15
Les rues devenaient plus calmes à mesure qu’Abigaëlle s’éloignait du tumulte du quartier scolaire. Quelques pâtés de maisons plus loin, elle arriva devant une demeure charmante, bien que marquée par le poids des années. Les volets en bois, autrefois d’un bleu éclatant, avaient perdu leur éclat, et les murs de pierre semblaient murmurer des histoires anciennes. Une glycine s'accrochait à la façade, comme si elle cherchait à protéger les lieux du temps.
Abi inspira profondément avant de toquer à la porte, frappant quatre fois avec un rythme précis, presque mélodique. Quelques secondes plus tard, la porte s’ouvrit en un léger grincement. Une vieille dame apparut, le visage illuminé par une reconnaissance immédiate.
—Mademoiselle Abi ! Oh, c’est vous, ma chère ! Veuillez entrer, entrez donc !
—Comment allez-vous, Mami Hans, demanda Abi avec chaleur.
Un sourire sincère éclairait son visage. La vieille dame, enveloppée dans un châle tricoté, haussa les épaules avec un soupir théâtral.
—Oh, si tu savais… L’âge, ma fille, l’âge me rattrape chaque jour un peu plus.
Abi éclata de rire, un son clair et joyeux qui résonna dans l’entrée sombre.
—Vous me dites toujours la même chose, Mami Hans ! Vous allez finir par me convaincre que vous avez arrêté de compter les années. Vous êtes magnifique mami, comme toujours.
—Merci beaucoup mon enfant ! Tu n'es pas là seule à me le répéter souvent d'ailleurs.
Elles avancèrent lentement dans le couloir plongé dans une semi-pénombre, l’odeur familière de cire et de bois ancien emplissant l’air. Au bout, une petite salle à manger baignée d’une douce lumière les accueillit. Les rayons du soleil filtraient à travers les rideaux en dentelle, dansant sur les objets soigneusement disposés : une théière en porcelaine, des napperons brodés, et un bouquet de fleurs séchées posé au centre de la table.
Sans crier gare, un petit garçon surgit de l’autre pièce. Il avait des boucles blondes légèrement ébouriffées et de grands yeux noisette qui brillaient d’une curiosité enfantine. Ses joues rosies témoignaient de la vivacité de ses jeux, et il portait une salopette usée qui trahissait une vie modeste mais remplie d’aventures imaginaires.
—Archer ! s’exclama Abi en s’agenouillant pour l’accueillir.
Le garçon, tout sourire, se précipita vers elle et s’accrocha à ses jambes avec toute la force dont il était capable, comme s’il avait attendu ce moment depuis des heures. Il gémit tendrement pareil à un fils qui retrouve sa mère.
La jeune fille rit doucement, glissant une main dans les boucles soyeuses du petit garçon. Elle sortit un bonbon de sa poche et le lui tendit avec une tendresse infinie.
—Tiens, pour toi, Archie. Mais promets-moi que tu ne le dévores pas tout de suite, d’accord ?
Archer acquiesça avec enthousiasme, serrant son trésor dans sa petite main avant de filer s’asseoir sur une chaise près de la table, son sourire ne quittant pas ses lèvres.
Mami Hans observa la scène, une lueur douce dans ses yeux fatigués.
—Il t’aime bien, tu sais. Tu es la seule à lui apporter ce genre de lumière. Nous avons passer l'âge de comprendre les enfants Vicky et moi.
Abi hocha la tête sans répondre, ses yeux suivant Archer avec une affection palpable. Il était devenu son coup de cœur, cet enfant rencontré lors d’un voyage scolaire l’année précédente, un garçon sans famille qui vivait ici, sous la garde bienveillante de Mami Hans et de sa femme.
Elle s’assit lentement à son tour, le regard fixé sur Archer. Le petit jouait avec le papier du bonbon, concentré, sa langue dépassant légèrement. Il était si pur, si innocent, mais les coupures visibles sur ses mains et ses genoux racontaient une histoire différente, celle d’un enfant qui n’avait pas toujours été choyé.
Abi sentait son cœur se serrer à cette pensée. Son sourire doux se mêlait d’une ombre de mélancolie, un mélange de bonheur sincère et de tristesse. Elle voulait lui offrir plus que des bonbons ou des visites ponctuelles.
