Chapitre 11
Pour ce chapitre, même note aux lecteurs que pour le chapitre 10 !
Marceau
— Où allons-nous ? demanda Carly.
— Retrouver notre capitaine, répondit Marceau. Nous devrions passer deux bonnes semaines en mer… j’espère que contrairement à Russel, tu as le pied marin.
Elle jeta un regard en direction d’une caraque, impressionnée. Lorsque les lumières du crépuscule se fondirent dans ses yeux dorés, le jeune homme fut une nouvelle fois saisi par sa ressemblance avec Isha Caeleen.
— Je n’en ai aucune idée, avoua-t-elle, je ne suis jamais montée sur un bateau.
— Vraiment ? s’étonna le mercenaire.
Dans ce cas, comment aurait-elle pu arriver sur ce continent ? Priss avait raison. Carly cachait quelque chose. D’ailleurs, son histoire d’Europe ne tenait pas la route. Sinon, pourquoi n’en aurait-il jamais entendu parler ? La curiosité le démangeait, mais s’il insistait maintenant, elle finirait par se braquer.
Patience, mon vieux. D’abord, tu l’apprivoises, ensuite, tu la questionnes.
— Nous sommes arrivés, déclara-t-il devant le perron d’une auberge à la devanture rouge.
Restée sur place pour contempler les navires, la jeune femme sortit de ses pensées et trottina pour le rattraper. Alors qu’il s’apprêtait à lui ouvrir la porte, elle se faufila devant lui et s’en chargea elle-même avec un sourire mutin.
À l’intérieur, un brouhaha détonnant les enveloppa, chargé d’effluves d’alcool et de sueur. Le lieu était nettement plus chaleureux que le Fût Percé, c’était un fait. Ici, le foyer était constamment allumé : on y faisait griller du poisson plus ou moins frais, devant d’immenses tablées animées. Au fond, un barde jouait devant un public de matelots avinés, faisant trinquer leurs chopes à tout va avant de les vider.
Déboussolée, Carly évita de justesse une serveuse et son plateau chargé, puis un immense gaillard titubant vers le bar. Lorsqu’elle glissa sur des restes de nourriture et bascula en arrière, son dos percuta le torse de Marceau et ce dernier lui souffla à l’oreille :
— Tu n’as pas l’air dans ton élément, princesse.
Elle se redressa et fit la moue.
— Quel genre de capitaine est-ce que tu espères trouver ici, au juste ? Un pirate excentrique à la démarche douteuse ?
— De quoi est-ce que tu parles ? s’esclaffa le mercenaire.
— Laisse tomber… murmura-t-elle.
Marceau parcourut la salle du regard et, d’un coup de tête, désigna un groupe près de la cheminée.
— Là, tu vois ? Ce n’est pas une pirate, mais une corsaire. Qu’est-ce que tu en penses ?
Carly suivit son regard, jusqu’à à la table où Yvette Noisembar jouait aux cartes en compagnie de son équipage. C’était une femme trapue, dont la présence inspirait un respect presque instinctif. Ses yeux gris examinaient ses adversaires avec attention et ses lèvres pleines s’étiraient en un sourire carnassier. Lorsque presque tous se couchèrent devant son jeu, elle frappa du poing sur la table et rugit, victorieuse.
— Elle a l’air… terrifiante ? grimaça la jeune femme.
— Elle l’est.
Oui, Yvette était aussi dangereuse et imprévisible que les typhons du sud. Mais pour le moment, Marceau ne préférait pas mentionner cela à voix haute. Il sonda de nouveau la foule et prit Carly par le bras. Priss et Russel les attendaient près du comptoir, chargés de leurs paquetages.
— On ne va pas lui parler ? s’étonna la jeune femme.
— Désarmé ? Sans façon.
Russel les repéra d’un air maussade, probablement encore vexé par l'évasion de Carly. La pixie, elle, désigna leur voisin d’un coup d'œil et Marceau réalisa seulement qu’il s’agissait de Trevor, le molosse de Pillover. Accoudé sur la planche de bois collante, il finit sa cervoise et libéra un borborygme droit sortit des enfers.
— Charmant, Trevy. Je t’offre un verre ? lança Marceau avec sarcasme.
Trevor esquissa un rictus et fit signe au tavernier d’approcher.
— Ressers-moi, le corniaud paye sa tournée, dit-il d’une voix rocailleuse.
Au pied du mur, le jeune homme força un sourire. Il déposa une poignée d’écus sur le bar et soupira :
— Ajoutez quatre pintes supplémentaires.
