Chapitre 2
L’arrivée de la Mage Supérieure dans l’hémicycle siliceux répandit une stupeur glaçante dans toute l’assemblée, tout l’auditoire devint alors soudainement silencieux. Affublée de sa coiffe rouge sang, faite à partir des plus belles plumes de nasari ardents, et signe du plus haut rang dans la hiérarchie sacrée, elle prit place devant le pilier de granit. Sondant l’esprit de chacun des participants, en les scrutant un par un, pendant de longues minutes, elle prit une forte inspiration et proclama d’une voix tonitruante, presque habitée :
— “Chers enfants des dunes et des flots, profitez de cette nudité innocente qui ne durera qu’un temps, lointain écho de cette genèse, de cette aube créatrice, qui vous rassemble tous, chérissez-la, préservez-la, entretenez-la, vous êtes un tout. Nulle caste, nulle diversité, nulle nuance ne saurait demeurer en ces lieux précieux où déferle un élan d’unicité éclatante, vous êtes abrités, vous êtes un tout. Regardez-vous, identifiez-vous, rappelez-vous bien de chacun de vos visages, ancrez au sein de votre âme les traits de vos égaux, vous le faites pour vous, pour nous, pour tous, votre cohésion est la clef qui déverrouillera les portes de notre félicité, vous êtes un tout. En ce jour béni, succédant directement à la fabuleuse Heure Dorée et son introspection gratifiée, remémorons-nous le sacrifice de notre glorieuse ainée, Rinn, que son âme flamboyante se ravive à travers vos exploits. Rinn apporte à Zheaa !”
Toute l’assemblée hurla, à l’unisson, avec une ferveur dévote : “RINN APPORTE À ZHEAA ! RINN APPORTE À ZHEAA ! RINN APPORTE À ZHEAA !” La Mage Supérieure reprit d’un ton harangueur :
— “Remémorons-nous les nombreuses épreuves qu’elle dut subir ! Remémorons-nous la traversée du Désert des Douze Complaintes ! Remémorons-nous son arrivée au bord du Lac Assoupi ! Remémorons-nous son errance sur la Mer des Espérances ! Remémorons-nous, tous, la raison de tous ces malheurs, car vous
devrez, comme chacun sait, les traverser dès l’aube. Remémorons-nous cette sororité, guérisseuse de toutes souffrances, lien immuable entre nos âme-sœurs, mais surtout gardez en tête que seule une harmonie de vos corps et de vos esprits pourra triompher de tous ces tourments, vous êtes un tout. Il se peut que pendant ces mois éreintants la peur submerge votre raison, ne résistez pas, accueillez-la comme une amie, laissez-la se loger dans vos pensées, la peur mène à l'éternité, sans elle vous serez perdus. Regardez-vous encore une fois mes chers enfants, prenez le temps d’explorer le fond de l’âme de chacun, aucun d’entre vous ne doit être une énigme pour son prochain. Rinn apporte à Zheaa !”
Tous les jeunes récidivèrent encore plus fort que la première fois : “RINN APPORTE À ZHEAA !! RINN APPORTE À ZHEAA !! RINN APPORTE À ZHEAA !!!”
— Que la célébration commence ! Venez donc tous vous faire purifier ! entonna la Mage.
Tous les membres présents de l’ordre des Deux Sœurs se mirent alors en ligne aux côtés de la Mage Supérieure. La Purification se faisait ainsi, chaque jeune participant était prié de s’avancer vers le membre le plus proche. Il était alors recouvert de sable et frotté énergiquement, de la tête aux pieds, en n’oubliant surtout pas les jambes, pendant quelques secondes, par ce dernier, puis rincé avec une eau infusée aux pétales de chacune des fleurs que l’on trouvait sur l’équateur. Le sable suivi de l’eau, vision concrète de ce qui les attendait lors de ce périple, mais surtout un rappel aux deux composantes principales constituant Veroon-2.
