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— Abi ! Abi ! Éhoo ! Abi ! Ça va ?

Abigaël sortit doucement de ses souvenirs, tirée de sa rêverie par une voix qui perçait avec insistance.

Clignant des yeux, elle redressa la tête. Ses mèches désordonnées lui brouillaient la vue, et elle les écarta rapidement, découvrant une silhouette familière penchée vers elle. Une jeune femme, avec des cheveux teints d’un rouge éclatant et un piercing subtil au nez gauche, la regardait avec un mélange de curiosité et d’inquiétude. Elle portait des lunettes à monture dorée, et ses cheveux, coupés en mulet bouclé, lui donnaient un air à la fois original et audacieux.

— Millie... ? murmura Abi, encore confuse.

Son amie du lycée, Émilie. Que faisait-elle là, et surtout, dans cette tenue d’infirmière rose ? Était-ce un costume ?

— J’arrive pas à croire que ce soit vraiment toi !

Abi répondit faiblement, sa voix cassée trahissant un mélange de fatigue et d’émotion.

—Ohw... Merci, Mimi.

La pseudo infirmière remarqua un petit objet que son amie tenait dans ses mains, pressé comme un trésor.

—Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle avec curiosité.

Abi ouvrit légèrement ses doigts pour révéler une petite figurine en plastique, douce et malléable. Elle représentait un petit être rouge et bleu avec un large sourire.

—Ça appartenait à César. Je l’ai trouvé chez lui, il y a longtemps. C’est... important.

Millie observa la figurine un instant avant de hocher la tête, son regard adoucissant brièvement son ton habituellement direct. Elle s'accroupit pour s'assoir près de son amie.

—C’est mignon... Mais allez, souris un peu, c’est pour une photo.

Elle avait déjà son téléphone en main. Abi, un peu déconcertée par ce geste inattendu, se força à sourire faiblement.

—Merci ! Ce n’est pas souvent que je croise une amie, ajouta Millie en capturant le moment.

Son ancienne camarade haussa un sourcil, un léger sourire de perplexité se dessinant sur son visage.

—Mais qu’est-ce que tu fais ici ? Je ne savais pas que tu te passionnais pour ce genre d’endroit. Me dis pas que tu bosses ici ?

Millie rit en haussant les épaules.

—Moi, infirmière ? Non merci ! Mais je suis là pour une immersion. Ça m’aide à écrire et, entre nous, être aide soignante, ça met un peu de sous de côté. Faut bien payer mon loyer. »

Elle se leva sans attendre et se dirigea vers un distributeur automatique. La fraîchement réveillée la regarda sélectionner une boisson gazeuse à la fraise avant de revenir avec son énergie caractéristique.

—Au fait, Abi... Je suis désolée. Toutes mes condoléances. Je sais que tu étais proche de ta prof. Perdre quelqu’un, ça... ça ne laisse pas indemne.

L'écrivaine s’accroupit encore pour se rasseoir près d’Abi, tendant la canette fraîche à son amie. Son ton était maladroit mais sincère.

—Tiens, c’est pour toi.

Abi la remercia d’un sourire discret. Millie, malgré sa façade forte et souvent brusque, posa sa tête sur l’épaule de son amie dans un rare moment de vulnérabilité.

—Tu m’as manqué, Abi.

—Merci... Toi aussi, Émilie.

Cette fille avait toujours été un paradoxe ambulant. Brusque, parfois même sarcastique, elle se donnait des airs d’indifférence, préférant éviter les conversations trop chargées d’émotion. Elle pouvait paraître antipathique, sa manière de parler et son manque apparent de patience repoussant parfois ceux qui ne la connaissaient pas bien. Mais sous cette carapace se cachait une amie fidèle, prête à être là, même maladroitement, quand on avait vraiment besoin d’elle.

Elle rendait de courtes visites à César, souvent en prétextant qu’elle n’avait rien de mieux à faire. Mais dans ses gestes, on sentait une sincérité dissimulée. Une main posée sur le drap, un regard prolongé avant de quitter la pièce... Elle ne comprenait pas toujours la douleur des autres, mais elle essayait, à sa manière, de partager un peu de leur fardeau.

Encore plongée dans son téléphone, ses doigts dont les ongles, assortis d'un vernis rouge, glissaient rapidement sur l’écran alors qu’elle envoyait une série de messages à un contact mystérieux. Elle semblait jongler entre plusieurs conversations à la fois, tout en se calant un peu plus confortablement contre l’épaule d’Abigaël.

