55. Ciseau
A la pizzeria, ils me montrèrent la vidéo, la lumière du tube éclairant l’intérieur pourpre de mon corps. Annette ne comprenait pas le plaisir que j’éprouvais et me disait de ne pas me laisser faire par son frère. Lui en avait joué, glissant quelques allusions qui lui laissaient imaginer que j’avais des tenues SM différentes pour faire la vaisselle et le ménage et qu’il ordonnait à Geisha de me punir s’il trouvait de la poussière. Geisha avait été complice dans les fabulations, expliquant qu’elle s’arrangeait pour que je crie, sans pour autant que ça laisse de marque. J’avais essayé de démentir, mais mes deux amants s’amusaient trop bien pour m’écouter. Finalement, ce furent leurs rires sots qui fit comprendre à Annette qu’ils se moquaient d’elle.
Nous finîmes de dîner tard. Etreignant la promesse de visiter l’appartement d’Arcan, le lendemain, je rentrai un peu frustrée que la soirée n’eût pas fini sur une note plus intense. D'avoir vu mes deux amants si complices durant le repas m’avait fait imaginer un trio torride. Lorsque nous fûmes à l’appartement, Geisha me dit :
— Eugène aime bien choquer sa sœur.
— Ça m’a un peu gênée.
— Je trouvais ça marrant.
Je la serrai contre moi.
— Quand on est restées toutes les deux, c’était sympa.
— Dire qu’avant de me connaître, tu n’aurais pas embrassé une autre femme.
Je l’embrassai langoureusement et elle murmura :
— Tu m’as excitée sur ta potence. Là, t’es en train de tout faire remonter. T’as plus le choix, faut qu’on baise.
— Ça tombe bien, je suis restée sur ma faim.
Un nouveau baiser scella nos visages l’un contre l’autre, et nos mains s’éparpillèrent à l’assaut de l’épiderme de l’autre. Nos doigts étaient comme des taupes creusant des galeries sous les vêtements, en quête de zones érogènes à éveiller. Geisha était douée à ce jeu.
Les t-shirts séparèrent nos bouches l’instant d’une seconde, puis nous décoiffèrent avant de s’envoler pour le sol. En cambrioleuse habile, elle ouvrit mon soutien-gorge. Entre deux caresses, je libérai mes épaules. Dans notre baiser interminables, la poitrine écrasée contre la peau brûlante de l’autre, nos mains terminèrent l’éveil du creux de dos, descendant sur nos fesses en s’agaçant des ceintures trop étroites des jeans. Nos bouches s’interrompirent, le temps de jeter un œil aux boutons à ouvrir. Puis d’un élan affamé, nous baissâmes pantalon et sous-vêtements l’une après l’autre. Nos langues se retrouvèrent, nos doigts griffèrent nos cuisses dénudées, visitèrent les monts charnus.
— On s’allonge ? proposai-je.
— OK.
Nos pieds prisonniers manquèrent de nous faire chanceler, alors, sans même nous parler, d’un regard nous partageâmes la même idée. Nous restâmes enlacées l’une contre l’autre et sautâmes à pied joint de côté jusqu’à gagner le canapé déplié. Nous éclatâmes de rire en nous effondrant sur le flanc. Geisha se débarrassa de ses chaussures, chaussettes et vêtements avant de libérer mes pieds avec empressement.
Elle posa sa main sur ma poitrine afin que je restasse couchée. Plus question de bisous. Elle s’allongea à l’opposée et ouvrit ses jambes, révélant sa fleur pourpre et brillante de désir. Une vulve était toujours aussi hideuse à mes yeux, mais savoir Geisha aussi ivre de libido me plut. Une cuisse par-dessus la mienne, son bassin s’avança et s’écrasa contre le mien. J’agrippai son mollet, elle saisit un des miens. Nous resserrâmes notre étreinte en ondulant sensiblement, jusqu’à sentir un accord entre nos points de pression. D’un regard entendu, nous entamâmes une danse lascive.