— Trois, seulement, intervint Carly. Je ne bois pas d’alcool.
Russel la dévisagea comme si elle venait d’un autre monde et Marceau haussa un sourcil.
— Dans ce cas, trois pintes et une eau de miel.
Le tavernier jeta un torchon sale par-dessus son épaule, s’empara de la monnaie et fila vers ses fûts.
— Alors, c’est quoi l’plan ? grommela Russ.
— Avoir une petite conversation avec Yvette et la convaincre de nous laisser monter à bord de son précieux navire. Mais d’abord…
Il tendit le bras et l’adolescent lui remit un manteau en cuir ainsi qu’une besace, dont il s’empressa d’examiner le contenu. Satisfait, il en extrait une ceinture chargée de deux révolvers en bois et argent.
— Où est le deuxième œuf ? demanda-t-il à l’attention de sa subalterne.
— Avec moi, répondit-elle en désignant son propre sac.
Parfait.
Tandis qu’il passait la ceinture autour de sa taille, il lança un sourire défiant à Trévor. Pour seule réaction, le brigand brandit son propre glock, particulièrement imposant, et Marceau leva les yeux au ciel.
— Je ne comprends pas, fit Carly. Il n’était pas déjà acté que cette femme serait notre capitaine ?
— Si, simplement, elle n’est pas encore au courant, répondit Priss avec une pointe de sarcasme.
— Oh. Marceau agit donc selon un mode opératoire précis…
Un éclat de malice traversa les yeux mauves de la pixie et elle toisa son supérieur d’un air moqueur.
— Quoi ? Je sais prendre des initiatives, c’est tout, ronchonna-t-il.
Le tavernier réapparut avec leurs boissons et Marceau fit trinquer sa chope contre celles de ses compagnons. Méfiante, Carly plongea tout juste les lèvres dans la mixture, puis, agréablement surprise, s’empressa d’y retourner.
— Pour tout avouer, Yvette Noisembar et moi avons un passif, expliqua-t-il. Une histoire de relique, qui a tourné au vinaigre il y a quelques années…
— Et tu espères la convaincre de nous aider alors qu’elle a une dent contre toi ? rétorqua la jeune femme.
— Tu préfères peut-être t’adresser à l’Amiral ? D’après ce que j’ai entendu ce matin, il serait ravi de te revoir.
Elle rougit et le fusilla du regard.
Amusé, Marceau secoua la tête et vit Russel vider sa cervoise d’une traite.
— Un problème, Russ ?
— Aucun, Cap’.
Dubitatif, son supérieur l’étudia avec attention.
La perspective de prendre le large, sans doute…
Dès qu’ils eurent terminé, Marceau s’essuya la bouche d’un revers de main et fit frapper ses paumes l’une contre l’autre :
— Quoi qu’il arrive, on ne réplique pas. Gardez vos armes rangées et laissez-moi parler.
— Même si tu dis quelque chose de stupide ? le piqua Priss.
Marceau la gratifia d’un coup de coude dans les côtes, fit passer son paquetage sur son épaule et s’élança vers la table de la corsaire.
À nous deux, Noisembar.
Au moment où il s’apprêtait à l’interpeller, un brun à la peau mate et tatouée s’interposa vivement et le fit reculer.
Il devait avoir son âge, ou peut-être quelques années de plus. Il avait les cheveux longs, retenus par un catogan stylisé, et des muscles ridiculement saillants. Une balafre entaillait son visage, l’ayant privé d’un œil, et filait jusque sur sa mâchoire couverte d’une barbe mal taillée.
— Tu veux quoi, toi ? maugréa-t-il.
Avec sa nonchalance habituelle, Marceau leva les mains.
— M’entretenir avec ton capitaine, c’est une vieille connaissance. Enfin, quand je dis vieille…
— Yvette ne s’entretient avec personne ce soir.
Le mercenaire jeta un regard par-dessus l’épaule du marin et fronça les sourcils.
— Vraiment ? Dans ce cas, quel intérêt de laisser un siège vide à sa table ?
Impatient, le balafré le repoussa une nouvelle fois mais Marceau parvint à le déséquilibrer. Il lui passa sous le nez et, en quelques enjambées, rejoignit le siège pour s’y asseoir avec aplomb.
L’assemblée se raidit subitement. En l’espace d’un battement de cœur, le mercenaire se retrouva braqué par le canon de plusieurs armes à feu ainsi que par les yeux perçants de l’exploratrice.
— Tu ne manques pas d’audace, siffla-t-elle.
— On ne réplique pas, rappela fermement Marceau à ses hommes.
