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Abigaëlle Églantine Graham entamait son premier trimestre dans un nouvel établissement, le lycée Coastside. Et bien qu’elle n’appréciât pas particulièrement l’endroit, elle avait au moins trouvé deux piliers dans sa vie scolaire : Bianca et Émilie. Deux amies aussi précieuses que différentes. Bianca était pétillante, toujours prête à réchauffer l’atmosphère, tandis qu’Émilie, plus froide et distante, s’exprimait davantage par des gestes succincts que par des mots.

Le souvenir d’une photo prise lors d’une sortie scolaire au musée lui revint. Son visage y affichait un sourire contraint, les yeux grands ouverts et la mâchoire crispée, un portrait figé entre inconfort et effort pour s’intégrer. Ce n’était clairement pas son moment préféré. Pourtant, ce matin, Abigaëlle sautillait presque en traversant le portail du grand campus, ses cheveux dansant légèrement autour de son visage radieux.

Il était 9 heures pile, et le bâtiment imposant se dressait devant elle, tel un labyrinthe où elle peinait encore à se repérer. Elle consulta son emploi du temps chiffonné dans son sac, sans trop de conviction, et s’engouffra dans les couloirs. Heureusement, aucun cours ne semblait manquer à l’appel ce jour-là.

Lorsqu’elle entra dans la classe de 3ème-A, située au dernier étage, un brouhaha familier l’accueillit. Les élèves discutaient à voix basse, certains encore en train de griffonner des notes avant le début des cours. Ses yeux se posèrent immédiatement sur Bianca et Émilie, assises côte à côte au fond de la salle.

Bianca, comme à son habitude, grignotait un encas tout en feuilletant un cahier de façon distraite, tandis qu’Émilie, concentrée sur son téléphone, pianotait avec une intensité qui traduisait une certaine urgence. Dès qu’elle aperçut Abigaëlle, Bianca se leva d’un bond, affichant un grand sourire.

—Un joli sourire que tu as ce matin, dis donc ! lança Bianca.

Elle ouvrir grand les bras pour accueillir Abigaëlle dans une étreinte chaleureuse.

—Merci ! Coucou, Émilie ! répondit Abigaëlle en se tournant vers l’autre.

Émilie ne leva que brièvement la main en guise de salut, sans décrocher les yeux de son écran. Cela ne surprit personne : elle était connue pour son attitude distante, presque désintéressée. Bianca, toujours plus expansive, lui adressa un regard complice avant de se rasseoir, une réflexion amusée sur le bord des lèvres.

—Je me demande toujours comment tu fais pour faire amie-amie avec elle. Elle parle à peine !, murmura Bianca à Abigaëlle tout en croquant dans son biscuit.

Cette dernière haussa les épaules avec un sourire amusé.

—On a toutes nos façons d’être. Elle, elle est comme ça. Et moi, je l’aime bien. C'est aussi ton amie, je te rappelle.

Elle s’installa à son bureau, sentant une étrange légèreté ce matin-là, comme si la vie reprenait un peu de couleurs dans cet univers encore si nouveau pour elle.

Abigaëlle sortait tranquillement ses affaires de son sac lorsque Millie, alias Émilie la super maligne, ôta ses écouteurs d’un geste nonchalant. Toujours fidèle à son style rebelle, elle avait les pieds posés négligemment sur le bureau devant elle. D'un ton plat mais légèrement provocateur, elle lança.

—T'es au courant des rumeurs qui circulent sur toi au bahut ?

La jeune fille, les mains encore plongées dans son sac, s'arrêta net.

—Chut ! Je t'avais dit de rien dire, Millie, intervint Bianca.

Elle fronça les sourcils.

—Ah, d'accord ! rétorqua Émilie.

Cette dernière d'un haussement d’épaules remit ses écouteurs en place, comme si de rien n'était. Mais la concernée avait bien entendu, et son cœur se serra. Elle releva doucement la tête, l’air inquiet.

—Euh... De quelles rumeurs vous parlez, les filles ?

Sa plus proche amie échangea un regard gêné avec Millie, puis, dans un soupir, elle se pencha vers Abigaëlle.

—Je lui dis... Regarde, dans le journal du lycée, quelqu’un qui ne t’aime pas a partagé une histoire sur toi.

Elle marqua une pause, surveillant la réaction de son amie, puis poursuivit d’un ton plus sérieux.

—J’ai demandé à Millie d'effacer ça il y a quelques minutes, mais le problème, c’est qu'aucune d'entres nous n’a pu réagir assez vite. Beaucoup de monde ont dû le voir… Tu veux la version longue ou la version courte ?

Déjà sous le choc, la demoiselle posa lentement ses affaires sur la table comme arrêtée dans sa bonne humeur. Les murmures qu’elle avait entendus plus tôt dans les couloirs prenaient soudain tout leur sens. Elle respira profondément pour contenir son inquiétude.

—La version courte…, murmura t-elle.

Bianca hocha la tête, le ton plus grave.

—Alors... Il y avait des photos de toi en tenue de défilé, et un texte plein de mensonges à ton sujet, Elle baissa légèrement la voix mais endurci son ton, Des gens croient à ces idioties. Apparemment, ça a fait le buzz ce matin. Ça me dégoûte qu’ils racontent autant de bêtises pour attirer l’attention. Ce n'est pas la première fois qu'il essaie de s'en prendre à toi. Je m'en veux tellement, de pas avoir remarqué cela plus tôt.

