Réveillon
La matinée s’était écoulée paisiblement pour Abi et Joanna, qui avaient réussi à panser quelques plaies du passé. Maintenant qu’elles s’étaient retrouvées, Joanna se sentait prête à rentrer chez elle, plus légère, tandis qu’Abi avait un autre plan en tête.
Avant de rentrer, elle souhaitait passer à l’hôpital. Officiellement, il s’agissait de régler quelques détails administratifs, mais au fond, elle espérait surtout revoir César et, peut-être, croiser Émilie. Leur dernière conversation l’avait laissée troublée, et Abi ressentait le besoin de s’excuser, ou du moins de mieux comprendre les inquiétudes de son amie.
En arrivant à la réception, elle salua distraitement l’infirmier en poste.
—Bonjour, je viens voir César. Vous pourriez me noter sur le registre ?
L’homme leva les yeux vers elle, l’air un peu gêné.
—Il est encore avec les chercheurs. Ça risque d’être long aujourd’hui.
Abi fronça les sourcils, mais elle tenta de dissimuler sa frustration.
Elle s’installa dans la salle d’attente, feuilletant distraitement un magazine à moitié déchiré. Dix minutes passèrent, puis quinze, mais Émilie ne se montrait toujours pas. Étrange. Elle jeta un coup d’œil autour d’elle, comme si elle espérait la voir surgir d’un couloir.
Finalement, elle se dirigea à nouveau vers la réception.
—Excusez-moi, savez-vous si Émilie est dans le bâtiment ? Je voulais lui parler brièvement.
L’infirmier haussa légèrement les épaules.
—Oh, ça fait un moment qu’elle n’est pas venue.
—Pardon ? Abi s’était figée, le regard perçant.
—Elle a eu… disons, une altercation avec les chercheurs, et depuis, elle ne travaille plus ici. Je ne sais pas si elle reviendra.
La jeune femme sentit une vague de froid la traverser. Elle remercia l’homme d’un signe de tête et recula lentement, troublée. Qu’est-ce qu’il s’était passé ? Pourquoi Émilie n’avait-elle rien dit ?
Elle sortit son téléphone et rédigea rapidement un message :"Émilie, c’est Abi. J’ai appris que tu ne viens plus à l’hôpital. Qu’est-ce qui se passe ? J’espère que tu vas bien. Appelle-moi quand tu peux."
Elle resta un moment immobile, fixant l’écran comme si elle espérait une réponse instantanée. Mais rien. Soupirant, elle se dirigea vers les profondeurs du bâtiment pour aller voir César.
Quand elle arriva dans la salle réservée aux recherches, une sensation étrange l’envahit. Derrière la vitre, les chercheurs étaient regroupés autour de César, mais leur comportement avait changé. Ils étaient tendus, nerveux, et leurs gestes trahissaient une forme de fébrilité. Abi observa en silence, fronçant les sourcils.
—Qu’est-ce qu’ils font encore ? murmura-t-elle pour elle-même.
Quelque chose n’allait pas. Leurs mouvements étaient saccadés, et une tension palpable flottait dans l’air. L’un des chercheurs, plus en retrait, semblait l’avoir remarquée. Son regard accusateur se planta dans le sien, une expression indéchiffrable sur le visage.
Abi sentit un malaise au sein de cet espace. Ce regard, à la fois fixe et plein de sous-entendus, lui donna envie de quitter les lieux sur-le-champ.
Elle fit demi-tour sans attendre, ses pas résonnant dans les couloirs froids de l’hôpital. À chaque tournant, elle avait l’impression d’être suivie, épiée. Ce n’était peut-être qu’une impression, mais quelque chose au fond d’elle lui murmurait que ce n’était pas le cas.
Quand elle sortit enfin, la lumière du jour sembla l’aveugler un instant. Elle inspira profondément, essayant de calmer les battements frénétiques de son cœur. Ce qu’elle avait vu là-bas, ou peut-être ce qu’elle n’avait pas vu, ne la quittait pas.
En s’éloignant, elle jeta un dernier coup d’œil derrière elle. Le chercheur, toujours immobile, était debout près des portes vitrées. Il la regardait encore, impassible, comme une ombre qui refusait de disparaître.
Abi savait une chose : elle n’était pas prête à revenir ici de sitôt.
Dans les faits, plus d'un mois après le réveil de César, l’appartement d’Abi s'était métamorphosé pour l’occasion. Les murs, habituellement austères, étaient habillés de guirlandes lumineuses dorées, diffusant une lueur chaude et réconfortante. Un grand sapin trônait fièrement près de la fenêtre, décoré de boules scintillantes, de rubans rouges, et d’un ange délicatement posé au sommet. Sous l’arbre, des paquets de toutes tailles étaient alignés, enveloppés avec soin dans du papier coloré. Une douce odeur de cannelle et de chocolat chaud flottait dans l’air, se mêlant aux mélodies joyeuses des chants de Noël qui jouaient en fond.
