Chapitre 3
Les portes de la Cité Blanche étaient immenses et enchaînées au sol. Avec le temps, la végétation avait poussé jusqu'à grimper sur les chaînes. Mais le drapeau, qui représentait une grande paire d'ailes d'ange, n'avait pas pris une seule ride. Au delà, une haute épée était empoignée par deux mains en pierre et un petit oiseau jaune inanimé à l'air agressif lançait des regards menaçants aux arrivants depuis la garde. Les remparts étaient hauts d'une centaine de mètres et semblaient pouvoir protéger la cité de n'importe quelle attaque.
Quand elle salua les deux gardes qui surveillaient l'entrée sud, Méissara pénétra dans la ville. Elle se sentit enfin chez elle, entre les colossaux remparts. Après une longue et fatigante route à travers le continent, elle s'étira et respira un bon coup, heureuse d'être rentrée au bercail. Traînant derrière elle au bout d'une solide corde un grand homme à la bouche couverte d'un foulard pour le faire taire, et un énorme sac rapiécé rempli sous le bras, elle commença sa balade à travers les quartiers animés de la cité.
Le soleil venait à peine de se lever, mais les boulangers étaient déjà occupés à leurs activités dans leur atelier. De la cheminée s'échappait la fumée d'un énorme four dans lequel cuisaient des gâteaux pour tous les goûts et de toutes les couleurs, et de la porte s'évadaient les douces odeurs des pâtisseries et des pains fraîchement préparés. Méissara s'arrêta un instant devant le bâtiment et renifla l'air avec appétit avant de jeter un coup d'œil curieux à l'intérieur. Aux meules, des artisans s'occupaient à moudre les grains des céréales récoltés pour en faire de la farine qui tapissait le sol. D'autres mitrons suaient à grosses gouttes devant le four.
-Voulez-vous un pain, mademoiselle la milicienne ? demanda le chef de la boutique en voyant l'insigne argenté épinglé à sa veste en cuir.
Elle répondit par l'affirmative et posa son sac à ses pieds un instant. Elle laissa tomber quelques pièces dorées dans la main du boulanger couverte de poudre blanche. En échange, elle reçut une baguette bien cuite comme elle les aimait. Elle croqua dedans à pleines dents et la mangea en un rien de temps tandis que son prisonnier la regardait avec appétit. Elle remercia l'artisan et le félicita de sa compétence. Elle le salua et rattrapa son sac pour reprendre son chemin, son prisonnier la suivant et abandonnant la boulangerie avec tristesse.
Un peu plus loin se trouvait l'atelier des alchimistes, grands connaisseurs en herbes et potions. Le bâtiment était facilement reconnaissable avec son grand arbre qui dépassait du toit au centre. Il y faisait toujours sombre, mais la pièce était souvent éclairée par de petites explosions colorées dues aux réactions chimiques entre les divers ingrédients des concoctions. Les sons des bulles et des gargouillements des alambics donnaient vie à l'atelier de jour comme de nuit.
Des enfants passèrent en courant aux côtés de Méissara et en poussant l'homme qu'elle traînait derrière elle. Ils rejoignirent la place d'un des nombreux hôtels de vente qui organisaient le commerce entre les nations du monde entier. L'esplanade était inondée par la foule. Les personnes qui voulaient acheter des ressources avaient beaucoup de difficultés à atteindre le tableau sur lequel étaient affichés tous les prix. Ceux-ci changeaient sans cesse, effacés et réécrits par le vendeur qui s'occupait de cet hôtel. Seul, il semblait dépassé par toutes les informations des commerçants qui arrivaient en même temps. Derrière le tableau, sous un préau, des tonnes de choses, les plus étranges fussent-elles, attendaient d'être achetées. Des cris s'élevaient de toutes parts, les clients s'insultant oralement quand les ressources qu'ils visaient étaient épuisées, prises par quelqu'un d'autre, ou quand les prix devenaient exorbitants.
Méissara contourna la foule, souriant face à cette incroyable agitation qui animait la cité toute la journée.
La banque était également un lieu où la population se regroupait en masse. Étant le seul bâtiment de finance dans la cité, c'était le seul endroit où les habitants pouvaient accéder à leur coffre personnel. Ils pouvaient y entreposer un nombre incroyable d'objets. C'était aussi là que l'on déposait sa richesse en or. La banque ressemblait à un édifice comme les autres, à la seule exception qu'on avait sculpté des pièces de kamas en or, frappées de la lettre K, sur le toit. Beaucoup d'avides aventuriers avaient déjà tenté de les voler, mais ils étaient rapidement pris sur le fait en se rendant compte qu'elles étaient bien trop lourdes à porter sur le dos et trop volumineuses pour être rangées dans un sac.
