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Quelques années plus tôt, au lycée Coastside, l'effervescence emplissait la grande cour en ce début d’après-midi. Une atmosphère vibrante régnait alors que les élèves s’activaient dans tous les coins, transportant des caisses, ajustant des guirlandes lumineuses, ou répétant fébrilement des numéros pour le spectacle du soir. Les éclats de voix, le bruit des marteaux, et le cliquetis des verres remplis d’une limonade fraîche composaient une symphonie joyeuse.

Au centre de cette agitation, Abigaël faisait de son mieux pour coordonner les préparatifs. Sa fine queue de cheval dansait dans tous les sens à mesure qu'elle allait d'un point à un autre, son casque-micro vissé sur la tête. Elle vérifiait le son, testait les lumières, et distribuait des consignes précises à ses camarades un peu trop dissipés. Malgré le chaos ambiant, une énergie presque contagieuse émanait d’elle, même si une ombre subtile se lisait parfois dans son regard : elle attendait quelqu’un.

Près de la scène encore en construction, elle fit une pause, les mains sur les hanches. Le souffle court, elle scruta son portable. Pas de messages. Pas de notifications. Elle laissa échapper un soupir en ouvrant la paille de sa boisson glacée, une saveur myrtille et pistache qui fondait lentement dans la chaleur de l’après-midi. Elle s’installa à une table, près d’une échoppe de glaces artisanales tenue par Bianca, son amie de longue date, une grande blonde exubérante au sourire espiègle et se prenant pour un Tomboy.

— Alors, ma chère bourreau de travail, tu sembles épuisée ! lança-t-elle.
Elle nettoyait un verre à l'aide d'un chiffon coloré.
— Je gère, c’est tout.
Abigaël haussa les épaules, sa voix trahissant tout de même une pointe de lassitude.
— Tu devrais te reposer, ou mieux : abandonner tout ça pour aller te marier et vivre enfin comme une adulte ! dit-elle avec un clin d'œil moqueur.
— Très drôle, Bianca... vraiment hilarant.

Bianca, loin de se démonter, s’appuya sur le comptoir et reprit d’un ton faussement solennel :
— Tu travailles trop, c’est insensé. Tu as enfin ce que tu voulais, alors pourquoi te rendre malade à force de courir partout ? On dirait que tu cherches une excuse pour ne pas profiter ! Je rêve !
— Je sais, mais... Elle hésita, portant son verre glacé à ses lèvres avant d’ajouter : Je ne peux pas m’en empêcher.
— Pfff ! Tu es impossible. Mais je te préviens, ne viens pas pleurer quand tu finiras par t’effondrer de fatigue, hein ? Une vraie bourrique quand tu t’y mets !
Bianca accompagna sa réplique d’une grimace exagérée, ce qui arracha enfin un sourire à Abigaël.

Un groupe d’élèves passa près de la table, transportant un immense panneau décoratif peint à la main. Le panneau représentait une plage illuminée sous une pleine lune scintillante. Abigaël leva un pouce en leur direction, un signe rapide d’encouragement avant de poser sa tête contre la table en soupirant.

— Et Millie ? Je ne l’ai pas vue de la journée. Elle traîne encore avec son copain ? demanda Bianca en croisant les bras.
— Elle doit profiter, je suppose. Je ne vais pas la surveiller, elle a bien le droit de s’amuser, non ? marmonna Abigaël.
— Chanceuse ! Elle a pris sa journée, et toi, tu es là à tout gérer ! Franchement, je parie que tu savais qu’elle allait se défiler !
Bianca s’indigna, mais le rire malicieux dans sa voix trahissait son amusement.

Sans prévenir, celle-ci attrapa un petit morceau de glace pilée et le glissa dans le dos d’Abigaël avec une précision diabolique.
— Bianca ! cria Abigaël en se redressant d’un bond, tordant son corps dans tous les sens pour tenter de faire tomber le glaçon. La sensation glaciale lui arracha un frisson, et elle se contorsionna, gênée, sous le regard hilare de son amie.
— Oh, regarde ça ! Le glaçon coule le long de ta raie maintenant !
Lança la jeune femme en éclatant de rire, les larmes aux yeux.

— Tu es insupportable, s’exclama Abigaël.
Bien qu’un sourire amusé se dessine malgré elle sur son visage. Elle se redressa, ajusta son maillot blanc, et s’éloigna d’un pas décidé.
— Eh ! Je sais que tu m’adores !

Un peu plus loin, Abigaël s’arrêta pour reprendre son souffle. Malgré elle, la farce avait réussi à lui faire oublier, ne serait-ce qu’un instant, la tension qu’elle ressentait. Mais son regard revint aussitôt à son téléphone. Cette attente la rongeait. Où pouvait-il bien être ?

Épuisée s'impatienter et fatiguée par l’agitation de la journée, la responsable événementielle s’éloigna de la scène et des préparatifs pour rejoindre un coin plus calme. La douce fraîcheur du soir s’installait, une brise légère caressait son visage affaibli. Elle marcha jusqu’à un bosquet où quelques élèves se promenaient en petits groupes ou par deux, profitant des instants avant la fête. Trouvant refuge sous un grand arbre aux branches accueillantes, elle s’y adossa, les écouteurs vissés aux oreilles, laissant une musique apaisante envahir ses pensées.