De son côté, le téléphone d’Abi vibra brusquement, interrompant ses pensées. Pas un, mais deux, trois, puis quatre messages apparurent rapidement, emplissant l’écran d’une conversation agitée. Milie, toujours connectée à son propre monde numérique, leva les yeux pour poser une question d’un ton presque distrait.

—Tu me donnes des nouvelles de Bianca ?

Abi baissa la tête, cherchant brièvement à croiser le regard de son amie, mais celle-ci fixait déjà la fixait déjà, un sourire narquois sur les lèvres.

—Mais qu’est-ce que tu as grandi ! ajouta-t-elle en riant, T’as une tête de plus que moi maintenant. Et dire qu’à l’époque, c’est moi qui te regardais de haut !

La littéraire se remit à faire défiler les photos sur son téléphone, tombant sur l’image qu’elle venait de capturer d’Abi, accompagnée de quelques clichés plus anciens. Une photo d’elles deux, adolescentes, s’affichait, suivie d’un message datant d’il y a quelques années, puis enfin, un cliché où elle se moquait de son éditeur grincheux. Sa compagne, amusée malgré elle, laissa échapper un rire étouffée.

—C’est tout toi, ça…

Mais son sourire s’effaça rapidement lorsqu’un nouveau message apparut sur son écran :

Alors ! Tu me dis où tu continues de feindre ton sourire ?

Milie, voyant la mine d’Abi se renfrogner, lui donna un léger coup d’épaule pour la ramener à la réalité.

—Depuis qu’elle est partie à l’étranger, je n’ai pas vraiment de nouvelles, à part...

— Elle s’est mariée ? lança la femme de lettres.

Elle restait toujours absorbée dans ses conversations avec un certain contact.

—Non, elle a changé.

—Tant mieux pour elle, alors. Elle est plus canon sur les réseaux.

—Si tu le dis…, répondit Abi, visiblement peu intéressée.

Milie, sans transition, changea de sujet.

—Parlons plutôt de toi. Tu viens voir César, c’est ça ?

L'ancienne déléguée hocha la tête.

—Oui, il s’est réveillé. Enfin, c’est ce qu’on m’a dit. Tu en sais quelque chose toi ?

Le ton de Milie changea, se faisant plus grave :

— « Hum… Je préfère ne rien savoir. Cette histoire ne sent pas bon, si tu veux mon avis.

—Pourquoi tu dis ça ?

—Je sais pas… C’est juste une impression. Et tu sais quoi ? J’aime mieux rester assise là, sur ce parquet. Ça me rappelle combien on était jeunes et cons à l’époque. Il y a même des chaises pour s'assoir, attendre et tout. Mais je t'ai retrouvé carrément ici, je comprends. J'aurai eu la même réaction, si j'étais à ta place.

Abigaëlle, visiblement agacée, secoua son amie par les épaules pour lui arracher une réponse.

—Arrête de changer de sujet ! Pourquoi ça ne sent pas bon ?

Milie, surprise par son insistance, baissa lentement les mains d’Abi avant de poser son front sur ses genoux. Ses doigts tremblaient légèrement tandis qu’elle reprenait son téléphone pour écrire un autre message, son ton teinté d’une sincérité troublante.

—Tu as vu les rapports, Abi. Tu sais pourquoi il est ici, dans ce centre de recherches ?

—Oui, je suis au courant des essais.

—Eh bien, moi… Je n’y crois pas. Quelqu’un qui sort d’un coma après toutes ces années ? Ça n’arrive pas. Jamais. Mais si les recherches disent vrai, et si c’est vraiment grâce à elles, qu'ils s'éveillent que maintenant… Non. J’aurais préféré qu’il reste dans le coma.

Abi sentit la colère monter, mais elle se ravisa en voyant la peur dans les yeux de son amie. Cette peur brute, palpable, ne laissait pas place au doute : sa camarade croyait réellement en ce qu’elle disait. Malgré cela, elle s’apprêtait à insister pour en savoir plus, mais leur conversation fut interrompue.

Deux hommes entrèrent dans l'espace, accompagnés d’infirmières en tenue blanche. L’un portait une blouse de médecin classique, tandis que l’autre, avec une allure plus austère, semblait être un scientifique. Le logo brodé sur sa blouse attira l’attention : un météore traversant un ciel rouge, accompagné du mot Helmünd.

—Mademoiselle Graham ? Veuillez me suivre.

Le ton était sec, autoritaire. Abi sentit le regard glacial de Milie se poser sur les deux hommes, un regard qui en disait long sur ce qu’elle pensait d’eux. Mais elle-même ne pouvait s’empêcher de ressentir une montée d’appréhension.

Était-ce enfin pour voir César ?

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