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La voix douce mais tremblante de Madame Oswald perça le silence, comme une lame qui fendait l’air. Elle se tenait près du lit, sa main posée sur le pied du garçon, cherchant un contact même si César ne pouvait rien ressentir.
—L’accident... il a perdu beaucoup de sang avant d’arriver ici. Mais les médecins font tout ce qu’ils peuvent.
Vivianne s’avança, posant une main rassurante sur l’épaule de Madame Oswald.
—Il est entre de bonnes mains. Mais... c’est un long combat qui commence.
Abigaël n’entendait plus vraiment les mots. Un flot d’émotions déferlait en elle : la peur, la culpabilité, la colère, et surtout une tristesse déchirante. Elle s’approcha lentement, hésitant à s’avancer davantage.
Thomas, derrière elle, posa une main légère sur son épaule, un geste simple mais qui lui fit l’effet d’un ancrage. Zoé pleurait et Anaïs la consolait, toutes les deux restaient près de la porte, le regard bas, évitant de croiser les yeux d’Abi.
La professeure, observant tout cela du coin de l’œil, intervint doucement.
—Si tu veux lui parler, Abi, vas-y. Même s’il ne peut pas répondre, il entendra tes mots.
Avant que le groupe ne s’installe complètement dans la chambre, une tension palpable s’installa. Les deux amies inséparables se tenaient en retrait, ne souhaitant pas s’avancer davantage. Leurs regards glissaient furtivement vers César, allongé et entouré de technologies. L’ambiance semblait les clouer sur place, et bientôt, Anaïs prit une grande inspiration pour briser le silence.
— Je... je suis désolée, mais je ne peux pas.
Sa voix était faible, presque sans vie, et elle faisait de son mieux pour ne pas éclater en sanglots. Elle détourna les yeux du lit, fixant le sol comme pour s’ancrer quelque part.
— Je préfère partir... C’est trop dur de le voir comme ça.
Zoé posa une main sur l’épaule de son amie, partageant son trouble.
— Moi aussi... je ne peux pas rester. Je pensais être prête, mais...
Elle s’interrompit, secouant la tête, ses larmes tâchant le sol blanc.
L'éducatrice hocha la tête doucement, comprenant leur réaction.
—Je comprends, mesdemoiselles. Ce n’est pas facile. Si vous préférez rentrer, personne ne vous en voudra.
Les deux filles se tournèrent alors vers Madame Oswald, un mélange de gêne et de gratitude dans leur regard. Anaïs murmura :
—Merci de nous avoir permis de le voir... et désolée de partir comme ça. On aurait souhaité vous rencontrez d'une autre manière.
Madame Oswald leur sourit tristement.
— Il n’y a pas de honte à avoir, les filles. Le geste compte et je suis sûr que lui aussi comprendrait.
Les deux jeunes filles se tournèrent ensuite vers Vivianne. Anaïs lui fit une légère révérence moqueuse, comme pour alléger l’atmosphère.
—Merci, madame Falk... Vous avez été incroyable aujourd’hui.
Zoé embrassa rapidement Thomas sur la joue avant de sourire timidement.
—Prends soin de toi, d’accord ?
Thomas rougit légèrement, mais il hocha la tête. Sa vision déteignait sur lui aussi, mais il serrait les dents, décidé à rester. Pourtant, Vivk, qui avait toujours un œil vif, perçut l’hésitation dans son regard.
Elle s’approcha discrètement de lui et lui donna un léger coup de coude dans les côtes. — Va, Thomas. Elles ont besoin de quelqu’un pour les raccompagner, surtout à cette heure. Profites-en pour…
Il se figea une seconde, mais le regard appuyé de sa prof acheva de le convaincre. Il adressa un signe de tête à Madame Oswald et murmura à Abigaël.
—Déléguée…Non, je veux dire, Abi... prends soin de toi. Tu n'es pas seule. Nous sommes tous avec toi !
La fille ne répondit pas immédiatement, absorbée par le spectacle devant elle. Finalement, elle bougea la tête sans un mot.
Le garçon tourna les talons et rejoignit Zoé et Anaïs, les trois jeunes quittant la pièce ensemble. Une fois la porte refermée derrière eux, le silence s’installa de nouveau, plus lourd qu’avant.
L'institutrice posa une main sur son épaule.