Ce fut au tour de Zef de s’avancer devant le peloton de purification, il fut l’un des rares à être appelé par la Mage Supérieure, honoré, il s’empressa de la rejoindre. De ses mains décharnées et fripées, elle le décapa en une fraction de seconde, son habilité et sa poigne contrastait fortement avec son âge avancé. Jamais Zef n’eut connu une telle douleur depuis sa création, sa peau, rougie par la torture, lui semblait être en lambeaux. Heureusement l’eau fraîche rédemptrice qui suivit apaisa cette souffrance. L’ancienne profita de cette ablution parfumée pour lui glisser quelques mots alarmants à l’oreille :
— Ne portez pas préjudice à votre famille, jeune maître.
À l’écoute de ces terribles mots, Zef se figea complétement, et le temps avec lui. Comment avait-elle pu le reconnaître ? Lui qui ne sortait jamais de chez lui, et qui ne se mêlait à la population qu’en de rares occasions. Qui était-elle ? Une lointaine aïeule dont il n’avait eu aucune connaissance jusqu'à aujourd’hui ? Était-ce cette vile Tagg qui l’avait mise au courant ? Ou bien son père ... Son père serait derrière tout ça ? Son père aurait aussi peu confiance en lui, qu’il aurait disséminé des sous-fifres un peu partout sur sa route ? Y en aurait-il chez les participants également ? Le sont-ils peut-être tous ? Étaient-ils présents pour l’épier, le materner ou pire encore, le saboter ? Zef se perdit dans une paranoïa maladive, tout hébété, il ne put émettre aucun son, aucune réaction, impossible pour lui de répondre à cette sentence. Sans même s’en rendre compte il se dirigea lentement vers les participants déjà purifiés et attendit la fin de la grande purification. Une multitude de questions se bousculait dans sa tête, chaque fois qu’il tournait le regard, un potentiel délateur pouvait l’observer, il en était persuadé. L’attente lui parut interminable au beau milieu de ces éventuels traitres, son pouls n’arrêtait pas d’accélérer et une sueur aigre perlait de tout son corps. Même sans être physiquement présent son père détenait le pouvoir de le mettre dans un tel état de torpeur, l’emprise de son paternel semblait sans frontière. Quand arriva enfin le dernier baptisé, la cérémonie put se prolonger. La Mage Supérieure reprit la parole :
— “Ainsi, grâce au sable abrasif et à l’eau génitrice, vous voilà désormais sur la voie de la maturité, épurés de toutes candeurs et autres crédulités. Spirituellement apte au voyage qui vous attend, nul ne saurait se mettre en travers de votre route à présent. Passons maintenant aux célébrations, il est enfin temps de se perdre dans les harmonies cristallines de nos ancêtres, de vibrer à des fréquences presque oubliées, et d’honorer nos Deux Sœurs comme il se doit !”
À ces mots, un son, qui semblait venir des entrailles du désert, se propagea dans toute la plaine défraîchie. Les dévots de l’Ordre, toujours en ligne, s'étaient mis à jouer en cadence, frappant, avec acharnement, leurs durumi, une sorte d’énorme tambour Kasta orné de défenses de zaanas. Le son produit par ces percussions pouvait, d’après d'archaïques légendes verooniennes, fusionner les âmes de toutes les personnes l’ayant écouté au même moment et au même endroit, elles devenaient alors connectées à jamais, dans un amalgame spirituel infini. Une chose est sûre, c’est que cette fois-ci, une âme réfractaire ne put se joindre à l’extase collective.
Au milieu de cette foule hystérique, ballotté de toutes parts, Zef, encore troublé par les mots susurrés par la Mage, n’arrivait pas à entrer dans la danse. Impossible pour lui de se libérer, de lâcher prise, de prendre part à ce ballet halluciné, la terrible parole le replongeait, à chaque fois, au plein cœur de la réalité. De tous côtés, les corps, se confondaient, s’entremêlaient, s’entrechoquaient, le pouvoir des durumi semblait bien réel. Étant le seul à être lucide, Zef remarqua un phénomène peu ordinaire. En effet, les marques gravées sur le pilier central commençaient peu à peu à scintiller, une faible lueur bleutée émanait de l’alphabet inconnu. Se trouvait-il en plein songe ? Était-il le seul à pouvoir les voir ? Malgré sa nature incrédule, il se trouvait dans l’incapacité de trouver une explication concrète à cet étincelant prodige. Alors que personne ne semblait y prêter attention, l’éclat continua à s’intensifier, jusqu’à atteindre un tel niveau d’intensité, qu’il finit, dans une bourrasque éblouissante, par aveugler le jeune Zef qui tomba à la renverse, totalement sonné. Il resta allongé par terre, totalement inconscient, jusqu’à la fin de la célébration, se faisant piétiner par l’entièreté de ses camarades en prise à la démence.