Un peu plus loin, il y avait le Zaap. Sous une grande arche en pierre sur laquelle étaient inscrits de mystérieux signes qui s'illuminaient parfois, le portail bleu pâle était avivé par des ondes magiques. Il permettait aux aventuriers de voyager et de se rendre à l'autre bout du Monde des Douze en un clin d'œil. Encore ici, c'était une place où les gens s'amoncelaient en grand nombre. C'était un lieu de regroupement pour tous les Bontariens qui débattaient souvent à propos des actualités du monde.
Quand Méissara croisa le capitaine Alrok, le soldat qui patrouillait toujours dans les parages, ils échangèrent un salut militaire et la milicienne continua son chemin vers la construction voisine.
La tour de la Milice s'élevait haut dans le ciel, imposante et dominante parmi cette forêt de constructions. Arborant fièrement les drapeaux de la Cité Blanche, elle était la casemate de l'une des plus grandes puissances militaires du Monde des Douze : Bonta qui avait subi bon nombre de batailles. Aujourd'hui, elle était en conflit direct avec la deuxième grande puissance, la sombre cité de Brâkmar, et se battait du mieux qu'elle pouvait pour remporter la victoire.
« Seulement un jeu d'enfants... » songea Méissara en pensant à la situation actuelle. En vérité, cette guerre qui durait depuis plusieurs années la dépassait et elle ne savait plus vraiment pourquoi les deux plus grandes cités guerroyaient. Était-ce pour un territoire avantageux ou une vieille querelle née des siècles auparavant ? De plus, ces hostilités avaient d'importantes conséquences : de nombreux hommes et femmes, soldats comme simples citoyens, avaient perdu la vie, ce qui avait détruit un grand nombre de familles.
Méissara secoua la tête, oubliant ces pensées compliquées. Pourquoi ne pouvait-elle pas réfléchir simplement ? Ils étaient en guerre, il en était ainsi, et la seule chose dont elle devrait se préoccuper était sa survie dans ce monde dangereux.
Arrivée devant la Milice, elle ouvrit les grandes portes en bois. Elle passa entre deux statues de guerriers qui paraissaient protéger l'entrée, et pénétra dans la cour intérieure. Au centre, une troisième statue, plus intimidante que les premières. Avec sa lourde épée posée sur son épaule et le bouclier qu'elle brandissait devant elle, elle arborait un air héroïque. Depuis le temps, la verdure l'avait recouverte en plusieurs endroits, dont la lame de son glaive et la surface de son écu. Cette sculpture était là le point de sauvegarde de chaque milicien qui s'y matérialisaient lorsqu'ils buvaient une potion de cité, se faisant téléporter.
Méissara se dirigea vers le couloir au bout de la cour et remarqua du coin de l'œil le capitaine Starky. Il était toujours sur son tabouret à surveiller les haches et les lances qui étaient debout contre le mur derrière lui. Comme à son habitude, il était plongé dans des parchemins indéchiffrables. La milicienne longea le long couloir qui donnait l'impression d'être interminable et arriva enfin dans le hall de la Milice. Il y avait ici d'autres armes de tous types, des tonneaux, des caisses, des coffres et le bureau du vendeur d'armes qui n'était pas encore arrivé.
— Bonjour Méissara ! salua une petite voix.
Méissara vit alors une femme de petite taille arriver d'une des pièces adjacentes. Avec ses cheveux courts coupés au carré et le bandana qu'elle portait, elle avait l'air d'un garçon. Mais on reconnaissait à ses délicates ailes de fées dans son dos qu'elle était une femme.
— Bonjour Valentine, salua Méissara à son tour.
— Tu ramènes derrière toi un joli butin, dis-moi !
La milicienne tira un coup sec sur la corde et présenta son prisonnier à la fée.
— Prince Marchand ! Je l'ai trouvé en train de faire du commerce illégal au sud d'Amakna. Combien tu m'en offres ?
Valentine examina le bandit des pieds à la tête. Il portait des épaulettes et des bracelets de protections rouillés sur une chemise déchirée. Son pantalon et ses bottes n'étaient pas en meilleur état. Elle estima qu'il ne devait pas avoir beaucoup d'argent vu la qualité de l'arme qu'il portait à sa ceinture : une simple épée en fer. Finalement, elle conclut :
— Dix alitons.
