Chapitre 4

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Zack avait laissé la porte grande ouverte. Désabusée, Ava foula l’herbe de ses pieds nus et traversa le jardinet, talons en mains et mâchoires serrées. La télé était encore allumée et le reste du rez-de chaussé plongé dans l’obscurité.

— Zack ! appela-t-elle fermement.

Elle attendit quelques secondes et poussa un soupir avant d’entrer. Une odeur de brûlé la saisit aussitôt à la gorge et elle grimaça, supposant que le micro-onde avait une nouvelle fois été victime d’un plat surgelé.

— Je sais, tu ne veux pas de moi ici ce soir, et je ne compte pas rester ! Mais est-ce que tu pourrais au moins… ouch !

La jeune femme fit tomber sa paire de chaussure et sautilla sur place. Elle venait de marcher sur quelque chose de crissant et tranchant, semblable à du verre cassé. Lorsqu’elle retrouva l’équilibre, elle plissa les yeux et regarda tout autour d’elle. Le porte manteau était renversé près de l’escalier et la lampe sur pied gisait sur le sol : l’ampoule avait explosé.

— Zack ? fit de nouveau Ava, cette fois d’un ton plus hésitant.

Une foule de questions traversa son esprit, que l’adrénaline électrisa petit à petit. Zack était colérique, c’est vrai. Mais elle ne l'avait jamais vu perdre le contrôle au point de se venger sur le mobilier.

Des cambrioleurs ?

Elle se pencha pour ramasser le pied de lampe et, à pas feutrés, avança en direction du salon. La pièce avait été entièrement saccagée et, plus marquant encore, de longues griffures zébraient le papier peint. Cette fois le sang d’Ava ne fit qu’un tour. Elle déglutit et recula doucement, les doigts fermement enroulés autour de son arme de fortune.

Soudain, un râle grave déchira le silence et fit vibrer le plancher jusque sous ses pieds. Depuis la cuisine, un bruit sourd retentit et fit battre son cœur plus fort.

— Zack ? gémit Ava.

Quelque chose vint s’accrocher à ses cheveux et tira brusquement l’une de ses mèches. La jeune femme agita le pied de lampe dans tous les sens avant d’apercevoir la petite ombre qui volitigeait tout autour d’elle : Clochette. Sous son voile sombre, elle paraissait complètement apeurée.

Ava voulu dire quelque chose, mais au moment où elle entrouvrit les lèvres, un sifflement vint lui glacer le sang. C’était le même son sinistre qui avait déferlé dans la vallée de sa vision, et fait fuir les semblables de la petite créature.

En apnée, les muscles tendus, elle regarda en direction de la pièce opposée et devina une forme se mouvoir sous un tas de débris. Celle-ci se déplia en poussant une série de râles gras et caverneux. Sa peau grisâtre était nue, collée à un corps humanoïde rachitique, cauchemardesque. Deux ailes jaillirent alors de son dos et, à leur vue, Ava bondit dans l’escalier.

Elle parvint à l’étage mais manqua la dernière marque, ce qui la fit tomber à plat ventre, devant la porte de sa chambre. La barre lui échappa des mains et dévala jusqu’en bas, achevant sa course avec fracas. En réponse à cela, un rugissement monstrueux fusa.

— Nom d’une catin unijambiste, Ava… grogna une voix rauque.

Zack. Il gisait au sol, essoufflé, adossé contre le garde-fou. La jeune femme rampa jusqu’à lui avant de l’enlacer, paniquée.

—Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qu’il se passe ? couina-t-elle, le visage enfoui contre l’épaule de son oncle.

— Un Volcendre. Il t’a suivi depuis Teryasen. Tout comme cette Sylphe, apparemment… murmura-t-il en désignant la petite ombre qui vint se blottir contre eux.

Alors c’était vrai ? Tout était vrai ?

Elle voulut changer de position et s’appuya contre le torse poisseux de Zack, qui poussa un juron.

— Tu es blessé ? réalisa-t-elle avec effroi. Il faut appeler quelqu’un ! Il faut…

Les mâchoires du monstre claquèrent juste sous leur planque. Ava se mit à trembler et Zack leva son bras puissant pour plaquer une main contre sa bouche. Après un court silence, il se redressa et souffla à son oreille :

— Je vais te sortir de là, lutin. Quand je te dirai de courir, tu…

Le Volcendre vint subitement s’accrocher à la rambarde du garde-fou, derrière eux, et poussa un cri strident. Sa gueule était béante, laissant apercevoir d’interminables rangs de crocs sales. L’odeur était insoutenable. Avec force, Zack projeta Ava contre le mur opposé et se dressa devant elle. Dans son poing il tenait une arme étrange, à mi chemin entre un sabre et un harpon.