Abi, fidèle à son rôle de maîtresse de maison, virevoltait dans son costume de mère Noël. Sa robe rouge cintrée, bordée de fourrure blanche, était à la fois élégante et festive. Joanna, quant à elle, avait choisi une tenue bien plus excentrique : un costume intégral de renne, avec des bois maladroitement attachés sur un serre-tête. Elle grognait à chaque fois que ceux-ci se déséquilibraient, déclenchant des éclats de rire chez Abi. Seulement sa grosse tête apparaissait dans son costume, un contraste hilarant qui faisait aussi rire le jeune prince de la fête.
—Tu es sûre que tu vas tenir jusqu’à minuit dans cette tenue ? lança Abi en se penchant pour ajuster un paquet sous le sapin.
—C’est toi qui voulais un esprit de Noël ! Alors assume tes choix, cousine.
Joanna tira sur le col de son costume, visiblement étouffée.
Charles, lui, avait opté pour une approche plus discrète : un pull rouge orné de flocons verts et une écharpe assortie. Il se tenait près de la table, admirant les cookies fraîchement sortis du four que sa tatie avait préparés plus tôt.
—On peut commencer ? J’ai trop hâte d’ouvrir les cadeaux ! s’exclama Charles, les yeux pétillants d’excitation.
—Patience, mon petit lutin ! répondit Abi en riant.
Quand l’heure fut enfin venue, tous s’installèrent près du sapin. Joanna s’empressa de distribuer les cadeaux, jouant avec enthousiasme le rôle de "lutin livreur", même si elle ressemblait plus à un ours squatteur. Les rires et les taquineries fusaient à chaque échange.
Abi tendit un petit paquet bleu à Charles, soigneusement emballé avec un nœud argenté.
—Tiens, pour toi.
Charles déchira le papier avec une excitation enfantine, dévoilant un jouet anti-stress en forme de boule bleue.
—Oh, merci ! C’est trop bien. Je vais m’en servir tout le temps, surtout quand vous m’embêtez ! lança-t-il avec un œil complice.
Joanna, de son côté, reçut un joli souvenir : une petite figurine en céramique représentant la célèbre fontaine de la ville où elles avaient passé un été mémorable. Ses yeux s’embuèrent légèrement.
—Oh Abi... C’est parfait. Ça me rappelle tellement de bons souvenirs. Merci.
Abi haussa les épaules, un sourire tendre aux lèvres.
—Tu mérites bien ça, Anna.
Puis ce fut au tour de la plus enjouée de dévoiler son cadeau : une boîte de cookies faits maison, soigneusement décorés avec des motifs de Noël.
—Je les ai faits moi-même. Attention, ils sont beaucoup trop délicieux ! annonça-t-elle fièrement.
Abi croqua dans l’un d’eux et leva un pouce en signe d’approbation.
—Humm ! Ils sont parfaits. On dirait que tu t’améliores enfin !
Charles, quant à lui, avait préparé quelque chose de plus personnel. Il tendit deux petites enveloppes, une pour chacune de ses grandes sœurs. À l’intérieur, des mots simples et ce qui semblait à des dessins très touchants, exprimant toute sa gratitude.
"À mes deux grandes sœurs préférées, merci pour tout. Vous êtes ma famille, mon soutien, mon bonheur."
Abi et Joanna restèrent un moment silencieuses, profondément touchées par le geste. Abi ébouriffa les cheveux de Charles avec un sourire affectueux.
—Toi alors, tu sais toujours comment jouer avec le coeur sensible d'une femme.
Une fois tous les cadeaux échangés, ils décidèrent de prendre une pause et de s’installer sur le balcon hors de l'appartement pour profiter de la neige qui tombait doucement. Les flocons dansaient dans l’air, illuminés par les réverbères de la rue.
—C’est magique, non ? murmura Joanna en levant les yeux vers le ciel.
Abi hocha la tête, ses bras croisés pour se réchauffer.
—Ça l’est toujours, chaque année. Mais cette fois, encore plus.
Charles, trop excité pour rester immobile, proposa soudainement de descendre dans la rue pour toucher la neige. Joanna et Abi hésitèrent un instant, mais l’enthousiasme contagieux de leur petit homme finit par les convaincre.
En bas, ils dansèrent sous les flocons, riant et s’amusant comme des enfants. Abi leva les bras vers le ciel, accueillant la neige sur ses paumes, tandis que le garçon courait partout, essayant d’attraper les flocons avec sa langue. Joanna, elle, sautillait dans son costume de renne, dansait aussi pour dépenser de l'énergie.