— Ils reviendront une prochaine fois. Mais pour l’instant, c’est à toi d’être forte. Il a besoin de toi.
C’est alors que l'adolescente, rassembla ce qu’il lui restait de courage, fit un pas vers le lit jusqu’à ce qu’elle soit assez proche pour voir chaque détail de son visage abîmé qu'elle espère tant connaître.
Grâce à son amie, elle retrouva une meilleure mine. Elle inspira profondément, les doigts crispés sur la barrière métallique, ses yeux rivés sur le visage de César. Essayant de ravaler les larmes qui menaçaient de jaillir, sa voix, lorsqu’elle parla, était presque un murmure, brisée par l’émotion.
—Je suis désolée...
Elle puisait dans ses dernières forces pour tenir bon, pour ne pas laisser transparaître la panique qui grondait en elle. Sa mentore, en retrait, l’observait, consciente du combat que celle-ci livrait. Mais soudain, un frisson glacial traversa la salle. Derrière elle, un son sourd : le raclement irrégulier d’un pied qui traînait sur le sol.
Puis, un murmure.
—Douce nuit, petite sœur.
Le temps sembla s’arrêter. Abigaël se figea, son souffle coupé. Elle n’avait pas besoin de se retourner pour reconnaître cette voix. Elle savait. Un mélange de terreur et de résignation s’empara d’elle.
Tout son être était en alerte, mais ses muscles refusaient de bouger. Ce n’était pas possible. Il ne pouvait pas être là. Et pourtant, elle sentit des doigts familiers glisser près de son cou, effleurant sa peau avec une lenteur terrifiante.
Vivianne vit cette homme qui portait une blouse de patient, froissée et mal ajustée, son teint livide contrastant avec la lumière crue. À son bras pendait une perfusion qu’il tirait derrière lui d’un geste désinvolte. Elle ne l'avait vu entré dans la chambre mais elle ne tarda pas à bondir. Avant qu’Abigaël ne puisse réagir, son professeur attrapa violemment l’homme par le bras et le repoussa avec une force inattendue.
L’impact contre le mur résonna dans la pièce.
L’individu, vacilla, mais retrouva rapidement son équilibre. Ses yeux étaient injectés de sang, déformés par une lueur malsaine. Un sourire tordu déformait son visage, mêlant folie et défi. Un mal inconnu l'habitait faisant même tressaillir l'âme d'artiste de l'enseignemente. Cette dernière n'aurait jamais crû voir pareille laideur.
—Comme cela me réjouit de te revoir, ma petite princesse..., déclara-t-il, d’une voix rauque, Mère ne sera pas ravi d’apprendre... Mère ne sera pas ravi d’apprendre...
Il toussait et répétait ces mots, comme une litanie. L'enfant, tremblante, s’était réfugiée encore plus près du lit de César. Ses yeux agrandis par la terreur ne quittèrent pas ce point fixe qu'elle voyait. Elle n'osait réagir.
—Arrête ça tout de suite, Alexander !, tonna Viviannese
Elle se mit en travers de la scène. Alexander éclata d’un rire cassé, presque hystérique. Il balança négligemment la tige de sa perfusion, la faisant grincer sur le carrelage.
—Oh, tiens tiens ! Mais qui vois-je là ? Tu t’es trouvé un nouveau chien de garde. Bon choix ! Mais tu veux que je leur dise, Abi ? Veux-tu que je crie moi aussi ?
Les mots étaient comme des couteaux. La sœur de l'ancien chef des troupes d'autodéfense ne lui laissa pas le temps d’en dire davantage. Elle s’élança, le saisit par le col de sa robe et le plaqua violemment contre le mur. L’impact fit vibrer les cadres fixés au mur. Son bras puissant pressait contre sa gorge tandis que ses yeux lançaient des éclairs.
—Comment oses-tu ??
L'energumène écarquilla les yeux sous le choc, mais son sourire tordu et ensanglanté resta figé sur son visage. Madame Oswald, quant à elle, demeura jusqu'ici impassible, or ses lèvres se pincèrent légèrement.
— Je ne te permets pas, jeune homme… De souiller ainsi le lieu où repose mon fils. Va-t’en. Tu n’as rien à faire ici.
Les mots tombèrent comme une sentence.