Le bal frénétique, ayant duré jusqu’en début de soirée, finit enfin par se terminer. Les jeunes, tout essoufflés, se remirent, mécaniquement en rangs serrés, sans même s’en rendre compte, la graine de l’obéissance germait doucement dans leurs esprits fertiles. L’euphorie s’échappant peu à peu des chairs, nombre de novices ressentirent une fatigue foudroyante, assommante. Connu sous le nom d’Expurgation des Vanités, cet état, fréquent chez les adeptes les plus faibles, signifiait, d’après la croyance commune, qu’à travers toutes ces douleurs physiques fulgurantes, le jeune fidèle se libérait de toutes impuissances. Toute la faiblesse qui le caractérisait s’éclipsait par la souffrance. Zef ne faisait pas partie de ceux-là, étendu sur le sol depuis des heures, à l’écart des autres, aucun tourment n’éprouvait encore son corps. Interpellé par cette scène minable, un jeune veroonien du nom d’Assir, rompit vaillamment les rangs et alla lui porter secours.
Assir était un grand et fier jeune homme, à la peau foncée et à l’allure chaleureuse. Plus âgé que Zef d’à peine un an, la différence physique entre les deux, était tout de même criante. Sous son corps élancé transparaissait une maturité précoce et imposée, stigmate d’une ébauche de vie faite de labeur et d’inquiétudes. Meneur d’âmes naturel, son charisme transcendait les êtres qui l’entouraient, quiconque croisait sa route voyait ses espérances atteindre leurs buts. Il savait, à l’aide de son sourire envoutant, et d’une aisance astucieuse innée, se sortir de n’importe quelle situa-
-tion critique, c’était la plus redoutable de ses nombreuses aptitudes. Relevant doucement Zef, il lui dit :
— Un peu d’cran mon ami ! Rien d’casser ?
— Que … Que s’est-il passé ? Pourquoi vous ne dansez plus ? Les soleils se couchent déjà ? Répondit Zef, essayant d’émerger tant bien que mal.
— Doucement, doucement … Les trois soleils n’t’ont pas raté à c’que je vois ! Rétorqua Assir, en souriant.
L’éclat de son sourire fit écho dans les souvenirs de Zef, les gravures étincelantes rayonnèrent à nouveau dans sa mémoire :
— La Pierre ! Le Pilier ! Tu l’as vu aussi ?! Dis-moi que tu l’as vu ! s'écria Zef, les yeux écarquillés.
Assir voulu lui répondre par la négative, mais fut interrompu et réprimandé sévèrement par la Mage Supérieure :
— Assez ! Vous deux, rentrez dans les rangs, tout le monde vous attend.
Assir s’exécuta sans broncher, Zef, de son côté, mit un petit moment pour revenir à lui, il devait digérer trop d’informations en très peu de temps, son esprit ne suivait pas, mais finit tout de même par se replacer discrètement, la Mage put continuer :
— Vous tous, avez honoré les Deux Sœurs, toute la journée durant, comme il se doit, félicitez-vous ! RINN APPORTE À ZHEAA !
Et les jeunes, dont Zef qui tentait tant bien que mal de se réajuster au rythme de l’assistance, reprirent en cœur : — “RINN APPORTE À ZHEAA !”
— “Un repos bien mérité vous attend patiemment, poursuivit la Mage, mais avant cela, maintenant que vos âmes sont à jamais connectées, n’oubliez jamais de penser comme un tout, vous êtes un tout. Placez votre main gauche sur l'échine qui vous fait face, et votre autre main sur l’épaule avoisinante, ressentez ces corps, ressentez votre corps, ils ne font qu’un.”
Zef, lui aussi obéit à cette injonction, malgré son embarras, et posa sa main sur la personne de devant. Au contact de l’épiderme étranger, une inquiétante sensation, pareille à une onde intérieure, remonta le long de son bras, finissant sa course jusqu’aux profondeurs de ses entrailles. Cette brise psychique mit en éveil tous ses sens, brisa son individualité et décupla ses émotions, étaient-ce seulement les siennes ? Il semblait réellement connecté à tous ceux qui l’entouraient, était-il le seul à éprouver cela ? Était-ce le pouvoir des durumi ? Il eut l’impression de voir, de ressentir la scène par des milliers de points de vue différents, au même moment. “Quelle sensation singulière ! “ se dit-il.