Il n’avait pas besoin de se retourner pour savoir que Priss était sur le point de dégainer ses dagues et que Trevor avait déjà probablement armé son glock.
— Il dit que c’est une vieille connaissance, fit le second en venant glisser une lame froide sur la gorge de l’intrus.
Yvette haussa un sourcil et Marceau pencha la tête.
— Vous ne me remettez pas, capitaine ? Kimparse, le sceptre d’Yseult…
Elle plissa les paupières et les quelques rides qui s’accentuèrent trahirent son âge. La corsaire devait avoir une quarantaine d’années. Mais comparé à il y a presque dix ans, elle n’avait presque pas changé.
— Petite ordure de tonnelier...
— Marceau suffira.
La femme s’enfonça sur son siège et accepta la pipe que son voisin lui tendit. C’était un maigrelet à la peau parcheminée et aux cheveux grisonnant, vêtu d’une marinière. Il portait une paire de lunettes rondes et avait l’attitude d’un rongeur paniqué.
— Je me souviens maintenant, chantonna Yvette, tu avais déjà la même petite gueule d’ange. Cette fois, je n’aurai aucun scrupule à te pendre par les…
— J’ai quelque chose pour vous, capitaine. Quelque chose de bien plus précieux que cette pacotille de sceptre qui, soit dit en passant, n’avait pas tant de valeur que cela. Vous permettez ? dit-il en désignant sa besace.
Le tas de muscles entailla légèrement sa peau lorsqu’il se pencha pour plonger sa main à l’intérieur, mais il ne cilla pas. Il en ressortit finalement un œuf de sirène, aussi gros que sa main, semblable à une gemme blanche incrustée d’or et de cristal. Un soupir d’admiration traversa l’équipage et un frisson d’excitation dilata les pupilles de la corsaire. D’un signe de tête, elle demanda au marin binoclard d’examiner la pièce.
— C’est un vrai, datant du premier ou du second siècle ! s’exclama-t-il.
Marceau approuva et son sourire s’élargit.
— C’est un présent, pour faire table rase du passé.
Impassible, l’exploratrice tira sur sa pipe avant de cracher un épais nuage de fumée.
— Ne vas pas me faire croire que tu es venu exprès pour te racheter un semblant d’intégrité, tonnelier.
— Vous avez raison, je ne suis pas là uniquement pour ça. Je souhaite faire affaire avec vous, capitaine. Conduisez-nous à Moyel, mes hommes et moi, et vous obtiendrez un deuxième œuf : plus gros, plus vieux, plus coûteux.
La femme haussa le menton et Marceau leva doucement le bras pour faire signe à Priss d’apporter la relique. Lorsqu’elle s’approcha, il vit l’expression de la corsaire se métamorphoser, fascinée. L'œuf faisait deux fois la taille du premier, bleu roi et incrusté d’argent.
— Vous voyez les écailles, ici ? Celui-ci date définitivement du premier siècle... s’émerveilla l’expert, une fois la pièce entre les mains.
Yvette poussa un profond soupir, songeuse.
Par les dieux, accepte…
— L’affaire est alléchante, il est vrai. Le hic, c’est que je ne négocie pas avec les traîtres. Reprends tes œufs et tire-toi.
Merde.
Le sang de Marceau se mit à pulser contre ses tempes.
— Yvette, je n’ai pas l’intention de vous doubler. Je…
Elle cracha par terre et son second força Marceau à quitter la table. Toujours sa lame pointée contre lui, il l’escorta brutalement jusqu’à ses hommes et, lorsqu'il le lâcha enfin, le mercenaire étouffa un chapelet de jurons.
— Qu’est-ce qu’on fait, Cap’ ?! souffla Russel.
Mais son supérieur l’ignora.
— Trevor, dis à Pill que le départ est différé. Dans trois jours, je devrais…
— Trois jours ? glapit Carly. Tu as dit qu’on prenait la mer, ce soir !
— La mer devra attendre ! rétorqua-t-il, plus sèchement qu’il ne l’aurait souhaité.
Elle se renfrogna, une lèvre coincée entre les dents.
— Je n’ai pas de temps à perdre.
Avant qu’il ne puisse dire quoi que ce soit, elle tourna les talons et fonça droit sur Yvette.
— Carly, non. Carly !
Le balafré l’entoura de ses bras puissants et la souleva comme si elle n’était rien d’autre qu’un morceau de bois flotté. Elle s’accrocha pourtant à lui et s’adressa bravement à la corsaire :
— Si vous ne voulez pas négocier avec lui, alors négociez avec moi !
