Poison Délicat
Comment aurait-il fallu commencer ?
Je ne me rappelle plus. Un conditionnel passé à la trappe.
Tout comme je ne me rappelle plus comment il faudrait finir.
Ce que je sais, c'est comment ça se déroule.
En ce temps indéfini, autant avant que après, s'étirant dans l'infini, par des épisodes saccadés fondus, des immersions au sein d'une vergence palpitant autour de moi. Il n'y a plus de rien, plus de temps.
Surtout maintenant.
Seul avec le Makhine, je dérive dans le vide intersidéral.
Le vaisseau me parle et je l'écoute.
Les écrans affichent le panorama complet de l'environnement spatial, de ce point de vue perdu entre deux galaxies. Ma destination droit devant, si proche et pourtant si loin. Grayaïde, la galaxie rose, à un million d'années vaisseau.
Se déclenchant inévitablement, la fuite du distordeur matriciel ne peut être réparée avec les outils que j'ai. Il me faudrait un laboratoire quantique qui nécessitait à l'époque de l'Amortalité un coût énorme pour des performances moindres. Et bien que déjà des millions d'années se soient écoulées, pour moi le temps a cessé d'exister.
Je me rappelle quel but poursuivait ce voyage sensé durer quelques trois heures trente.
Je me rappelle le loto des chances de le terminer sans perturbation.
Je me rappelle avoir perdu sévèrement.
Mais le karma m'a eut, et je ne m'en plains pas.
Le pilotage de Makhine est simple, et j'ai de quoi survivre l'éternité promise par et pour les Amortels. Je suis seul. Seul explorateur émissaire de Grayaïde. Et après deux cents quarante deux millions d'années à atteindre ma perle rose, je suis presque aussi près d'elle spirituellement que physiquement.
J'y viendrai.
En attendant, je me lève du siège de pilotage, et sors.
Le gazon, les mousses, l'humus, sous mes plantes de pieds nues. Je reviens dans la jungle, et je m'y sens chez moi.
Je m'y sens chez moi car elle m'est aménagée.
Les photobots, les larvoïdes, les fauniques. Toutes les nanogénétiques, les infrastructures crées pour et par mon organisme. L'écosystème s'équilibre parfaitement entre machine et nature, car les deux ont fusionnées dans une osmose cosmologique.
Toute cette technologie biologique et je suis incapable de réparer mon distordeur matriciel.
Je pense à la probabilité qu'il y ait une telle forme d'expérience sur Grayaïde, qui puisse, non pas me permettre de repartir pour un périple intergalaxial, mais au moins pour comprendre de quel monde je viens.
Mais il parait que le progrès n'est pas qu'une ligne, et que je peux tomber sur tout et n'importe quoi qui serait plus ou moins avancé que moi sur divers plans dont je n'ai peut-être même pas idée.
Alors en attendant d'en savoir plus, d'ici quelques centaines de milliers d'années terrestres, j'erre dans la jungle.
Nu.
Dans ma tête.
Et je me remémore avec le Makhine.
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