Son visage concentré se perdit progressivement dans les limbes du plaisir. Plus nos pétales s’écrasaient, plus ils se tartinaient. Mais, emportée dans une délectation charnelle ascendante, plus rien ne me répugnait. Je scrutais la silhouette de ma partenaire, de la pointe de ses seins au renflement de son pubis luisant qui disparaissait sans cesse entre mes cuisses. Geisha était magnifique dans son expression corporelle. Lorsque ses yeux s’entrouvraient, elle me jetait un regard enflammé de gourmandise, puis ses paupières se refermaient, perdues dans les saveurs du tribadisme. Nous accélérâmes progressivement. Elle commença à gémir, à ne plus maîtriser sa respiration. Ses doigts s’enfoncèrent davantage dans mon mollet, l’autre s’empara de ma cuisse, la refermant complètement autour de son bassin. Emprisonnés, limités dans l’amplitude de leur danse, nos sexes s’écrasaient comme s’il voulaient entrer l’un dans l’autre.
L’inconfort que je ressentais sur l’instant n’était pas partagé. La respiration de Geisha se coupa, son corps se tendit tout entier, puis son ventre vibra contre le mien. Je m’émerveillai de voir les soubresauts de l’orgasme faire monter et descendre son nombril. Puis ses épaules retombèrent sur les draps.
Je dénouai nos cuisses détrempées et m’allongeai près d’elle. Sa main revint vers mon pubis, mais je la décalai sur ma cuisse. L’instant était magique, j’avais eu assez de plaisir à l’observer. Il était temps de trouver un peu de douceur. Je voulais juste qu’elle se sentît bien, et je caressai son visage apaisé.
Geisha s’endormit moins vite que l’aurait fait un homme, mais elle finit par se laisser emporter. Allongée sur le dos à côté d’elle, je nous imaginais comme si je pouvais nous voir d’au-dessus du lit. Moi nue, avec une fille nue. J’avais aimé ce ciseau, et je l’avais apprécié. Toutefois, d’avoir goûté au triolisme donnait un goût un peu fade. Ce n’était pas forcément un pénis qui avait manqué, mais la personne qui m’envoûtait et son imaginaire illimité.
Au-delà de ce simple constat intérieur, j’étais obligée de reconnaître que si je n’avais pas connu Arcan, me frotter contre Geisha aurait été la meilleure expérience de toute ma vie. Ce que j’avais connu quand j’étais adolescente était d’un fade bouleversant. Ma première fois avec Noé, malgré son imperfection, était gravée sur une stèle bâtie au milieu de ma mémoire, tant mes sentiments avaient fait de cette nuit un moment unique. Ces derniers jours avaient érodé la stèle et Geisha venait de lui donner un choc assez puissant pour la fissurer. Elle était bâtie sur des certitudes sur mon hétérosexualité, sur l’importance des sentiments. Jusqu’ici, j’avais mis Arcan un cran au-dessus de Geisha, sans pouvoir ignorer que je ressentais bien plus qu’une amitié pour elle. En m’observant depuis le plafond, si j’effaçais à nouveau Arcan du paysage, je devais reconnaître deux choses : elle serait ma petite amie. Elle était drôle, honnête, pétillante, affectueuse et elle maîtrisait mon clitoris comme aucun garçon ne l’aurait fait. Si Arcan n’avait pas existé, si je l’avais rencontrée par un autre biais, je l’aurais présenté à ma mère qui aurait été folle de joie que je suivisse sa voie.
Je me tournai vers elle et posai ma main sur son ventre qui respirait lentement. Il serait difficile de me séparer d’elle autant que d’Arcan. Je voulais que cette vie partagée entre les deux dure l’éternité. J’approchai mon front contre sa tempe et lui murmurai :
— Je t’aime.
J’imaginai Arcan nous rejoindre, se blottir contre mon dos. La tête de Geisha tourna vers moi, ses yeux grands ouverts plongés dans les miens. Ils pétillaient dans la pénombre. Elle ne répondit pas, mais elle souriait.
Annotations
Versions