Le temps semblait oubliable jusqu'à ce qu'elle remarqua un attroupement non loin. Un trio qu’elle reconnut immédiatement : les amis proches de celui qu’elle attendait. Leur agitation attira son attention. Ils parlaient à voix basse, mais leurs gestes nerveux ne passaient pas inaperçus. Fronçant les sourcils, Abigaël se redressa, épousseta son jean noir et s’avança vers eux, légèrement hésitante. Plus elle s'approchait, plus elle percevait la tension dans leurs voix.

— Thomas ! Qu'est-ce qui se passe ? Ça va ? demanda-t-elle.
Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase : ils semblaient déjà absorbés par une conversation intense.

— Calme-toi, arrête d’y penser, murmurait l’un d’eux.
Une fille aux cheveux attachés en un chignon désordonné.
— Non ! Ça ne peut pas être lui. Essaie encore ! rétorqua l'autre, la voix tremblante.

Abigaël, désormais tout près, posa une main sur l’épaule de Thomas, un garçon robuste au visage fermé. Il sursauta en se tournant vers elle, visiblement surpris, mais aussi troublé par autre chose.

— La déléguée ! balbutia-t-il, presque soulagé de la voir.
— Qu’est-ce qui se passe ? Vous me faites flipper depuis tout à l’heure ! insista-t-elle.
Elle ôta ses écouteurs de ses oreilles.

Thomas évita son regard, ses lèvres indecises à formuler une réponse cohérente.
— C'est... Rien de grave. On se fait des idées, c’est sûrement rien, lâcha-t-il d’une voix tendue.

— Rien ? répéta Abigaël en plissant les yeux.
Derrière Thomas, les deux filles du groupe échangeaient des mots rapides, presque inaudibles.

— Vous êtes sérieux, là ?
La gérante haussa le ton, la frustration montait en elle.

Finalement, une des filles, la plus jeune du groupe, craqua.
— Écoute, on flippe, d’accord ? Notre ami ne répond plus à nos messages depuis ce matin.

Le cœur d’Abigaël manqua un battement.
— César ? murmura-t-elle, sa gorge se serrant instinctivement.

— Oui. Il est parti voir sa mère hier soir dans la ville voisine, et depuis, aucune nouvelle. Pas un message, rien. Et… il y a eu un truc bizarre dans cette ville aujourd'hui.

— Un truc bizarre ? répéta-t-elle.
La panique transparaissait dans sa voix.

Thomas, d’ordinaire impassible, gronda presque :
— Un accident. On ne sait rien, mais… c’est trop étrange. Ça ne lui ressemble pas.

Abigaël sentit une sueur froide parcourir son dos. Elle inspira profondément pour calmer le tremblement naissant dans sa voix.
— Écoutez, ne commencez pas à paniquer, d’accord ? Je vais en parler au prof principal, peut-être qu’il a un contact avec sa mère. Et surtout… tenez-moi au courant. Si vous apprenez quoi que ce soit, immédiatement, vous m'appelez. Compris ? Tout ira bien !

— Oui, promis, répondirent-ils, presque en chœur, le regard baissé.

Abigaël leur adressa un dernier regard insistant avant de tourner les talons. Ses pensées s’embrouillaient déjà, mais elle savait qu’elle devait garder son calme. Les premières étoiles pointaient dans le ciel, mais pour elle, la soirée venait de se charger d’un nuage lourd et inquiétant.

La traversée de la grande cour à toute allure, n'aidait en rien. Son souffle court, ses pensées chaotiques et son attention qui ne pouvait revenir sur l’écran de son téléphone. Elle relisait, encore et encore, cette info qu’elle avait balayée du regard un peu plus tôt dans l’après-midi, sans y accorder de réelle importance. Mais maintenant, chaque mot l'alarmait.

"Un accident à la rue Farefield, près du centre-ville. Un seul blessé... Cela s'apparenterait à un suicide. Les informations sur la victime n'ont pas encore été révélées. Mais il s'agirait d'un jeune homme, d'après les images de la caméra de surveillance d'une boutique voisine."

Non. Ce n’était pas possible. Ça ne pouvait pas être lui. Abigaël secoua la tête, essayant de chasser cette idée qui s’insinuait en elle comme un poison. Ses mains tremblaient légèrement alors qu’elle serrait son téléphone contre sa poitrine, comme pour étouffer l’écho de cette terrible hypothèse.

Les mots tourbillonnaient dans son esprit, entrelacés de souvenirs flous : le rire de César, ses blagues maladroites, son regard sérieux lorsqu’il exposait ses idées . Elle accéléra encore, frôlant les groupes d’élèves qui s’installaient pour la fête, à peine consciente des regards curieux qui se tournaient vers elle.

Quand elle atteignit enfin le bâtiment principal, elle se stoppa net devant les grandes portes vitrées, à bout de souffle. La lumière de l'intérieur projetait sur elle une ombre vacillante, traduisant à la fois sa détermination et son désarroi. Elle fixa un instant son reflet. Elle avait envie de crier, de hurler qu’elle avait besoin de réponses, maintenant. Mais elle savait qu’elle devait rester lucide, ne pas céder à la panique.

La jeune mandatée inspira profondément, ses doigts crispés autour de la poignée de la porte. Une dernière pensée traversa son esprit, plus forte que toutes les autres : Il faut que je sache. Même si c’est douloureux, je dois savoir.

Et avec ce courage vacillant mais sincère, elle entra dans le bâtiment, prête à confronter une vérité qu’elle redoutait plus que tout. La fête battait déjà son plein dehors, mais pour elle, cette soirée marquait le début d’une nuit bien plus sombre que les guirlandes lumineuses ne pourraient jamais éclairer.

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