Le rapprochement corporel dura quelques minutes puis La Mage continua :
— “Rien n’est plus magique que ce moment. Ce moment où l’union se cristallise enfin, ce moment où votre pupille détendue semble percer tous les mystères encore inconnus de notre immense et généreuse galaxie, ce moment où vous vous rendez compte que tous ces sermons, toutes ces paroles qui, depuis le début de cette cérémonie, et plus largement de votre courte vie, vous entourent, vous enveloppent, ne sont pas vaines. J’ai pu le percevoir lors de dizaines et dizaines de cérémonies différentes, et je ne m’en lasserai sans doute jamais. Vous pouvez maintenant vous dénouer, la connexion est établie, plus forte que jamais. A présent, les Initiés vont vous faire parvenir, à tous, une besace remplie à ras bord de ce qui constituera votre seule pitance tout le long de cette éprouvante épreuve, recourez-y avec sagacité, ce sera la seule.”
Les Initiés firent donc passer dans les rangs les nombreuses sacoches alimentaires. Zef reçut la sienne et fut surpris par la frugalité de cette collation. En effet, le sac était rempli de minuscu-
-les barres nourrissantes pouvant couvrir les apports journaliers d’un veroonien moyen. Composées d’un mélange de viande d’izarid bicéphale, séchée aux trois soleils, de divers fruits confis venants de l’opulent équateur, et de graisse de samak froide, seul élément sur tout Veroon-2 ayant la particularité de ne fondre qu’à de très hautes températures, pour lier le tout. Chacun de ces aliments faisait partie de la sobre diète de Rinn lors de son voyage, il est donc logique que tous ces jeunes y aient recours lors du leur. Pendant la distribution de tous ces paquetages, la Mage Supérieure poursuivit :
— “Délectez-vous dès maintenant d’un de ces menus présents, votre vivacité en sera vite restaurée. Mettez-vous une nouvelle fois à la place de notre Sœur Rinn, tous ces goûts métissés que vous savourez en ce moment même, furent également les siens”
À ces mots, Zef, affamé, dévora sa première barre en seule bouchée, ses camarades firent de même, avec la même hargne. Il avait beau avoir déjà goûté et aimé ces ingrédients de façon individuelle, l’association de ces derniers lui parut infame. Le simple fait de penser à tous ces jours prochains, avec comme seule source nutritive cet abject repas, dégouta Zef au plus haut point.
— L’eau fraîche tant attendue vous attend dans chacune de ces tentes, bien à l’abri des trois soleils, ajouta la Mage, vous pourrez enfin vous désaltérer lorsque ma parole aboutira, et cela ne durera pas, ne vous inquiétez pas. Il y a un aspect fondamental de cette épreuve que je n’ai pas encore abordé et que j’aimerais éclaircir, un aspect que vous avez tous en tête depuis votre naissance, un aspect qui sera ancré dans votre esprit tout le long de cette aventure, la Ruée. Vous savez tous de quoi il s’agit, vous connaissez tous les récompenses qui y sont consacrées, je ne m’éterniserai pas là-dessus. Gardez juste en tête que l’honneur de vos familles, l’honn-
-eur de votre région perdurera dans votre consécration. Sur ce, répartissez-vous dans vos bivouacs, où une nuit réparatrice vous tend les bras. Que la peur veille sur l’éternité. RINN APPORTE À ZHEAA !
Zef, cette fois-ci, ne répliqua pas à cette devise, trop préoccupé par cette Ruée dont il avait complétement oublié l’existence ces derniers jours.