Alexander, soudain privé de sa bravade, se mit à trembler. Son sourire s’effaça, remplacé par une expression de peur et de confusion. Ses lèvres bougèrent faiblement :
—Mère... Pardonnez-moi...
Vivianne le relâcha, et il s’effondra à moitié contre le mur, visiblement épuisé. Lentement, il se redressa, tira sur sa perfusion pour la repositionner et fit quelques pas maladroits vers Madame Oswald. Il tendit une main tremblante vers elle, mais elle détourna le regard et recula légèrement, abaissant ses bras avec une froideur mesurée.
Il baissa les yeux, honteux, comme un chien humilié, avant de reculer vers la porte. D’un pas lent et incertain, Il tituba vers la porte, traînant derrière lui la tige de sa perfusion, son pas irrégulier résonnant dans le silence de la pièce. Il disparut sans un mot dans le couloir où paraissait être venu.
Un silence s’installa. Vivi, toujours debout, scrutait la porte comme si elle s’attendait à le voir revenir.
Abigaël, quant à elle, s’était effondrée sur une chaise près du lit de César, les mains tremblantes posées sur ses genoux. La mère se rapprocha d’elle doucement et posa une main rassurante sur son épaule. La pédagogue finit par briser le silence.
—C’est fini pour ce soir. Abi, regarde-moi.
Abigaël leva tristement les yeux vers elle, les larmes aux coins des paupières.
—Il ne peut rien contre toi. Pas ici. Pas tant que je suis là. Tu es forte, Abigaël. Plus forte qu’il ne le pense. Tu es très courageuse ma grande !
La combattante, toujours droite malgré l’effort qu’elle venait de fournir, passa une main rapide sur son avant-bras. Sous la lumière crue, un fin filet de sang perlait à travers le tissu de sa chemise là où la confrontation avec Alexander avait laissé une trace. Elle arrangea discrètement ses manches pour dissimuler l’écorchure, ses mouvements mesurés pour ne pas trahir la douleur.
Elle inspira profondément, retrouvant son calme avant de parler d’une voix douce mais résolue :
—Je vais aller signaler cela à la réception et voir ce que je peux faire. S’il est traité ici, il faut que nous sachions dans quelle unité. Et... je vais en profiter pour m’assurer que les autres soient bien partis.
Mais avant qu’elle ne puisse faire un pas vers la porte, Abigaël se précipita vers elle et l’enlaça soudainement.
La professeure, surprise, marqua une pause. Abigaël serrait fort, son visage enfoui dans son épaule, et sa voix, brisée mais sincère, murmura un « merci » étouffé.
Un sourire attendri éclaira le visage de Vivianne. Elle leva une main et caressa doucement les cheveux un peu vrillé d’Abigaël, comme une mère apaiserait son enfant.
—Prends soin de toi, Abi.
Après un dernier regard, elle s’écarta, ajusta ses affaires et posa une main légère sur le dossier où logeait la nouvelle veste de son apprentie.
—Garde la veste, elle te portera chance. Et surtout, reste forte.
Elle partagea un dernier sourire avant de quitter la pièce, ses pas s'éloignant vers l'ascenseur.
Maintenant seules, la jeune femme et Madame Oswald se tournèrent l’une vers l’autre. La mère de César, qui avait retrouvé un semblant de sérénité malgré les événements, tira une chaise près du lit et, d’un geste bienveillant, invita Abigaël à s’asseoir à ses côtés.
—Viens, murmura-t-elle doucement, Tiens-lui compagnie avec moi.
Elle hocha la tête, prenant place à l'endroit indiqué. Le poids des derniers instants s’allégeaient petit à petit, et un souffle de calme passa sur son visage.
La maman, bien qu’affectée, conserva une expression rassurante. Ensemble, dans le silence de la chambre, elles veillèrent.
—Cela te dérangerait si je parlais un peu de César, mon enfant, je veux dire Abi…
La fille secoua la tête.
—Rien ne me ferait le plus plaisir ! Abigaëlle Graham ! Vous pouvez m'appeler Abi. Enchanté madame Oswald. Je suis ravi de vous rencontrez.
—Moi de même… Abi !
La fille souria enfin, le cœur réchauffée. Elle salua la mère de celui qu'elle attendait en prenant sa main. Sa joie et son envie firent fuir gène et rancoeur.
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