— C'est tout ? J'en espérais tout de même un peu plus...
— Avec un gars comme celui-ci, il ne faut pas en attendre beaucoup ! rit la fée en prenant la corde que lui tendait la milicienne avec un air déçu.
Avant de descendre jusqu'aux cachots, elle offrit à Méissara un petit sac rempli du bon nombre de pièces convenues : il s'agissait d'un triangle en ivoire qui reposait sur une pièce ronde dorée. La soldate les rangea dans le sac en cuir qu'elle portait en bandoulière et fit demi-tour en soupirant. Elle rejoignit la salle commune des miliciens, là où ils dormaient et pouvaient se reposer. Elle rejoignit sa couchette, près d'une fenêtre qui offrait une vue sur le quartier des éleveurs, un peu plus à l'ouest. La plupart des aventuriers y passaient beaucoup de temps, à s'occuper de leurs montures qui étaient souvent des dragodindes. C'étaient des créatures sur deux pattes avec deux petites ailes qui ne leur servaient pas à grand chose puisqu'il leur était impossible de voler. Elles avaient une tête adorable avec des yeux globuleux et des dents acérées qui dépassaient de leur gueule. Elles avaient également une longue queue effilée ornée de pointes. Leur seule ressemblance avec les dragons étaient leur peau qui était recouverte d'écailles. Il existait de ces créatures tous types de races de n'importe quelle couleur. Certaines pouvaient prendre la couleur des vêtements que portaient leur maître ; on les appelait les caméléonnes. Ces montures étaient utiles aux voyageurs car elles pouvaient courir une grande distance sans se reposer et pouvaient porter de lourdes charges. Elles étaient également leur plus fidèle compagnon. Mais les aventuriers n'étaient pas les seuls à en avoir. Beaucoup de commerçants en faisaient des élevages afin de les vendre et augmenter facilement leur richesse.
Méissara ouvrit le coffre qui lui appartenait et tenta de trouver une petite place pour son sac d'alitons qu'elle réussit à caser entre une peluche de fée et une autre de guerrier. Elle se frotta la tête en voyant qu'il n'y avait plus d'espace pour son dernier sac. Bien plus gros, celui-ci était rempli de roses des sables, des pierres précieuses d'une grande valeur commerciale. Elles étaient la récompense des chasses aux trésors qui étaient devenues un de ses passe-temps favoris. Cette activité regroupait tout ce qu'elle aimait : la chasse, l'aventure, le combat et l'excitation de découvrir un trésor ! Elle traversait souvent des régions entières avant d'arriver à la position finale qu'annonçait sa carte. Mais parfois, il arrivait qu'elle se fît attaquée par les Brâkmariens qu'elle pouvait croiser sur son chemin. Heureusement, elle arrivait à sortir indemne de ces batailles. Les roses des sables ne se vendaient pas très cher mais elles partaient en grandes quantités et rapidement ! C'était ainsi qu'elle gagnait sa vie tout en parcourant le monde depuis quelques années puisque son métier de milicienne ne lui rapportait pas grand chose.
Finalement, elle décida de cacher cette grosse bourse dans son lit, sous son coussin. Cela l'arrangeait actuellement bien car elle manquait d'oreillers.
— Méissara ! appela alors une voix rauque derrière elle.
Elle recouvrit son sac de son coussin et de sa couverture et se redressa. Elle contourna son lit et fit face au Maître de la Milice : Amayiro. Avec ses cheveux attachés grâce à un lacet et sa longue barbe blanche tressée, il avait là une apparence bien noble. L'armure blanche et brillante qui recouvrait son torse ainsi que la cape qui pendait dans son dos témoignaient de son statut. À sa taille pendait un sabre abîmé par tous les combats qu'il avait menés, mais il n'en n'était pas moins efficace.
Méissara commença à porter la main à son front pour le saluer mais le maître l'interrompit.
— Pas de ça avec moi Méissara, tu le sais bien, répéta-t-il encore une fois en balayant l'air devant lui. J'ai vu qu'un nouveau membre a rejoint les prisons dans les souterrains, la félicita-t-il en lui offrant une tape sur l'épaule.
Son interlocutrice sourit, montrant sa fierté.
