16
Chaque gorgée de café était un instant suspendu, un moment simple mais précieux dans ce havre de paix. Elle s'attarda un instant, observant la lumière douce qui traversait les rideaux et baignait la petite salle d’une chaleur familière. Cet endroit, bien qu’éphémère pour elle, ressemblait à un refuge, un lieu où elle se sentait acceptée, attendue chaque matin par Archer, ce petit garçon qui avait su toucher son cœur.
Peu après, l’odeur des plats fraîchement préparés annonça l’arrivée du petit-déjeuner. L’atmosphère légère et douce devint plus animée alors que tout le monde rejoignait la table. Archer, fraîchement vêtu d’un pull légèrement trop grand pour lui et arborant ses joues roses de timidité, courut vers Abi, grimpant sur ses genoux avec l’aisance d’un enfant habitué à sa présence.
La table, bien garnie mais sans excès, offrait un mélange simple et réconfortant : du pain doré, des haricots blancs mijotés, des œufs au plat parfaitement ronds, du bacon croustillant, des feuilles de salade fraîches et une assiette colorée de fruits coupés.
—Archer, tiens-toi bien, mon ange, murmura Elsa avec un sourire amusé, tout en coupant une tranche de pain pour elle-même.
Abi, de son côté, s’amusait à préparer des bouchées pour Archer, qui ouvrait la bouche comme un petit oisillon chaque fois qu’elle approchait la fourchette. Il mâchait avec enthousiasme, ses petites mains tenant son verre de jus de fruits tout en balançant légèrement ses jambes.
L’ambiance était conviviale, presque joyeuse, jusqu’à ce qu’un changement subtil s’opère dans l’air. Les regards complices des deux femmes âgées devinrent plus sérieux, leurs sourires s’effacèrent progressivement, laissant place à une gravité inhabituelle.
—Abigaëlle, ma chère…, commença Mami Hans d’une voix douce mais ferme, attirant l’attention de la jeune fille.
Cette dernière releva les yeux de l’assiette d’Archer, ses doigts encore occupés à essuyer une miette au coin des lèvres du garçon.
—Nous devons te parler. C’est… important, ajouta Vicky.
Elle posa délicatement sa tasse sur la table, les mains croisées devant elle.
Le garçon, sentant l’atmosphère changer, se blottit un peu plus contre Abi, cherchant instinctivement son réconfort. L'écolière, elle, sentit un léger frisson courir le long de sa colonne, une prémonition que quelque chose de lourd allait être annoncé. Un moment qu'elle redoutait bien arrivé.
Une nouvelle tomba comme une pierre, brisant la quiétude du petit-déjeuner.
—Nous partons en voyage la semaine prochaine, Abi ! annonça Vicky d’un ton joyeux, presque insouciant.
Elle se servit une nouvelle tasse de café en mimant de la bonne ambiance.
Elsa leva les yeux au ciel, posant sa main sur celle de sa femme pour la modérer.
— Voyage est un bien grand mot, ma chère. Disons plutôt que nous allons prendre un peu de recul. Faire… le tour du monde.
Abi cligna des yeux, figée, tandis qu’Archer, sur ses genoux, semblait trop occupé à mâcher pour comprendre l’ampleur de ce qui venait d’être dit.
—C’était censé être une surprise, Vicky… gronda doucement sa femme.
Celle-ci, sans se démonter, haussa les épaules.
—Désolée, mon amour. Mais autant lui dire maintenant. Abi, écoute, nous avons réfléchi longuement. Nous ne voulons pas qu’Archer soit bousculé par notre départ. Nous avons trouvé une famille charmante, Patrick et Rose, qui viennent d’emménager en ville. Ils souhaitent adopter, et nous pensons qu’ils seraient parfaits pour lui. Ils l'ont déjà rencontré et Archer n'est pas indifférent face à eux. Mais…
Elsa intervint, posant calmement une main rassurante sur l’épaule d’Abi.
—…Rien ne sera décidé sans ton accord. Archer t’adore, et tu comptes énormément pour lui. Tu as toujours souhaité le garder pour toi, c'en est même très mignon.
Abi sentit son cœur se serrer douloureusement. Chaque mot sonnait comme une porte qui se refermait sur son rêve. Elle avait imaginé des dizaines de fois ce moment où elle pourrait annoncer qu’elle voulait adopter Archer, le voir grandir à ses côtés, être celle qui veillerait sur lui. Mais là, cette possibilité semblait lui glisser entre les doigts tel les nombreux échecs quelle vécut par le passé car elle n'avait le choix que d'abandonner.
—Vous savez… vous savez qu’il est tout pour moi…, murmura-t-elle, sa voix tremblante.
Vicky lui adressa un sourire tendre, mais un peu inquiet.
— Tu pourras toujours venir le voir. Patrick et Rose habitent tout près. Il ne sera pas loin. Ils aimeraient bien te rencontrer aussi, nous leurs avons parlé de toi.
La lycéenne hocha doucement la tête, mais son regard s’assombrit. Elle posa ses yeux sur Archer, qui jouait distraitement avec un morceau de pain, ignorant tout du poids de la conversation. Ses petites mains potelées, sa bouille innocente et son rire contagieux étaient autant de raisons pour elle de ne pas baisser les bras.
— Je… je comprends, murmura-t-elle finalement, incapable de soutenir leur regard plus longtemps.
Les deux femmes virent sa peine et échangèrent un regard complice. Elsa, plus posée, reprit la parole doucement :
— Abi, rien n’est encore figé. Si tu veux vraiment essayer, si tu veux qu’Archer fasse partie de ta vie… eh bien, nous te soutiendrons. Tu es même la première personne à qui nous avons d'abord pensé.
Le fille leva les yeux, une lueur d’espoir vacillant dans son regard.
—Vraiment ? Vous pensez que je pourrais… ?
Elsa sourit et hocha la tête.
—Oui, tu peux le présenter à ta famille. Si cela te tient à cœur, tu pourras peut-être trouver une solution. Nous croyons en toi.
Le silence qui suivit fut rompu par un petit rire d’Archer, qui tendit les bras vers Abi, demandant à être porté. Elle le souleva doucement et enfouit son visage dans ses cheveux, retenant des larmes qu’elle ne voulait pas laisser couler devant lui.
—Vous êtes les meilleures… mes mamis préférées. Pas comme, celle de la maison qui ne fait que tricoter et boire de la soupe à longueur de journée.
La grande dame éclata de rire.
—Oh, chérie, c’est gentil, mais n’oublie pas que nous aussi, nous tricotons et buvons de la soupe comme toutes les mamies.
Elsa lui donna une légère tape sur la main, mais avant qu’elle ne puisse répondre, Abi les avait déjà attirées toutes les deux dans une étreinte. Elle les serra fort, et Archer, pris dans l’élan, vint se glisser entre elles pour former un câlin à quatre.
—Merci… merci pour tout,murmura Abi, les yeux fermés, savourant cet instant de chaleur et de soutien.
Après quelques minutes, elle se détacha doucement, déposa un baiser sur le front d’Archer et ajusta son sac sur son épaule.
—Je dois y aller, le lycée m’attend. Mais je reviendrai plus tard… et je vous promets qu’Archer sera heureux, quoi qu’il arrive.
Elle sortit dans la lumière du matin, le cœur plus léger mais résolu. Son objectif était clair, et elle n’allait pas abandonner.
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