Devant son impétuosité, l’équipage entier se mit à rire.
Marceau, lui, échangea un regard confus avec le reste des tonneliers. Les mains sur ses révolvers, il se détendit lorsque l’exploratrice fit signe à son second de reposer la jeune femme à terre. Carly avança alors dans sa direction, les poings serrés. Malgré la peur, elle s’exprima d’une voix claire :
— Je ne suis pas tonnelière, encore moins mercenaire. Je dois simplement me rendre quelque part, le plus vite possible, et j’ai besoin de vous pour y arriver. Si vous acceptiez de…
Yvette soupira, agacée.
— Je suis venue ici pour me divertir, ma belle. Bien que ton petit numéro soit tout à fait distrayant, je lui préfère la compagnie d’une bonne bouteille et de mes cartes…
Le marin tatoué la saisit par l’épaule mais elle planta les talons dans le sol pour lui résister.
— Dans ce cas, jouons ! Si je gagne, vous acceptez de tous nous conduire à Moyel. Si je perds, je me retire et vous n’entendrez définitivement plus jamais parler de nous !
Que ce soit dû à son audace ou son ingénuité, quelque chose en Carly piqua définitivement la curiosité d’Yvette. Elle fit pianoter ses doigts calleux sur la table, agitant son énorme bague sertie d’une pierre bleue, et Marceau sentit son cœur battre plus fort.
— Les œufs de sirène, je les veux, tous les deux. Si tu gagnes, ils serviront de paiement et la gueule d’ange me devra un service en plus. Si tu perds, je les garderai en guise de compensation, pour le temps perdu, et tu rejoindras mon équipage pour douze mois. Alors, qu’est-ce que tu en dis ?
— Hors de question, intervint Marceau. Va pour le service, je vous en rendrai même deux, mais vous ne pouvez pas la…
— C’est avec elle que je marchande, tonnelier, pas avec toi.
Carly passa une main dans sa crinière dorée et, d’ici, il l’entendit respirer.
— Le service en question ne doit compromettre ni son intégrité physique, ni son intégrité psychique. Quand au fait de rejoindre votre équipage… disons six mois, et j’accepte.
Yvette retrouva le sourire. Les deux femmes échangèrent une poignée de main et, désemparé, Marceau se frotta l’arrière de la tête.
Tu parles d’une négociation !
Carly prit place sur le siège où le tonnelier se trouvait quelques instant plus tôt et croisa les jambes avec grâce.
— À quoi jouons-nous ?
— Au duel d’Yzengard. Nous allons vite voir si tu as le vent en poupe, petite.
Le mercenaire se pinça l’arrête du nez.
Le duel d’Yzengard. était un pur jeu de hasard. Tout reposait sur les capacités de Carly à duper une joueuse expérimentée. Si elle n’y parvenait pas, ils étaient complètement…
— Je n’y ai jamais joué. Quelles sont les règles ?
Fichus. Nous sommes fichus.
L'expert d’Yvette distribua les cartes tout en lui expliquant :
— Les cartes sont numérotées de zéro à cent. Vous en recevez trois chacune, face cachée. Au premier tour, vous découvrez celle de votre choix, sans la révéler à l’assemblée. Vous devrez alors estimer si, oui ou non, vous possédez le numéro le plus élevé. Celle qui finit avec le numéro le plus haut remporte la partie.
La jeune femme hocha la tête.
— J’imagine qu’il est possible d’en changer ?
— Tout à fait. Par deux fois, je demanderai si vous souhaitez conserver ou échanger votre numéro. Pour en obtenir un nouveau, il faudra alors choisir une nouvelle carte de votre main. Dans ce cas, la précédente sera défaussée et donc perdue.
— Toujours partante, petite ? provoqua Yvette.
Pour seule réponse, Carly ramassa ses cartes et les disposa minutieusement devant elle.
Déchainée par une frénésie de paris, L’assemblée se resserra autour de la table. Même Trevor et Russel se mêlèrent à l’équipage, curieux d’assister à l’affrontement.
— Tu vas encore me dire que tout est sous contrôle ? souffla Priss,.
Non.
Contrarié, il joua des coudes pour se positionner derrière elle et observer son jeu. Resté sur le flanc de la jeune femme, le balafré le toisa avec hostilité et Marceau le gratifia d’un sourire forcé.
— Jouez ! déclara l’expert.
