I - Au-delà du vide - 1/9

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 Le voyageur contemple la mer de nuages. Un long manteau étend sa silhouette érigée. Autour de lui, les épis de blé mûrs ondulent avec la brise fraîche.

Rien d'autre ne germe sauf les graminées sauvages.

 Face à lui, une falaise noire morcelée par les vents puis l'abîme. L'heure est tardive, la lumière mordorée. La terre exhale une odeur d'ozone. Une montre luxueuse quelque peu cabossée pend de l'une de ses nombreuses poches. Il s'en saisit, vocifère et la laisse retomber.

Des aérostiers en retard, mauvais augure... pense-il.

 Suivant une superstition propre : le voyageur sort un paquet de tarocchi, brasse les cartes, puis jette l'une d'entre elles dans l'immensité. Elle virevolte près des parois rocheuses et sombre dans l'insondable masse cotonneuse.

 Il scrute la surface des nuages. Las d'attendre l'homme consulte son carnet. La couverture est burinée par les périples, une odeur de cuir et de fonte s'en dégage. Bon navigateur sa propriété compulse des cartes régionales, un atlas géographique ainsi que les dernières coordonnées prises. Dans son sépulcre le soleil offre de rares teintes iridescentes.

 Alors surgit de l'apex rocheux dans le plus pur silence, un dirigeable oblong d'une soixantaine de mètres. L'ombre qu'il projette prévient le voyageur qui clôt l'ouvrage avant la truculente bourrasque.

  Toiles de jutes, de soies et de lins, cordages impressionnants, cuirs tannés et tressages d'osiers constituent la peau de l'engin. Son squelette est de bois et les organes métalliques. De nombreux filins d'acier et de multiples câbles électriques forment les tendons et les liaisons nerveuses entre les éléments du véhicule. Quelques volutes æthérées suivent la nacelle qui s'échappe des cimes vaporeuses. Un nom est peint sur la coque en lettrines cuivrées, épousant des formes florales alambiquées.

L'Escapade — car là est son nom — stationne aux abords de la falaise. D'interminables et graciles hélices tournent lentement, produisant un son rond, à peine plus fort qu'un murmure.

 L'engin lâche un ponton, tel un pont-levis sur l'achoppement rocheux. Deux membres d'équipages, un jeune athlétique et un aéronaute aux tempes grises, saisissent d'une main une corde, de l'autre, une masse et un pieu. Ensembles, ils se jettent par-dessus le vide. Une fois sur la terre ferme, sans prêter attention au voyageur, ils enfoncent les tiges métalliques dans des anfractuosités rocheuses puis nouent les cordages.

 Une grande femme malingre et âgée aux traits coriaces descend d'un pas altier, alors que le ponton encore libre crisse sur le sol et les blés. Contrastant avec sa physionomie rêche, un sourire malicieux sied au milieu d'un visage attirant. Elle se distingue du commun par une rapière à son flan et deux armes de poing dépassant de sa gabardine. Ses yeux vairons, l'un violet donne à son regard une nature bienveillante, l'autre carmin lui prodigue une aura féroce.

 " Élia Desselle, votre second pour ce voyage, bienvenue parmi nous " se présente-t-elle. Ce à quoi le voyageur répond avec un simple et martial :

— Entendu, allons-y. "

 La maîtresse d'équipage acquiesce et l'accompagne vers la passerelle. Elle s'arrête subitement, se tourne de son côté et l'invective espiègle :

 " Je crois que vous avez égaré ceci. "

 Avec grâce théâtrale, surgit de ses doigts le cavalier de trèfle. Élia glisse la carte dans la feuillure du carnet. Un objet que le voyageur se trouvant bien penaud, constate toujours tenir.

***

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