— Qu'est-ce qui vous amène ici, Maître ? demanda Méissara en remarquant trois jeunes personnes qui le suivaient derrière.
Il se décala et fit signe aux autres de s'approcher.
— Je te présente tes nouveaux apprentis : Kuneh, Aztre et Lefer.
Les deux derniers la saluèrent joyeusement, contrairement à la première qui restait les bras croisés, à toiser la milicienne des pieds à la tête. Elle regardait avec dédain son chapeau et son manteau en cuir rouge qu'elle portait. Quand elle vit la plume dorée qui décorait son couvre-chef, elle leva les yeux au ciel en trouvant cela bien ridicule. Elle ne put cependant s'empêcher de s'attarder sur son bracelet gauche doté de deux lames tranchantes et la garde de son épée tout en se demandant à quoi ces armes pouvaient bien servir à quelqu'un de si jeune.
— Tu seras leur mentor durant la semaine à venir, reprit l'ancien.
— Je ne comprends toujours pas pourquoi ce doit être une fille plus jeune que nous qui doit nous apprendre à nous battre ! se révolta alors la femme sans quitter Méissara du regard.
Les deux autres furent surpris de cette soudaine réaction.
— Méissara est une guerrière très douée, expliqua Amayiro avec une voix calme. Elle saura très bien vous initier au combat.
— Mais enfin, regardez-là, ce n'est qu'une gamine ! Elle a quoi... même pas 18 ans ! Comment une fille de son âge pourrait nous apprendre quoi que ce soit ?
— Si tu le souhaites, intervint Méissara en soutenant son regard, je peux te donner un avant-goût des leçons que je vais vous inculquer. Mais je ne suis pas sûre que tu puisses les suivre dans l'état que tu seras après.
Kuneh détestait déjà le sourire qu'elle affichait sur son visage d'enfant.
— Kuneh, je te laisse le choix entre la suivre et apprendre, et ne pas la suivre et ne pas apprendre, interféra Amayiro en croisant les mains dans son dos. À toi de suivre le meilleur chemin pour rester dans la Milice.
— Il hors de question que je me retrouve à la rue ! répliqua-t-elle, une pointe de contrariété dans la voix.
— Dans ce cas...
Satisfait, le maître s'éloigna en fredonnant une mélodie et disparut dans le hall du bâtiment.
— Bon, commença Méissara. Je me présente : je suis Méissara, chasseuse de primes au service de la milice. Je ne vais pas plus m'étaler là-dessus à part vous dire que je suis plus jeune que vous. Et malheureusement, il va falloir faire avec.
Elle appuya ses derniers mots en regardant Kuneh qui avait détourné les yeux.
— Je vois que vous n'avez pas d'armes, vous allez donc vous équiper. Suivez-moi.
Le groupe quitta la pièce et arriva dans le hall pour s'arrêter devant l'étal de vente d'armes. Le marchand était enfin arrivé. Méissara le salua et demanda des armes pour ses apprentis. Le commerçant présenta différentes armes aux jeunes miliciens qui mirent un peu de temps pour définir leur choix.
— Le choix de l'arme est très important. Celle que vous prendrez vous représentera. Si c'est la mauvaise, vous aurez du mal à gérer un combat et à le terminer, informa Méissara à ses disciples.
— La tienne te représente ? demanda curieusement Aztre qui avait un air enfantin malgré ses gros muscles.
— Bien sûr, sinon comment aurais-je fais pour arrêter autant de hors-la-loi ?
Un bon quart d'heure plus tard, les échanges de pièces et d'armes avaient été effectués. Kuneh avait opté pour un sabre court à la lame qui présentait des irrégularités, comme les mystérieuses marques rouges qui recouvraient sa chair. Débutant sur le bas du visage, elles descendaient le long de son corps et s'étendaient jusqu'au bout de ses doigts. Aztre décida de partir au combat avec une épée des plus simples. Lefer, qui avait l'apparence d'un chat, s'arma d'un long sabre bien aiguisé. Sa queue poilue bougeant dans tous les sens, il semblait tout excité à l'idée d'avoir enfin sa propre arme.
— Parfait, nous allons maintenant nous rendre à notre lieu d'entraînement, annonça Méissara. Nous allons prendre le Zaap.