Abigaëlle ferma un instant les yeux pour digérer l’information. Les souvenirs de ses défilés lui revenaient : des moments importants pour elle. Savoir que ces images, qui faisaient partie de son histoire personnelle, avaient été utilisées contre elle la mettait dans une situation inconfortable.

—Merci, Millie…

Bianca, quant à elle se rapprocha instinctivement pour poser une main réconfortante sur son épaule. Mais avant qu’elle ne puisse ajouter quoi que ce soit, la porte de la salle s’ouvrit avec fracas : le professeur venait d’entrer. Le bruit de la classe retomba immédiatement.

Abigaëlle tenta de se concentrer, mais son esprit était ailleurs. Qui pouvait bien lui en vouloir à ce point ? Était-ce simplement parce qu’elle portait ce nom, synonyme de prestige et de méfiance dans certains cercles, ou parce qu’elle était la "nouvelle" dans cette école où tout le monde semblait scruter la moindre différence, la moindre faiblesse ?

Elle jeta un regard furtif vers les fenêtres, observant les visages anonymes qui déambulaient dans la cour. Elle savait que l’adaptation à cette nouvelle école serait un défi, mais jamais elle n’aurait imaginé devenir une cible si rapidement. Et si ces rumeurs atteignaient des oreilles extérieures ? Elle frissonna à cette pensée. Le bruit des chaises, les discussions à voix basse, tout lui sembla soudain insupportable. Elle n’avait qu’une certitude : il fallait agir avant que cette histoire ne prenne une tournure encore plus incontrôlable. Pas comme la dernière fois. Elle n'en pouvait plus, de devoir tout recommencer à chaque fois.

Le professeur d'histoire pris place devant la chaire, salua la classe et imposa un silence presque immédiat. Les bavardages et grincements de chaises cessèrent brusquement, remplacés par la voix monocorde mais ferme de l’enseignant. Cependant, pour la nouvelle, tout semblait flou, comme un bruit de fond indistinct.

Les mots sur la guerre de Cent Ans, les stratégies militaires ou encore l'annonce des sujets du prochain contrôle se perdaient dans un brouillard mental. Elle notait machinalement, ses pensées ailleurs, tournant en boucle sur cette rumeur, sur son plan pour adopter Archer. Parallèlement, les visages de ses camarades, les regards furtifs qu’elle imaginait à son encontre, tout contribuait à la rendre de plus en plus tendue.

Ce n’est que lorsque la sonnerie retentit qu’elle ne réalisa même pas que le cours était terminé. Elle écrivait, accouchait et calligraphiait. Les élèves commencèrent à se lever, à discuter et à se diriger vers la sortie pour profiter de la pause. Abi, elle, resta immobile, les yeux rivés sur son cahier, les doigts crispés sur son stylo. Elle n’avait pas bougé quand Bianca s’approcha d’elle, son sourire doux contrastait avec l'agitation ambiante.

Bianca fit sonner son pendentif double avec une croix et cercle avec une étoile en se relevant de sa chaise. Elle posa doucement sa gourde glacée contre la bouille d’Abi, la fraîcheur soudaine la faisant sursauter légèrement. Une jolie femme se tenait devant elle, un débardeur gris, une longue noir et un pantalon au dessus de la ceinture à carreaux noirs et blancs. Plutôt bronzée avec des cheveux bouclés noirs qui irradiaient vers elle.

—Viens, ou tu restes ici ? Je t’ai préparé quelque chose à manger.

Elle inclina la tête avec un regard bienveillant.

Abigaëlle leva enfin les yeux, un peu perdue.

—Oh ! Bianca… Ohw, je…

Elle hésitait, comme si formuler une réponse demandait un effort titanesque. Bianca ne la pressa pas et se contenta de sourire légèrement.

—Tu sais, si tu préfères rester ici, ce n’est pas un problème. Je reste avec toi.

Pendant ce temps, Millie se leva sans un mot, ajusta les manches de son sweat et enfouit ses mains dans ses poches avant de sortir de la salle. Ce n’était pas qu’elle ne s’inquiétait pas pour son amie, mais elle avait son propre langage : celui du retrait silencieux, laissant à la mère du groupe de gérer à sa manière.

Celle-ci tira une chaise pour s’asseoir face à Abi, posant son petit tupperware sur la table. Elle l’ouvrit avec soin, dévoilant des macaronis baignés dans une sauce crémeuse légèrement rosée. Une odeur réconfortante et appétissante emplit l’air.

— « J’ai fait ça pour toi hier soir. C’est tes préférées, non ? Avec un peu de muscade et de parmesan.

Elle tendit une fourchette à Abigaëlle, qui la prit avec hésitation, les yeux brillants d’une émotion qu’elle essayait de contenir. Bianca ne dit rien, elle savait que parfois, il suffisait d’être là.

Abi prit une bouchée, et un léger sourire traversa son visage, comme un rayon de soleil timide à travers un ciel gris.

—Merci, Bianca… Vraiment.

Son amie haussa les épaules avec un petit rire.

—Hey, c’est rien. On est amies, non ? Et puis, ça me donne une excuse pour cuisiner.

Abi baissa les yeux, jouant doucement avec la fourchette entre ses doigts. Elle appréciait ce moment, ce réconfort que Bianca lui offrait, mais la douleur des rumeurs flottait toujours en arrière-plan. Pourtant, pour un instant, entre la chaleur de la nourriture et la présence rassurante de son amie, elle se sentit un peu moins seule.

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