses.
— Mais, et si…
— Stop ! s’exclama-t-elle en plaquant le panier-repas contre ma poitrine. N’y pense plus et amuse-toi. File avant d’être en retard.
— C’est bon, j’y vais. Merci.
Je déposais un baiser sur sa joue avant de me dépêcher d’aller au point de rendez-vous. J’y allais en voiture, accompagnée de deux gardes puis marchais jusqu’à la place. Arrivant pile à l’heure, je vis Océane sortir de sa maison et m’adresser un grand sourire en m’apercevant. Vêtue d’un débardeur blanc, recouvrant seulement sa poitrine et d’un short en jean, elle rayonnait sous ses lunettes de soleil et son chapeau de paille. Une serviette sur l’épaule, elle s’approcha de moi, m’attrapa la main et me tira pour que je la suive. À son contact, mes oreilles s’enflammèrent et un frisson parcourut ma colonne vertébrale.
On marcha pendant une bonne dizaine de minutes main dans la main, même si pour elle, ça ne devait pas dire grand-chose. On arriva devant un immense lac dont l’eau était aussi bleue et claire que le ciel. La plage était faite d’un sable fin qui renvoyait la lumière du soleil. Océane enleva ses chaussures et je fis de même. Le sable était chaud et doux. C’était d’ailleurs la première fois que je voyais du sable en vrai.
Lentement et silencieusement, Océane se déshabilla en dévoilant un maillot de bain deux pièces, blanc et de magnifiques abdos. Je détournais les yeux quand elle se tourna vers moi, en installant sa serviette sur le sable. Cette fois, j’étais vraiment sûre de mes sentiments, je l’aimais et rien ne pourrait me faire changer d’avis.
— Ma mère m’emmenait ici à chaque fois que je n’allais pas bien, pour que je lui parle, commença-t-elle.
— C’est magnifique.
— La dernière fois que je suis venu avec elle, c’était peu de temps avant son arrestation. Ici, c’est un peu mon coin de paradis.
— Ta mère devait être géniale.
— Elle l’était. Je t’ai emmené ici parce que je me suis dit que ce serait plus simple pour parler. Comme je le faisais avec ma mère. Mais avant, tu sais nager ?
— Oui, répondis-je modeste.
Si je devais la conquérir petit à petit, il ne valait mieux pas que je joue toutes mes cartes en une seule fois.
— Rejoins-moi dans l’eau alors. Attention, elle est un peu froide.
En effet, l’eau était légèrement fraîche, mais c’était agréable, surtout par cette chaleur. Océane était déjà loin de la plage, à quelque mettre. En à peine deux minutes, je la rejoignis en brasse. Là où nous étions, aucune de nous n’avait pied.
— Je suis nulle pour faire des excuses, mais… commençais-je.
— Ce n’est rien, c’est déjà oublié.
— Mais hier… au village…
— Tu l’as mal pris ? C’est à moi de m’excuser alors. J’étais attendu quelque part et j’étais plus qu’en retard. Qu’est-ce que je déteste être en retard !
Sa remarque me fit rire, oubliant toute la peine que cela m’avait fait.
— Dis-moi, tu nages drôlement bien pour une Princesse prisonnière du château, remarqua-t-elle.
— Il y a un étang dans les jardins du château. Tu faisais du sport toi ? demandai-je pour ne rien dire sur ma facilité à nager.
— J’ai fait du karaté pendant longtemps. J’ai malheureusement dû tout stopper quand mes parents ont été arrêtés, mais j’étais douée.
— Vraiment ? Douée comment ?
— Triple championne de l’Empire. C’est le plus haut titre qu’un sportif puisse espérer. Pour le moment du moins.
— Trois fois championne ? C’est incroyable.
— Je suis actuellement imbattue depuis plus de cinq ans.
Voilà qui expliquait ses abdos magnifiquement sculptés, ses épaules larges et ses muscles des bras et des jambes bien développés. Elle devait être incroyablement forte, en plus d’être magnifique.
— Ma question va te paraitre absurde, mais… c’est quoi le karaté ? demandais-je en baissant les yeux et en rougissant. Je me sentais extrêmement ignorante.
— Ce n’est pas absurde, surtout venant de toi. C’est un sport de combat. Tu as le judo, qui est surtout basé sur la défense et le karaté qui est surtout basé sur l’attaque.
— Ma mère autorisait vraiment ça ?
— Oui pour pouvoir mieux nous contrôler. Elle nous faisait croire qu’on était capable de se défendre contre les gardes, mais ce n’était qu’une illusion. Quand ils sont venus m’arrêter, même mes trois médailles d’or ne rivalisaient pas. Pas avec les techniques de combats qu’ils apprenaient et leur FAMAS électromagnétique.
Passer la journée avec elle me fit un bien fou. Plus je passais du temps avec elle, plus j’en apprenais sur mes sentiments et plus je les comprenais. Vers seize heures, alors qu’on bronzait sur le sable, allongée sur nos serviettes, mon téléphone sonna dans mon sac. J’adressais un regard à Océane qui me fit signe que je pouvais répondre. Je ne voulais pas gâcher ce merveilleux moment que je passais avec elle.
— Allô ?
— Excuse-moi de te déranger mais le comptable de ta mère est là. Il a plusieurs chose urgente à te montrer. Je reconnus la voix d’Emma.
— Pourquoi ?
— Il n’a rien voulu me dire.
— Bon très bien, j’arrive.
Je raccrochais et me rhabillais en vitesse. J’aimais être avec Océane, mais il y avait plus important. Si le comptable de ma mère voulait me parler, c’est que ça avait un lien avec la trésorerie impériale.
— Excuse-moi Océane, je serais bien restée plus longtemps, mais on a besoin de moi au château.
— Besoin d’aide ?
— Pas vraiment. Mais si tu veux venir, je ne t’en empêche pas.
— Alors je viens.
On se rhabilla et on rentra au château ensemble, après avoir ranger nos affaires.
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