— Cours ! rugit-t-il avant de frapper.

Son adversaire esquiva de justesse. Comme s’il avait toujours su manier une lame, Zack réitéra son attaque et, cette fois, le toucha au flanc gauche. Le Volcendre bondit au plafond et revint à la charge, agitant les deux énormes serres qui achevaient ses membres postérieurs en guise de représailles.

— Cesse de faire ta tête dure et fiche-moi le camp ! insista Zack.

— Je ne peux pas, pas sans toi ! glapit la jeune femme.

Il jeta un regard furtif par-dessus son épaule. Un regard emprunt de désespoir.
Victime d’un assaut particulièrement violent, le garde-fou se retrouva soufflé par les ailes du monstre. Sous une pluie d’échardes, Zack se retrouva plaqué au sol et tailladé avec hargne.

— Non ! hurla Ava.

Sans réfléchir, elle s’empara d’un morceau de bois brisé et vint le planter dans le dos du Volcendre. Le rugissement qu’il poussa la terrifia au point qu’elle se recroquevilla immédiatement sur elle-même. Le démon fit volteface et bouscula la jeune femme, qui fut emportée et chuta brutalement au rez-de-chaussée. Elle atterrit violemment sur le dos, avec la sensation douloureuse que ses poumons venaient de se décoller.

— Zack… gémit-elle.

Des larmes roulaient sur ses joues brûlantes. Impuissante, elle vit le monstre se suspendre au-dessus d’elle, prêt à se venger. Mais au moment où il s’apprêtait à fondre sur elle, la sylphe vint se coller à ses yeux vitreux et le détourna de ses intentions. Une détonation retentit alors et un silence sourd envahit la maison. Ou peut-être étaient-ce juste les tympans d’Ava qui absorbèrent le choc.

Sidérée, elle contempla le corps du Volcendre s’écraser à ses côtés. Un liquide épais et noir coulait sur sa peau parcheminée, mais il n’était pas mort. Pris de convulsions, il percuta violemment le chauffe-eau, dont le contenu se déversa sur eux.

— Ava ! Ava, tu vas bien ?

Elle ne l’avait pas vu descendre, mais Zack était là, à ses côtés. Il s’assura qu’elle était en mesure de bouger et la força à se relever. Avec une douceur qu’elle ne lui connaissait pas, il releva son menton et prit son visage en coupe. Il avait les joues barrées d’écorchures et une lèvre fendue, mais ses yeux bruns plongèrent dans les siens avec tant de tendresse qu’elle en oublia ce qu’était entrain de subir leur foyer.

— Est-ce qu’on va mourir, Zack ? hoqueta-t-elle.

— Non. Tu vas vivre, lutin. Tu dois vivre. Mais pour ça, tu vas devoir partir.

Le ton de sa voix prit une tournure qui tordit les entrailles de la jeune femme.

— Tu ne viens pas avec moi ?

Il planta un baiser sur son front et retira sa chevalière de son doigt. D’un geste bourru, il en arracha la pierre, la jeta sur le plancher inondé et vint l’écraser de tout son poids. Aussitôt, un halo bleuté s’éleva autour d’eux et la sylphe vint s’y baigner avec entrain.

— Je n’en ai pas fini avec lui, dit-il en désignant le Volcendre d’un coup de tête. Prends de l’avance et rends-toi à Parosière. Je t’y rejoindrai et t’expliquerai tout, c’est promis.

— Paro-quoi ? Je ne sais même pas où c’est ! Reste avec moi, Zack ! Reste avec…

Il prit sa main, fit glisser sa chevalière autour de son pouce et plaça la crosse d’un revolver au creux de sa paume. Une lame dépassait sous le canon, semblable à celle d’une dague.

— Parosière, Ava. Souviens-toi.

Elle aurait voulu protester, résister, insister… mais Zack ne lui en laissa pas l’opportunité : il la fit basculer en arrière et l’historienne plongea dans les profondeurs d’une eau sombre et salée.

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