La Ruée est une compétition annexe au Rituel des Deux Sœurs, le principe, élémentaire, consiste à être la première de toutes les régions de Veroon-2 à accomplir le rituel dans son intégralité. Les vainqueurs gagnent le titre de “Had’Elfi” pour toute leur existence, l’une des plus hautes distinctions de l'autocratie veroonienne, et le droit à un solde annuel conséquent. Cette course permet donc de gravir l’échelle sociale de façon éclair. Les participants ayant tout de même réussi à achever ce rituel, et ce, même après les grands gagnants, ne sont pas discréditer pour autant, leur rituel est accompli, mais leurs noms seront oubliés de tous. La région qui détenait la victoire, jusqu’à présent, était celle de Zef, la région centrale. La pression sur leurs épaules n’en était que plus importante.
Zef fut parmi les derniers à arriver au niveau des tentes, presque tout le monde avait déjà trouvé sa place. Errant, seul, au milieu de toutes ces toiles ambrées, une voix familière l’interpella :
— Hé mon ami ! Par ici ! D’l’autre côté ! Tu n’t’es toujours pas remis du coup d’cagnard à c’que j’vois !
Zef chercha un moment, puis se tourna enfin dans la bonne direction. Il aperçut Assir et son large sourire qui l’invitait à le rejoindre. Après un petit moment de réflexion il se pressa d’aller à sa rencontre.
— “Il reste une place ici, sois le bienvenu, annonça Assir. J’ai oublié de m’présenter tout à l’heure, moi c’est Assir ! Assir Kaslan ! Et elle c'est ma petite sœur Siti ! Siti Kaslan ! Viens entre et installe-toi.”
Zef se faufila alors dans la tente et s’assit à même le sol.
La petite sœur d’Assir, comme il aimait l’appeler, était en fait sa sœur jumelle. De même taille et de corpulence semblable, Siti avait une allure bien plus belliqueuse que son frère. Son regard noir et perçant semblait perforer l’âme de son interlocuteur. Zef ne dérogea pas à la règle, et fut saisi par ces deux trous noirs dévoreurs de mondes.
— Tu vas me dévisager encore longtemps ? Demanda Siti, d’une voix ferme et menaçante.
— Désolé je … je suis fatigué, répondit mollement Zef.
— Ne terrorise pas notre jeune invité toi ! S'exclama à son tour Assir, tout enjoué, à toi de te présenter, mon vieux !
— Zef, mon nom est Zef.
— Zef ! Zef ? Tiens … ça m’dit quelque chose … Sûrement un lointain cousin, répondit Assir, perplexe.
Zef fut pris d’une panique intérieure à ces simples mots, sa paranoïa, éteinte jusqu’alors, reprit le dessus. Faisaient-ils partie du complot paternel eux aussi ?
— Et ton nom ? Interrogea Siti.
— Juste, Zef.
— Eh bien Zef, juste Zef, ironisa Assir en désignant l’intérieur étriqué de la tente, tu es ici, chez toi, nous sommes frères et sœurs maintenant après tout !
Zef fit un sobre signe de la tête en guise de remerciement, évitant par tous les moyens de replonger dans le regard opaque de Siti, qui ne le lâchait pas des yeux.
— Arrête Siti, tu l’mets mal à l’aise, l’avertit Assir, Il est ton égal, souviens-toi. Passons ... Dis-moi Zef, j’ai une question qui m'obsède depuis tout à l’heure, quand je t’ai relevé, tu parlais d’quoi ? Du pilier ? De la pie...
— Rien d’important ! S'emporta Zef, ne laissant pas Assir finir sa phrase. Je suis désolé, mais j’aimerais dormir maintenant.
—Bien, bien … Compris. Tu ne m’as pas l’air bien loquace toi, j’me trompe ? Boah ça n’fait rien, on aura tout le temps pour apprendre à s’connaître de toute façon !
— Pas loquace ? Au moins un bon point pour lui. Assura d’un ton presque moqueur, Siti. Demain, une grosse journée nous attend, soyons en forme.
Les trois camarades n’attendirent pas que le voile ténébreux se pose pour s’endormir. Cette première nuit fut effroyable pour Zef, nu et grelottant, il n’arrêtait pas de se réveiller toutes les heures à cause de l’atmosphère glaçante enveloppant la chambrée. Les jumeaux, quant à eux, sommeillèrent sereinement, rien ne semblait les ébranler.
La troupe tout entière se réveilla à l’aube, les trois soleils n’étant pas encore levés, la froideur de la nuit persistait encore un peu. À la grande surprise des jumeaux, Zef, sans prononcer un seul mot, prit l’initiative de replier la tente.