Son objectif, son désir profond, c’était de l’intégrer à sa vie. Elle rêvait de l’adopter, de lui offrir une famille stable et aimante. Mais elle redoutait d’en parler. Et tandis qu’Archer levait les yeux vers elle avec un sourire éclatant, elle détourna légèrement le regard, incapable de cacher l’émotion qui lui serrait la poitrine.
Mami Hans avait raison… Archer méritait mieux. Mais serai-je à la hauteur ? se demanda-t-elle en silence, en serrant ses mains sur ses genoux.
Soudain, les marches de l’escalier craquèrent doucement, annonçant l’arrivée de quelqu’un. Vicky, la femme de Mami Hans, fit son apparition, glissant presque dans la lumière tamisée de la pièce. Grande et élancée malgré son âge, elle portait une élégante robe de chambre en satin bleu nuit qui épousait ses mouvements avec grâce. Ses cheveux longs, mêlant des mèches blanches, blondes et quelques éclats plus sombres, tombaient en cascade autour de son visage fier.
—Eh bien, regardez qui est là ! Ma chère Abigaëlle ! lança Vicky avec un sourire chaleureux, ses yeux pétillant de malice.
Abi rit doucement, amusée par la démarche théâtrale de la dame. Vicky traversa la pièce avec l’assurance d’une reine, son parfum doux et sucré emplissant l’air. Elle s’arrêta près de Mami Hans et l’embrassa tendrement sur la bouche.
Le petit garçon, assis à la table, observa la scène avec une moue visible. Son petit visage plissé exprimait un mélange de dégoût et d’amusement enfantin.
Abi se rapprocha de lui, l’air complice.
—Toi, petit coquin, qu’est-ce que c’est que cette tête ? s’exclama-t-elle.
Elle ébouriffa ses boucles blondes, provoquant un léger grognement amusé du garçon.
Vicky éclata de rire avant d’écarter les bras pour accueillir Abi.
—Viens donc par ici, ma grande.
La lycéenne se leva pour répondre à son étreinte. La chaleur de la dame l’entoura, et son parfum la ramena brièvement à des souvenirs de moments simples et heureux passés ici à apprendre à connaître son petit adoré qui n'avait qu'à peine 3 ans.
—Alors, comment tu vas, ma petite étoile ? demanda Vicky en se reculant légèrement, ses mains restant sur les épaules de la jeune fille.
—Je vais bien, merci. Et vous ?
La lady jeta un coup d'œil à son amante avec un sourire amusé.
—Demande à mein Liebsten ici présente ! Elle pourrait te dire que je suis presqu'insupportable.
— Mais arrête donc, pas devant Abi ! protesta cette dernière.
Elle rougit légèrement tout en donnant une tape légère sur le dos de sa femme pour la faire taire.
Abi sourit, ravie par l’interaction entre les deux femmes. Leur amour rayonnait dans la pièce, sincère et naturel, comme une vieille chanson qu’on ne se lasse jamais d’écouter.
—Alors, café ou thé, ma fille ? demanda Vicky en se dirigeant vers un buffet ancien où trônait une cafetière en porcelaine élégante.
—Oh, du café, s’il vous plaît. J’adore votre café, Madame Vicky.
Vicky s’arrêta, se redressa et jeta un regard malicieux à Abi.
—Madame Vicky ? Tsss, trop formel, ma belle ! Appelle-moi juste Vicky. Et pour ce café…
Elle prit la cafetière avec élégance, jetant un regard à sa femme.
—Tout ce que je sais, c’est Elsa qui me l’a appris. N’est-ce pas, mon amour ?
Elisa Hans soupira, gênée, et secoua doucement la tête.
—Mais arrête donc, va, tu vas la faire fuir de chez nous avec ton attitude !
La jeune fille éclata de rire, sentant la chaleur de cet échange. Bientôt Vicky servit le café avec soin, posant délicatement la tasse devant elle comme un présent précieux.
—Et voilà, mon trésor. Un café préparé avec amour. Mais je te préviens, si tu dis que le mien est meilleur que celui de ma femme, on risque d’avoir des ennuis.
L'adolescente hocha la tête en souriant, prenant la tasse entre ses mains tout en regardant Vicky rejoindre Mami Hans. Les deux femmes échangèrent un regard complice et tendre, comme si elles partageaient un monde secret que personne d’autre ne pouvait comprendre.
De sa manière à elle, elle tenut son breuvage, la main sur les côtés pour ressentir la chaleur prévenant de la porcelaine. Elle se plut à ce chez-moi éphémère où elle demeurait accepté et attendu chaque petit matin par Archer, son péché mignon.
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