1.1 insomnies

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En ce vingt-et-un février, cela faisait maintenant un peu plus de deux ans que j’avais poussé la porte de l’antique boutique du 5, rue de l’Egalité. Je me souvenais de chacune des minutes de mon étrange voyage comme si je l’avais vécu hier. Mes amis Télémaque, Sour et Azar me manquaient, même si je n’étais pas absolument sûr qu’ils aient réellement existé.

Mon bouquin avait reçu un bon accueil et s’était plutôt bien vendu. Une édition en Livre de Poche était en préparation et je recevais encore régulièrement des courriers et des mails de lecteurs qui voulaient en savoir plus sur les Etats des Saisons Eternelles. Je m’efforçais de leur répondre de façon personnalisée, mais cette tâche, devenant routinière commençait à me peser.

J’avais repris mes activités de jardinier et ma petite entreprise, boostée par la réussite du réaménagement du principal jardin de la ville, s’épanouissait gentiment. C’était maintenant près d’une dizaine de collaborateurs qui la faisait vivre sous la conduite de Louise une amie de longue date à qui j’avais confié la direction opérationnelle. J’avais gardé la responsabilité des recrutements en exigeant des candidats deux qualités : compétences techniques et imagination.

Bien évidemment la conception du parc avait été marquée par mon périple et avec un peu d’attention, il était possible d’y suivre une déambulation à travers les quatre provinces des Etats. Les jours de beau temps, bénéficiant d’un jeu de clés propre, j’y retournais à l’heure de la fermeture et m’y laissait enfermer. Allongé sur l’herbe tendre d’une clairière, j’aimais y contempler les couchers de soleil et l’immensité du cosmos. Souvent je me demandais où pouvait bien se trouver la planète aux deux lunes qui m’avait accueilli. Mais, bien sûr, je demeurais bien incapable de répondre à cette question.

Depuis plusieurs nuits, un songe récurent venait hanter mes nuits. Sans les voir, j’entendais Sour et son neveu Niesl m’appeler sur un ton ferme mêlé d’angoisse. Je n’imaginais pas que cet appel puisse être réel, mais néanmoins, il me perturbait et le matin je me réveillais avec un sentiment d’impuissance. Dans la journée j’y repensais de plus en plus souvent et il m’arrivait durant la journée de laisser mon esprit s’égarer dans ce monde que j’avais tant aimé. Mes collaborateurs finirent par s’apercevoir que quelque chose me tourmentait.

Un matin alors que nous avions engagé la conception d’un nouveau chantier, Louise me posa une question à laquelle je n’apportais pas de réponse. En fait, je n’avais pas entendu son interpellation. Elle réitéra sa demande, mais n’eut pas plus de succès. Perdu dans mes pensées, je la vis sortir de la pièce et revenir rapidement avec un plateau et deux cafés qu’elle posa devant moi de façon suffisamment brusque pour me rappeler à la réalité.

- Sérieusement, Harold, je pense que tu devrais prendre du repos, me dit-elle. Tu as des absences de plus en plus fréquentes et la fatigue se lit sur tes trais.

- Non ça va, c’est juste un petit passage à vide, lui rétorquais-je. Cela va passer, pas de problème.

- Vraiment, tu dois prendre du repos, tu n’es plus avec nous et les gars le sentent. Ecoute, les chantiers roulent et le carnet de commande est plein. Alors fais nous confiance et profites-en pour prendre un peu de recul. Pars une semaine ou deux et à ton retour, je suis certaine que tu auras retrouvé la pêche.

Au fond de moi-même je sentais qu’elle avait raison. Aussi après avoir négocié pour la forme, je décidais de suivre son conseil plein de sagesse et annonçait prendre dix jours de congés.

J’envisageais de me changer les idées en voyageant. Une île de l’Atlantique me semblait une destination capable de m’oxygéner et de me remettre les neurones à leur place. Après étude, un vieux dicton marin me fit choisir l’ile de Groix en face de Lorient puisque « qui voit Groix, voit sa joie ». Je décidais donc de partir dès le lendemain.

Je me couchais assez tôt et m’endormis rapidement l’esprit libéré par ma décision de lâcher du lest. Mais, vers deux heures, je me réveillais en sueur. Sans que j’aie pu distinguer la teneur de leurs appels, je ressentais que mes amis d’Eilifius avaient besoin de moi.

Je me levais aussitôt et me rendis dans mon bureau où j’avais déposé l’exemplaire luxueux de mon livre que Télémaque m’avait offert. Je l’ouvris et retrouvais rapidement la carte de visite que mon compagnon y avait glissée.

Je relevais l’adresse. En deux heures je pouvais y être. Ma décision était prise… Groix attendrait !

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