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Près de l’entrée de l’hôpital, un distributeur projetait une lueur froide dans l’obscurité. Vivianne, toujours attentive malgré la fatigue, fit signe au groupe de l’attendre un instant.

—Attendez-moi ici. J’ai une idée.

Elle s’approcha de la machine, fouillant dans ses poches à la recherche de quelques pièces. Une fois trouvées, elle appuya sur les boutons sans hésitation, sélectionnant le même café noir, fort et brûlant, encore et encore.

Thomas, intrigué, s’avança légèrement pour jeter un œil à ce qu’elle faisait.
—Vous prenez quoi pour nous, madame ?

L'enseignante ne tourna même pas la tête, concentrée sur sa mission.
—Du café. Noir. Pas de sucre.

—Du café noir ? Mais...
Thomas hésita, jetant un regard vers les deux filles du groupe, qui échangeaient des moues sceptiques.

Abigaël, de son côté, se contenta de lever les yeux au ciel, un sourire amusé aux lèvres. Elle avait déjà compris que Vivianne n’était pas du genre à tergiverser pour des détails comme les préférences de chacun.

—Voilà !
La professeure, triomphante, les gobelets en main, en tendit un à chacun, ses gestes rapides mais précis, comme si elle distribuait des trophées après une compétition.

Les réactions ne se firent pas attendre. Le jeune sportif grimaça à la première gorgée, secouant la tête.
—C’est... super amer. Vous êtes sûre que c’est ce que vous buvez, vous ?

La responsable haussa un sourcil, feignant l’indignation.
—Bien sûr ! C’est ce qui te tient éveillé quand t’as passé trois nuits blanches à boucler des dossiers. Vous, les jeunes, vous êtes trop habitués aux trucs sucrés. Le café noir, c’est une vraie boisson.

La déléguée éclata de rire en voyant la tête choquée du groupe.
—Comme si on adorait ça, nous !

Vivianne haussa les épaules, un sourire espiègle sur les lèvres.
—Je me base sur mes propres goûts. Et puis, c’est bon pour vous : ça forge le caractère.

L’une des filles, après une tentative prudente de goûter, murmura timidement :
—Je crois que je vais m’habituer... peut-être.

Vivianne leva son gobelet dans un geste théâtral, comme pour porter un toast.
—Voilà l’esprit ! Allez, courage, les jeunes. Si le café ne vous réveille pas, la pluie le fera.

Tout le groupe éclata de rire, un moment bref mais précieux qui allégea l’atmosphère lourde de la soirée. Abi, en sirotant à son tour, sentit une chaleur douce se diffuser dans sa poitrine. Ce n’était peut-être pas le goût du café, mais plutôt cette étrange capacité de sa preceptrice à transformer un instant banal en un moment d’apaisement.

Le temps de calme se passa et la leader ramena les troupes, il était temps de pénétrer l'hôpital.
—Allez ! Il est temps d'y aller.

En passant la première, la porte automatique s’ouvrit avec un léger chuintement, révélant un hall d’urgence en pleine effervescence. Les brancards passaient, accompagnés par des infirmiers aux visages tendus, tandis qu’un téléphone sonnait à intervalles réguliers. La lumière blanche des néons écrasait les ombres, rendant l’atmosphère presque oppressante. Ainsi, l'hôpital Sainte Catherine était réputé pour son service d'urgence, l'un des meilleurs de tout le pays.


Abigaël hocha la tête, toujours un peu perdue, mais elle emboîta le pas. Thomas lui jeta un regard compatissant avant de marcher à ses côtés, ajustant la sangle de son sac à dos et tenant ses mains dans les poches de sa veste. Quant aux deux filles, l’une restait concentrée sur son téléphone, répondant à un dernier message, tandis que l’autre semblait mal à l’aise, se tenant légèrement en retrait, ses bras croisés comme pour se protéger du froid ambiant.

Fidèle à elle-même, madame Falkreath marcha droit vers la réception où une infirmière, d’une trentaine d’années, feuilletait un dossier tout en jetant des coups d’œil à son ordinateur. Le badge épinglé à sa poitrine indiquait « Sylvie ».

—Bonsoir.
La voix de Vivianne, douce mais affirmée, attira l’attention de l’infirmière.
—Bonsoir. Les visites sont terminées. À moins que vous ne soyez de la famille, vous ne pouvez pas monter. Veuillez regarder l'affiche derrière vous, je vous prie.

Un sourire effleura les lèvres de Vivianne.
—Mais nous sommes de la famille. Voici l’oncle, la grand-mère, la nièce et... la belle-fille. Sacrée famille, n’est-ce pas ?

Sylvie releva les yeux, perplexe, examinant tour à tour le groupe derrière Vivianne. Thomas, interloqué, tenta un sourire maladroit en se grattant la nuque.
—On est mal barré !
Une des filles, Anaïs, pinça les lèvres pour ne pas rire, visiblement amusée par l’audace de leur professeure, tandis que l’autre, Zoé, murmura :
—Sérieusement, elle y croit pas, là...

