Au début, il y avait moi.

Un simulacre de torchon humain, une loque terrible, une déception ambulante que j'aurais voulu exterminer. Ma race maudite aux mains d'intraterrestres, je me traînais dans l'inarticulé, sans but ni autre motivation que la fuite de ce monde ténébreux.

Il aurait fallut quelque chose d'extraordinaire pour me soulever de la terre de laquelle j'avais chuté en emmenant mon esprit en balade. Plus rien n'attachait à ma réalité. La fixation ne fonctionnait plus.

Alors je me heurtais dangereusement à l'existence, saturé par le champ auréolé de ma douleur. Et s'il avait fallu que je hurle un appel, aucune vibration ne se serait manifestée.

Ils ont essayé de mettre un nom sur nous.

Ces moi copiés dans leur singularité.

Alors que c'est simplement nous.

Inconsciemment.

On n'a plus les pieds sur terre, et c'est ce que vous permet de vous envoler. Certains parlent de sacrifice, j'y vois une vocation sentencieuse. Dangerosité, quand tu nous tiens.

C'est que la vie, ça s'emmerde.

Au début, il y avait moi, collé comme une étiquette que l’État humain rémunère pour sa survie, sans autre contrepartie que son existence pure et simple.

Le marché est simple. Tu testes ce que tu veux dans le déni. Jusqu'à ce que tu trouves un truc que tu acceptes.

Moi ce que j'aime ?

Je ne sais pas.

Je n'ai pas de maison, je n'ai pas d'activité autre que déambuler dans la rue, en attendant mes crédits. Je discute avec les gens qui me parlent, et j'erre encore. Puis je vais dépenser les crédits.

Pas en alimentation.

Seulement du Tatout.

Ma raison de penser. Ma façon de vivre. Je pourrais m'en passer et mourir lentement. Ce serait totalement supportable. Je préfère cependant explorer ma singularité. C'est assisté, mais à un moment donné on rencontre le besoin d'aide, et c'est mon cas.

Je me soigne.

La vie me blesse, et je me soigne.

La drogue officielle, je l'affiche sur la jonction de mon pouce et de mon index. Un petit tampon qui s'imprime noir et diffuse en cutané le produit qui crée l'onde.

C'est le soma d'Huxley, mais en bien, pas obligatoire, et quand même dangereux, parce qu'il y en a qui ont besoin de ça.

Et je plane au dessus de l'humanité.

Pour un temps.