30. Plug-in
Huit heures. Ma mère se gara.
— À ce soir, ma chérie. Et dis-lui : que le meilleur gagne.
— Je n’y manquerai pas.
Je claquai la portière et avançai d’un pas rapide jusqu’à l’immeuble. Je poussai la porte puis grimpai les marches deux par deux. Au quatrième étage, Eugène m’ouvrit, les yeux marqués du manque de sommeil, mais impeccablement rasé, et parfumé. Je posai délicatement ma bouche sur la sienne et demandai :
— Peu dormi ?
— Très peu. Je vais nous faire des cafés. Installe-toi.
Je fermai la porte, tandis qu’il allait à sa machine. Je lui dis :
— Ma mère a un message : que le meilleur gagne.
— C’est un défi à relever.
— Son thème sera marin.
— Ah ? Elle change ?
Je marmonnai un acquiescement en m’asseyant sur le divan. Sur la table basse, un petit plug anal argenté attendait. J’avais démoulé des excréments plus gros que lui. Je le saisis délicatement, rassurée par ses dimensions. Il était orné d’un faux rubis.
— Je voyais ça plus gros.
— Le but est de décorer, pas de t’éclater l’anus.
Le café vrombit, puis lorsqu’il revint vers moi, il ajouta :
— Si tu as toujours envie d’essayer.
— Vous accrocherez les chaines après ?
— Non. J’ai une bien meilleure idée.
Entendant à sa voix satisfaite qu’il voulait garder la surprise. Je hochai la tête tout en reposant l’objet.
— Si ça peut nous faire gagner.
— C’est le but. — Il trempa ses lèvres. — J’ai passé la nuit à revisiter ton costume.
— Il faut garder le masque. Ma mère le craint.
— C’est mon projet, et nous allons revenir à la couleur de peau huilée et de suie. Mais nous l’appliquerons également sur mon personnage, comme si j’étais allé te capturer dans la fournaise. Nous avons beaucoup de travail pour améliorer le costume.
— Des katanas ?
— Les katanas ne seront pas pour toi.
— Pour vous ?
— Non.
— Pour qui ?
— Devine !
J’écarquillai les yeux. Il jubilait intérieurement, à peine caché derrière son sourire plein d’assurance. Il posa sa tasse vide et lança :
— Nous allons créer un univers ! Et nous allons reléguer ta mère en troisième position.
— Ça me ferait plaisir, mais comment ?
— En faisant gagner une autre poupée. Si on parvient à te faire jouer avec une autre poupée, on peut la faire grimper en seconde place.
— Comme avec Geisha ?
— Exactement. Mais il faudra jouer avec une poupée qui a le potentiel d’être sur le podium. Yako semble inspiré uniquement par le hentaï, ça manque d’originalité. Tu sais ce qu’est le hentaï ?
— Oui.
— Ce matin, nous voyons si le plug te convient. Si oui, nous le fabriquons, et ensuite nous commençons ton pagne.
— Mon pagne ?
— Oui, pour masquer le plug.
— Mais si les gens ne le voient pas, où est l’intérêt ?
— Qu’ils le devinent. Tu vas comprendre.
— D’accord. — Je posai ma tasse. — J’enlève mon pantalon ?
— Allons-y.
Je déchaussai mes basquettes, puis baissai mon Jeans et ma culotte. Il ne me regarda même pas me dévêtir et appliqua un lubrifiant translucide sur la petite ogive. Je m’agenouillai sur le sol et posai mes bras sur le canapé, en essayant de ne pas penser à ma mère et ses deux poupées. Arcan se plaça derrière moi et son pouce passa sur la ligne de mon sexe.
— Ta pistache m’a un peu manquée.
Je soupirai pour lui faire comprendre qu’il en faisait ce qu’il voulait. Hélas, il avait la tête à la création. Il posa la pointe du plug sur mon anus et l’enfonça doucement. Ce ne fut ni agréable ni douloureux. Mes sphincters se refermèrent derrière le cône, ne laissant plus que le rubis émerger.
— Vas-y, lève-toi et marche.
Je me redressai, puis fis quelques pas. L’intrus ne me dérangeait pas. Je montai sur la pointe des pieds, pour imaginer ce que ça pourrait changer une fois en talons. Chaque pas provoquait un automassage troublant qui se diffusait dans les muscles de mon bas ventre. C’était une sensation intime avec un parfum d’interdit tabou, quelque chose que je n’avais pas envie de repousser.
— Ça va. C’est plutôt agréable, en vrai.
— Alors, on le retire.
— D’accord.
Je me tournai dos à lui. Il saisit le rubis et retira lentement le plug, me laissant une impression indécente de déféquer devant lui. Il posa un baiser sur ma fesse.
— Nous allons aller loin, tous les deux. Remets ton jeans, nous passons à l’atelier.
Il rinça le plug à l’évier, le temps de me rhabiller. Je le suivis à l’établi, où il déchaussa le rubis. Il le posa à côté du petit phare d’un jouet dont il avait démonté le cache rouge.
— Nous allons le remplacer par ça. Et à l’intérieur, nous allons mettre ça.
J’adorais ça façon de dire « nous » alors que lui seul avait les idées. Je n’étais pas juste un mannequin pour lui, ce n’était pas lui seul qui visait le podium. Je pensais bien qu’Ipkiss et son façonneur avait ce genre de relation, mais je doutais que ce fût le cas de toutes les poupées.
Arcan me présenta une pastille de quelques millimètres, collé au bout de deux fils électriques rouges et noirs presque aussi fins que mes cheveux. Il prit leur extrémité et les apposa de chaque côté de pile-bouton. La pastille s’illumina.
— Tu vois le tableau ? On va remplacer le rubis par un phare rouge. Par-dessus tu porteras un pagne noir légèrement translucide. Les gens verront une lumière rouge qu’ils ne pourront qu’imaginer, fantasmer.