Sylvie soupira, croisant les bras.
—Vous vous fichez de moi ?

La professeure ignora la question, se penchant légèrement pour dégager une mèche de cheveux qui tombait sur son visage. Le mouvement, simple mais élégant, dévoila un regard perçant et une mâchoire subtilement tendue. Sylvie eut un léger mouvement de recul, comme frappée par l’aura magnétique de la professeure. Sa jugulaire battante révélait un côté tendre qui fit flancher la jeune femme.

—Appelez-moi Vivi. Et pour être honnête, votre uniforme vous va à ravir.

L’infirmière cligna des yeux, déconcertée par le compliment inattendu. Elle détourna le regard vers ses dossiers pour éviter celui, presque hypnotique, de Vivianne.

—Vous êtes vraiment têtue. Je vais appeler la sécurité...
Elle hésita, mais la debatteuse n’en démordit pas.

—L’amour de la famille et l’admiration des amis sont bien plus importants que la richesse et le privilège.

Elle désigna Abigaël d’un geste subtil et tendre. La jeune fille baissait la tête, visiblement mal à l’aise sous le poids des regards, mais son expression trahissait un mélange de tristesse et d’espoir fragile. L’infirmière, face à cette scène, s’arrêta net.

Un soupir. Une hésitation. Puis, enfin :
—Quelle chambre ?

—La 210.

—Allez-y. Je vous couvre.

—Merci infiniment, Sylvie.
Vivi lui offrit un sourire chaleureux avant de faire signe au groupe d’avancer.

Dans l’ascenseur, l’atmosphère s’était allégée, bien que chacun restât silencieux. Anaïs brisa finalement le moment de calme, un sourire moqueur sur les lèvres.
—Franchement, c’était quoi ça, madame ? Vous avez hypnotisé l’infirmière ou quoi ?

Zoé hocha la tête, croisant les bras.
—Sérieux, vous avez fait un truc bizarre. Elle était prête à nous jeter dehors, et là, pouf, elle vous laisse passer ?

La dame, adossée contre la paroi de l’ascenseur, croisa les bras à son tour, un sourire énigmatique sur le visage.
—Ah, mes chères damoiselles, il n’est pas toujours aisé de demander à une femme de révéler ses secrets.

Thomas roula des yeux, un rire bref lui échappant.
Bon, tant que ça marche, hein...

Vivianne désigna la porte de l’ascenseur en s’inclinant légèrement, son élégance toujours intacte.
—Suivez-moi ! Le devoir nous appelle.

Abigaël, malgré le tumulte dans son esprit, ne put s’empêcher de sourire à ce moment d’humour inattendu.

Arrivés à l’avant-dernier étage, le claquement sec de l’ascenseur résonna dans le silence des couloirs. La déléguée sortit en dernier, ses pieds lourds comme s’ils refusaient de la porter plus loin. Les lumières crues dansaient dans son champ de vision, et les chiffres des portes, alignés comme des sentinelles immuables, défilaient trop vite : 200... 202... 205... Chaque chiffre amplifiait la boule d’angoisse dans son ventre.

Elle entendait vaguement Vivianne marcher devant elle, ses talons claquant contre le sol ciré. La voix de sa professeure existait, posée, presque rassurante, échangeant quelques mots avec une femme aux cheveux noirs tantôt grisonnants qui se tenait devant une porte ouverte : Madame Oswald. Mais Abi n’écoutait rien. Tout était flou, irréel.

Son cœur battait à ses tempes, sourd, puissant, rendant le monde autour d’elle lointain. Les bruits étouffés : la respiration nerveuse de Thomas, les chuchotements des filles, les bribes de phrases échangées entre les deux actrices . Et pourtant, ses jambes continuaient de la porter, une mécanique brute qui ne s’arrêtait pas.

Quand la petite troupe entra dans la chambre, elle resta en retrait, hésitante. L’air plus lourd que jamais, chargé d’une tension presque palpable. Or lorsqu’elle posa enfin un pied à l’intérieur, le monde se précisa violemment.

La pièce était saturée de machines, d’écrans et de tubes, tous connectés à un corps frêle, inerte. César. Son visage était pâle, presque translucide, tranchant avec les bandages qui encerclaient son front. Un pansement sur sa joue gauche cachait une blessure, tandis que d’autres marques parcouraient ses bras, sa clavicule. Sa poitrine se soulevait à peine sous le masque à oxygène.

Abigaël sentit ses jambes vaciller. Elle aurait voulu détourner les yeux, mais elle ne pouvait pas. Chaque détail s’imprimait dans son esprit : la lenteur du moniteur cardiaque, les perfusions fixées à ses bras, les fines gouttes de condensation à l’intérieur du masque.

—Il... il est dans le coma. 

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