—C’est le meilleur Noël depuis longtemps, déclara Abi, un sourire sincère illuminant son visage.
Et dans cette nuit étoilée, où la neige recouvrait doucement la ville, ils savourèrent l’instant présent, entourés de rires, d’amour, et de cette douce magie qui ne revient qu’une fois par an.
Charles était étendu sur le sol, les bras écartés comme pour former un ange dans la jeune neige. Il riait à gorge déployée, les flocons venant fondre sur son visage. Non loin de lui, Abi et Joanna s'étaient rapprochées, discutant doucement tout en s'amusant à cueillir les flocons tombés sur les cheveux de l’autre.
—Demain, tu vas voir la famille ? demanda Joanna en époussetant une mèche enneigée sur la tête d’Abi.
—Non !
Abi en secoua la tête.
Je compte passer la journée avec César. Ça fait un moment que je n’ai pas pu le voir. Il y a eu quelques complications, et ça commence à sérieusement m’inquiéter. Je ne sais pas ce que les chercheurs trafiquent, mais ça n’annonce rien de bon. Enfin… j’ai enfin obtenu du temps pour lui, alors je vais en profiter.
Joanna hocha la tête, les sourcils légèrement froncés d’inquiétude.
—J’espère qu’il va bien. Tu comptes lui apporter un cadeau demain ?
Abi resta silencieuse une seconde avant de se frapper le front avec la paume de sa main.
—Oh, j’ai complètement zappé le cadeau !
Sa cousine encore plus exaspérée mais amusée, haussa les sourcils
—Sérieusement ? Tu oublies un cadeau de Noël pour ton beau et grand César dont tu ne cesses de gémir le nom ?
—Ouii, mais ne t’en fais pas. Je suis sûre que je trouverai quelque chose à temps.
Elle haussa les épaules avec un petit sourire d’excuse.
Joanna roula des yeux mais finit par sourire.
—Si tu le dis. Prends soin de Charles, et fais attention quand tu seras avec la famille demain.
—Reçu cinq sur cinq, madame. Joanna salua avec une exagération théâtrale qui fit rire Abi.
Abi posa une main sur l’épaule de sa cousine.
—Merci, vraiment, de m’avoir aidée à organiser tout ça. Ce Noël, c’était exactement ce dont j’avais besoin.
La lycéenne lui rendit un sourire radieux.
—Y a pas de quoi ! J’ai toujours rêvé d’un Noël comme celui-ci. Alors, merci ma grande ronstouflette.
—Mais, arrête de vouloir tout ramener à la nuit dernière ! En plus, c’est toi qui voulait qu’on dorme tous ensemble. Toi aussi, je t’ai entendu prononcer un ou deux noms, même plusieurs.
—Plusieurs !
—Anh ! Anh !
—C’est bon, j’arrête mais seulement pour ce soir !
—Viens là, un peu !
Les deux femmes échangèrent une longue embrassade, la chaleur de leur affection contrastant avec le froid mordant de l’hiver. Abi tourna ensuite son regard vers Charles, toujours allongé dans la neige, riant aux éclats.
—Charles, ça suffit, viens ici ! Tu vas finir par attraper froid ou te faire mal ! lança Abi en haussant la voix, mais avec tendresse.
Charles, en guise de réponse, se roula encore plus dans la neige, provoquant un éclat de rire chez ses deux sœurs. Abi, en avançant pour l’aider à se relever, perdit l’équilibre et glissa sur une plaque de verglas. Elle atterrit lourdement sur les fesses, déclenchant un véritable fou rire général.
—Ah, bravo ! Et c’est toi qui me dis de faire attention ! cria Charles en se redressant, les joues rouges de froid et d’amusement.
—Une planche qui rencontre une planche ! Ah ah aaah ! On aurait tout vu.\
Joanna mourait de rire en dansant Presqu’avec son costume.
Abi, massant sa hanche, tenta de se relever en riant à moitié.
—Très drôle. Allez, on rentre avant que l’un de nous ne se transforme en glaçon. Aïe !
Les trois retournèrent à l’appartement, où la chaleur du foyer les enveloppa immédiatement. Mais malgré l’heure tardive, la soirée était loin d’être terminée. Des tasses de chocolat chaud les attendaient sur la table, ainsi que les derniers cookies que Joanna avait préparés. Ils avaient encore à diner des plats prepares par Abi.
Alors que la neige continuait de tomber doucement à l’extérieur, ils s’installèrent ensemble près de la fenêtre, leurs éclats de rire résonnant dans la nuit paisible. Pour cette petite famille, le Noël parfait n’était pas dans les cadeaux ni dans les traditions grandioses, mais dans ces instants simples et sincères, remplis d’amour et de complicité.
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