— D’accord.
— L’idée te plaît ?
— Oui. Et le pagne sera par-devant aussi ?
— Bien sûr. Je pense utiliser ce tissu, il est très fluide.
Il m’invita dans son stock de rouleaux de tissus et déroula légèrement un tissu anthracite très léger dont les mailles avaient un reflet métallique selon leur orientation sous la lumière. Cela s’accordait bien avec le thème de nos personnages.
— Mais on ne le passera pas entre tes jambes. Il faut que les façonneurs puissent espérer apercevoir ta fente à chacun de tes pas. On fera deux parties, accrochées à ta ceinture.
— D’accord.
Il bloqua le tissu, tendit le lai et passa la lame le long du rail. Il le plia en deux, le présenta devant mes hanches et ordonna :
— Tu prends les ciseaux et tu enlèves quinze centimètres, très droit. Ensuite tu coupes en deux longueurs égales. Moi, je commence le feu arrière. T’as un crayon blanc pour tracer…
— D’accord.
Il brancha son fer à souder et se plaça à l’établi dédié aux accessoires, tandis que je me plaçais face au plan de table consacré à la couture. Je tendis le tissu en le plaçant sous une règle et me servit du bord de la table pour le plier droit et le marquer. Je pris mon temps avec les ciseaux afin de respecter une ligne parfaite.
Puis, je revins vers lui sans rien dire pour ne pas le déranger, tandis qu’il soudait les fils électriques de part et d’autre d’un insert pour une pile bouton. Il fouilla ses affaires, testant différents cercles de métal à sertir à la place de la pierre sur le plug. Il était si absorbé qu’il m’avait oubliée. Moi, je regardais, ébaubie par l’ingéniosité si simple avec laquelle il arrivait à un résultat qui semblait complexe. Il logea la pile bouton dans son réceptacle et la glissa dans le creux du plug, maintenant l’ensemble avec une pointe de silicone. Il désossa un interrupteur disposant d’un relai Bluetooth. Au cutter, il découpa le support du circuit de manière à le rendre rond. En deux mouvements, il obtint le diamètre désiré. Il ferma l’ensemble avec une rondelle du diamètre du plug qu’il scella à la colle, puis, il programma l’interrupteur sur son téléphone. Je notai que mon portrait masqué était en fond d’écran, mais n’osai dire un mot. J’étais fasciné par son silence, sa concentration méthodique. Il n’y avait pas d’erreur. Dès que sa main avait trouvé la pièce qui lui convenait, tout s’imbriquait parfaitement. Trois autres rondelles de différentes épaisseurs et diamètre furent collées sur la première, puis il appliqua le carreau rouge à l’intérieur, le scella au silicone dans un cylindre biseauté, lui donnant un aspect de vieux phare. Il couvrit la partie à insérer du plug et le phare de scotch de protection. Ensuite, à la bombe, il aspergea de peinture noire l’ensemble des accessoires pour leur donner un côté uni. Lorsqu’il sortit de sa concentration, il était onze heures passées, et il me dit comme si nous nous étions répartis les tâches dix minutes auparavant :
— J’ai fini. Tu en es où ?
— J’ai coupé.
— Parfait.
Il posa le plug sur une boîte de conserve vide pour qu’il séchât, puis il ouvrit son tiroir à chaînes de vélo.
— Enlève ton pantalon.
J’ôtai mon pantalon et mon sous-vêtement tandis qu’il cherchait des accessoires métalliques. Lorsqu’il se tourna vers moi, il sourit :
— Tu pouvais garder la culotte.
— L’habitude.
— Ça ne m’aide pas à rester concentré.
Il passa la chaîne autour de ma taille, et plaça son pouce sur le maillon à désassembler. Il fit sauter le rivet, et repassa la chaîne autour de ma taille. Avec un fil de fer, il referma la ceinture, puis il plaça le pagne devant mes jambes. Il coinça le premier pan, puis l’autre derrière mes fesses. Les deux pièces de tissus tombaient à mi-mollet. Leur largeur ne me masquait que la moitié intérieure de mes cuisses. Mes flancs restaient irrémédiablement nus et suggéraient ma nudité entière. Le tissu était si léger, qu’un pas trop rapide pouvait en effet découvrir mon intimité.
— Parfait. On va faire le tour de la chaîne et on va fixer avec des rivets rapprochés pour garder le côté métallique. On fermera le pagne sur le côté. Il faut juste que j’anticipe l’accroche de l’anneau. Il est quelle heure ?
— Midi.
— Déjeunons avant l’arrivée de nos invités.
— Qui ?
— Tu n’as toujours pas deviné ?
Je secouai la tête.
— J’ai invité Yako et Geisha pour leur proposer ma vision. Tu peux remettre ton pantalon. Sauf si tu préfères rester anonyme et dans le rôle de Muse.
— Geisha sera masquée ?
— Elle ne portait pas de masque lors de la soirée.
Je réfléchis car j’étais curieuse de voir Geisha de mes propres yeux, mais ce qui me freina tout de suite, ce fut la présence de son façonneur. Même si je restais habillée, Yako ne pourrait s’empêcher de me dévêtir du regard. Il m’avait vue nue, tremblante sous les coups de langues de sa poupée. Je ne voulais ni croiser ses yeux, ni déchiffrer ses pensées. J’étais déjà assez mal à l’aise avec ma mère.
— Je pense qu’il faut que je garde une barrière entre ma vie privée et ma vie de professionnelle.
— Je comprends. — Il avança jusqu’à la cuisine. — Tu t’habilleras avant leur arrivée et tu garderas le pagne.
— D’accord.
— Salade césar. Ça te va ?
— Bien sûr.
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