— Eh bien, tu vois Siti ! S’exclama Assir, d’un ton euphorique même de bon matin. J’t’avais bien dit que Zef serait un compagnon d’valeur !
Malgré son sérieux, Zef ne put contenir son sourire, cela faisait bien longtemps qu’il ne se sentait pas considéré de la sorte, enclavé dans la forteresse de son père depuis toujours, il n’avait jamais réellement eu d’ami.
Même s’il y mettait toute sa bonne volonté, Zef eut un mal fou à
ranger cette maudite toile.
— Tu n’te sers pas souvent d’tes mains, pas vrai ? Demanda Assir.
— Pas vraiment, non. Répliqua timidement Zef.
— Viens par ici, j’vais t’montrer, alors ... tire par-là ... hmm oui, prends ce côté maintenant … parfait, roule bien le tout … Et voilà ! Ils n’t’ont rien appris tes parents ou quoi !?
— Non … Merci Assir, merci vraiment.
Leurs paquetages emballés, les trois compères se dirigèrent à l’endroit où ils avaient laissé leurs habits cérémoniels, la plupart des autres participants s’y trouvaient déjà. En marchant vers leurs affaires, Zef se rendit compte, qu’à part les jeunes, tout le monde, tout l’Ordre des Sœurs s’était volatilisé, les nombreux adeptes, la Mage Supérieure, tous, il ne restait qu’eux. Arrivé enfin à leur destination, le petit groupe dut se séparer, ils ne s’étaient pas déshabillés au même endroit la veille.
— Zef, rejoins-nous dès qu’tu as tout récupéré, on sera sans doute à l’avant de la caravane, fais vite ! Informa Assir.
Zef acquiesça, et se rapprocha de ses effets. Étrangement, il n’eut aucun mal à les reconnaître au milieu de la multitude d’autres uniformes, et se pencha pour les attraper. À son grand étonnement, lorsqu’il souleva son large couvre-chef blanc, pour s’en coiffer, il vit deux primitifs poignards posés sur le reste de sa tenue. Offertes à chaque participant, par les adeptes durant la nuit, il s’agissait des deux armes emblématiques de Veroon-2, deux lames nues, sans poignée ou autre artifice. Forgées dans un métal endémique veroonien, le métal Tarkas, à qui on incorpore du sable rouge des Dunes Écarlates, lui donnant cette teinte ocre si caractéristique, ces dagues rustiques accompagnaient l'existence de chaque veroonien, du rituel jusqu’à leur mort. En effet, il est coutumier qu’un veroonien se fasse immerger ou enterrer, selon ses préférences, les armes à la main de peur qu’un esprit aqueux ou autre maraudeur des sables, ne s’en prenne à sa sépulture. D’autres pensaient qu'ils gardaient leurs armes pour combattre la mort elle-même dans l’au-delà, et ainsi atteindre l’éternité tant convoitée en revenant vivre parmi les vivants pour toujours.
Zef vêtit à nouveau de sa tenue traditionnelle encore fraîche et humidifiée par la rosée, complète à présent, se pressa d’aller retrouver Axol, son pooda qu’il avait laissé depuis la veille.
— “Ça va mon grand ? Dit Zef à Axol, le caressant doucement, Tu ne t’es pas trop ennuyé sans moi ? Bien, bien ... Il est temps de partir, j’espère que tu es prêt.”
Filant vers l’avant du cortège, grâce aux pattes robustes d’Axol, Zef cherchait désespérément ses nouveaux compagnons. Arrivé à l’extrémité, il retira son chapeau, en espérant qu’on le reconnaisse. Une voix sur le côté surgit du tumulte du cortège :
— Il est magnifique ce pooda ! C’est quoi son nom ?
— Assir, enfin ! Se réjouit Zef, apaisé. Axol, il s’appelle Axol.
— Eh bien ce Axol, j’espère qu’il en a dans l’ventre, avec c’qui nous attend ! s’écria Assir, méconnaissable dans son accoutrement. L’aventure commence enfin mon ami, depuis l’temps que j’attends cet instant ! J’sens que c’rituel sera sans pareil, ce sera l’nôtre, à tous. Pour le moment chevauchons droit devant jusqu’à l’aube, pour l’reste on verra plus tard.
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