Yvette consulta la première de ses cartes et, impassible, riva son attention sur Carly. Celle-ci fit délicatement courir ses doigts sur le carton corné et opta pour la troisième carte. Elle prit soin de la découvrir à l'abri des regards indiscrets, mais l’agitation dont elle fit preuve en dit long sur sa condition.
— Changez, ou gardez !
Elle défaussa aussitôt son numéro, un vingt-neuf, et en choisit un autre.
— Changez, ou gardez !
Carly hésita et Yvette s’en délecta. Finalement, elle défaussa une nouvelle fois. Un treize. Ses épaules se soulevèrent péniblement, mais elle ne se laissa pas démonter et consulta sa dernière carte.
Marceau croisa les bras. Il n’avait rien prévu de tout cela. Qu’adviendrait-il si Carly embarquait aux côtés d’Yvette pour six mois ? Que dirait-il à Pill, et qu'adviendrait-il de ses hommes ? S’il se montrait suffisamment rapide, il pouvait neutraliser le second et faire évacuer la jeune femme dès la fin de la partie…
Comme si elle l’entendait ruminer, elle se retourna doucement vers lui et ses boucles blondes glissèrent le long de son épaule.
— J’ai gagné, annonça-t-elle.
Il la fixa, interdit.
Quoi ?
— Avec une main aussi désastreuse ? railla Yvette, j’en doute.
— Ma main était absolument parfaite, rétorqua-t-elle. Deux cartes pour vous cerner, la troisième pour vous battre… un jeu d’enfant.
Son regain de confiance troubla quelques marins et la femme tiqua.
— C’est un peu tard pour bluffer, tu ne crois pas ? Révélons nos cartes…
— Oh, mais je ne bluffe pas, ma dizaine est plus élevée que la vôtre, c’est une question statistique.
Statis-quoi ?!
Elle se lança dans une explication savante et complexe, puis conclut par :
— Votre numéro est élevé, mais il ne dépasse probablement pas les soixante-quinze. Sans quoi, vous ne seriez pas aussi pressée de connaître le dénouement de notre partie, n’est-ce pas ?
Yvette se tût et le mercenaire retint son souffle.
— Changez, ou gardez !
Le temps se suspendit un instant. Carly haussa les épaules et, assurée, posa la main sur sa carte pour la révéler.
— Je change.
La corsaire défaussa alors un soixante-huit et choisit un nouveau numéro. Le tic qui souleva la commissure de ses lèvres trahit sa déception et, au même instant, l’homme à la marinière ordonna aux joueuses de révéler leurs cartes : un quarante pour la Yvette, contre un quarante-cinq pour Carly.
Des cris de surprise soulevèrent alors l’assemblée et la jeune femme bascula contre le dossier de son siège.
— Bien joué, admit amèrement son adversaire.
Est-ce qu’elle vient réellement de se laisser berner ? songea Marceau, incrédule.
— Comptez-vous honorer votre parole ? haleta Carly.
La femme hocha gravement la tête, non sans jeter un regard assassin en direction du mercenaire.
— Seulement si la gueule d’ange tient la sienne. Les deux œufs, et un service.
— Ce sera fait, articula Marceau entre ses dents.
— Bien. Rendez-vous dans une heure sur le quai nord, devant La Comète. Oh, et… Carly, c’est bien ça ? Au moindre faux pas, tes amis et toi passerez par-dessus bord. Compris ?
— Compris, répéta la jeune femme, la gorge nouée par l’émotion.
Elle se releva et se tourna vers le jeune homme, les jambes tremblantes et les yeux brillants de fierté. Il fit alors passer son bras autour de sa taille et l'éloigna suffisamment avant de la prendre par les épaules.
— C’était quoi, ça ?
— Une victoire ? répondit-elle, confuse.
— Ne me refais plus jamais un coup pareil, Carly.
Elle fronça les sourcils et ses yeux étincelèrent de colère.
— Quoi, tu es le seul à pouvoir prendre des initiatives ?
Elle se dégagea sèchement et Russel, qui les avait rattrapés, se précipita vers elle.
— Carly, c’était… wow ! Tu t’y connais en arithmétique ?
— Un peu, avoua-t-elle, mais je préfère l’Histoire.
— C’était quoi cette formule ?
— Je t’en parle dehors ? J’ai besoin d’air...
Elle ignora ostensiblement Marceau et Russel la suivit en direction de la sortie, talonnée de près par Trevor.
En sentant la présence de la pixie, le jeune homme serra nerveusement les mâchoires.
— Est-ce qu’on risque d’avoir un problème ?
Priss tapota son épaule avec un brin de condescendance et d'amusement.
— Toi ? Tu risques d’en avoir plein.
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