Ils quittèrent le bâtiment militaire et allèrent à la place du portail. Beaucoup de monde l'utilisait et il était difficile d'attendre son tour. Impatiente, Méissara décida d'utiliser l'avantage d'être milicien. Alors, tandis que tous les quatre s'avançaient vers l'arche magique, les gens s'écartèrent pour leur laisser le passage libre. Ainsi, ils parvinrent aisément devant le technmagicien - une personne présente devant chaque Zaap qui est chargée de faire circuler les gens à travers le monde. Celui-ci les salua poliment et leur demanda leur destination.
— Village d'Amakna, cria Méissara en essayant de se faire entendre par dessus tous les cris.
À l'aide d'une baguette bleutée, le technomagicien activa plusieurs runes sculptées dans l'arche qui s'illuminèrent. Une sorte d'ombre plana alors au dessus du portail avant que celui-ci retrouvât tout son éclat.
Méissara tendit une poignée de pièce en or au magicien. Elle pénétra la première dans le portail, perturbant la tranquillité du rideau magique comme si elle entrait dans de l'eau, et disparut de l'autre côté. Les trois autres la suivirent et regardèrent la merveilleuse Cité Blanche disparaître derrière eux.
Méissara et ses apprentis arrivèrent au village d'Amakna à quelques secondes d'intervalle. Comme la plupart des places de Zaaps, il régnait ici une ambiance joyeusement agitée. Juste à côté, on pouvait entendre et voir des aventuriers se lancer des défis amicaux et se battre. Les apprentis les regardèrent échanger des coups avec admiration. À travers les fenêtres du kanojedo, la salle d'entraînement du village, on apercevait les aventuriers s'entraîner sans relâche au combat contre des épouvantails. Ils dépassèrent l'établissement et se dirigèrent vers le sud.
— On ne s'entraîne pas ici ? demanda Aztre alors qu'ils s'éloignaient.
— Non, trop de monde, répondit simplement Méissara.
Alors qu'ils allaient quitter le village, des enfants passèrent devant eux en courant, des casseroles en guise de casques sur la tête et des épées en bois dans les mains. L'un d'eux, tout habillé de blanc, s'étala sur le sol et fit mine de mourir sous l'arme d'un autre vêtu de rouge. Les apprentis s'amusaient de les voir représenter le conflit entre les deux grandes puissantes cités.
Ils entrèrent dans la forêt où l'air était plus frais sous les feuillages des frênes et des noyers. Des écureuils grimpaient aux arbres et sautaient de branches en branches. Plusieurs s'étaient interrompus dans leur escalade et jetaient des regards curieux aux soldats qui marchaient un peu plus bas.
Après une bonne heure de marche, Méissara s'arrêta et se retourna vers ses disciples qui, épuisés, se laissèrent tomber par terre.
— Pourquoi a-t-on pris le Zaap du village alors qu'il y en a un beaucoup plus près d'ici ? se plaignit Kuneh, essoufflée.
— Oh, vraiment désolée si le chemin vous a fatigués, ironisa Méissara en les regardant.
Elle les laissa souffler quelques minutes, se trouvant bien trop clémente.
— Debout, ordonna-t-elle finalement.
Les deux garçons sautèrent sur leurs pieds tandis que Kuneh restait assise dans l'herbe. Méissara la regarda d'un air désapprobateur.
— Allez chasser le sanglier, dicta la milicienne avec un mouvement de tête.
Les deux jeunes hommes se hâtèrent de partir à la recherche des animaux.
— Si tu veux quelque chose de plus complexe, commença Méissara quand elles ne furent plus que deux, je peux te lâcher dans la forêt maléfique. Après tout, nous n'en sommes pas loin. Mais tu feras attention : une mauvaise âme hante cette forêt...
Kuneh lui lançait maintenant des regards apeurés.
— Entre nous deux, c'est toi la gamine, continua la milicienne. Non mais regarde-toi : tu boudes tel un enfant, tu as peur dès qu'on te menace. Es-tu vraiment certaine que la vie de milicien est celle qui te conviendra ?
Kuneh pesta dans sa barbe et se releva en serrant les poings.
— Je vais te montrer qu'elle me convient parfaitement, cette vie ! lui cracha-t-elle au visage avant de s'élancer à travers les arbres.
Méissara l'observa s'éloigner, un sourire étirant ses lèvres.
Elle s'amusait de sa réaction quand un étrange bruit résonna au loin et attira son attention. Elle leva la tête vers le ciel et regarda dans la direction d'où était provenu le son. À travers les sombres nuages qui flottaient au de-là des montagnes, elle crut alors voir une mystérieuse ombre s'envoler vers les cieux. « Etrange... »
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