Episode Vingt-Quatre : Le Procès de Lurrihan

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Lorsque l’on dirige un immense territoire, on ne peut s’assurer soi-même que chacune des lois qui le régissent seront strictement respectées. C’est pourquoi imposer des personnes de confiance comme relais du pouvoir est absolument nécessaire à tout souverain qui cherche à rassembler ses sujets sous une même bannière.

Mais le temps est le pire ennemi de l’unité, et les alliés d’hier se désintéressent souvent de la cause commune à laquelle ils se sont originellement rattachés. Le sens des choses se perd à mesure que les siècles passent.

Ce fut peu à peu le cas de toutes les provinces du sud de Khenas qui se mirent à appliquer des lois locales et à juger selon elles. Le roi et sa famille ne s’y opposèrent pas, jusqu’à ce que certains de leurs sujets n’entrent en conflit avec leurs voisins.

Aquilon Shinkan, le 100ème roi de Khenas, fut touché par les déboires de son peuple et, dès lors, une question l’obséda : « Qui peut juger les juges ? »

Il permit à toutes les provinces de son royaume de garder leurs lois, leurs coutumes et leurs gouvernements, bien que le temps eût effacé tout rapport entre eux et le roi. Cependant, il fit construire en sa capitale un immense palais de justice qui devait représenter l’inclinaison naturelle de tout homme pour l’ordre, la paix et l’équilibre. Il décréta que tout conflit qui pouvait être déclenché par deux lois opposées devait être réglé ici même, sous la législation d’un grand texte qu’il écrivit avec le Grand-Maître des gardiens des runes.

Le roi lui-même accepta de se soumettre à cette loi, et déclara que s’il se rendait lui-même responsable d’une faute, il devrait aussi être jugé ici.

Les siècles passèrent, et le peuple de Khenas devint célèbre pour sa paix et sa docilité.

Ensh’Idai garda le bâtiment intact pendant les années de son règne. Selon les confessions de Sullivan, le chevalier qui l’accompagnait, il aimait beaucoup cet endroit.

Et puisqu’il resta l’endroit où l’on jugeait les gouverneurs, les princes et les héros, c’est ici que se tint le procès du Gardien Lurian, responsable de la défaite d’Ensh’Idai, au terrible prix de la destruction des runes qu’il avait voué sa vie à protéger.

Le scribe déposa toutes ses affaires sur une grande table de marbre. Chacune de ses plumes avait été taillée, essayée et validée. Le jury composé du roi, de ses proches conseillers et du Grand Gardien des Runes était installé sur une grande estrade qui surplombait l’immense pièce ronde.

L’accusé se trouvait debout au centre des quatre grands piliers qui soutenaient le toit. Puisqu’il ne pouvait pas s’exprimer, Keldan se tenait à ses côtés pour traduire ses propos devant le roi. Tout le monde avait pris place, le scribe lança le début de la séance à l’aide d’un petit instrument à percussion situé à côté de la table en marbre. Le roi se leva et fut le premier à s’exprimer.

- Frère Lurrihan, sais-tu qui je suis ?

- Oui, traduisit Keldan à partir des signes de Lurian. Vous êtes mon roi.

- Acceptes-tu de te soumettre au jugement de la Grande Loi d’Aquilon, ainsi qu’à celui de ton roi ?

- Oui, continua Lurian à travers son ami.

- Bien. Maître-scribe, quels faits sont reprochés par le peuple et l’ordre des Gardiens à frère Lurrihan, ici présent ?

Le scribe avait déjà listé toutes les questions qui risquaient de lui être posées et avait pré-inscrit plusieurs réponses sur une tablette de marbre. Dans le cas où l’on ferait appel à lui pour autre chose, il détenait un dossier qui contenait toutes les informations sur l’affaire.

- Frère Lurrihan de l’ordre des Gardiens des Runes aurait, selon de multiples sources, abandonné le terrain auquel il était lié par ses vœux, entrainant la destruction d’un patrimoine jugé de grande importance par l’ordre susnommé, un acte proscrit par l’ordre et puni de mort.

Il aurait également communiqué avec plusieurs personnes au moyen de signes de la main, un acte proscrit par l’ordre et puni de mort.

La Loi Ordinaire stipule que cette affaire relève d’un problème interne et que, de ce fait, frère Lurrihan doit être jugé par son ordre et non par son Etat. Toutefois, quitter temporairement ses fonctions lui aurait permis, selon de multiples témoins, de jouer un rôle crucial dans la libération nationale face à l’usurpateur Ensh’Idai et la restauration de la dynastie Shinkan.

Puisque le roi et le peuple de Khenas ont été directement honorés par cet acte, ce n’est plus de la Loi Ordinaire mais de la Loi Extraordinaire que cette affaire retourne.

Aussi, le but de ce procès n’est plus de définir la culpabilité de Frère Lurrihan, mais de décider de qui de l’Ordre ou de l’Etat doit, selon la Loi d’Aquilon dont notre majesté Zéphyr Shinkan II se porte garant, juger l’accusé.

- Avez-vous terminé, maître scribe ? demanda le roi.

- Pour cette introduction, oui, répondit-il.

- Bien. Passez à la présentation des différentes parties.

- L’Ordre des Gardiens des Runes de Khenas est ici représenté par leur Grand-Maître Edwahan, également à l’origine de cette audience. Ils ont plusieurs fois formulé le souhait d’appliquer la seule loi des Gardiens à frère Lurrihan. Le défenseur, frère Lurrihan lui-même, sera assisté par le gouverneur Keldan de Duong-ville qui traduira ses propos, ainsi que par le conseiller Rorshan, représentant des intérêts du royaume de Khenas dans cette affaire.

- Avez-vous terminé, maître scribe ? répéta le roi.

- Pour cette partie, oui.

- Bien. La parole est à vous, Grand-Maître.

Edwahan se leva de là où il était assis et s’avança vers le bord de l’estrade pour commencer son discours. Il portait un manteau dans le même genre que celui de Lurian, mais au lieu d’être blanc et doré, il était entièrement doré et les symboles carmin qu’il arborait étaient quelque peu différents. Il avait également droit à une longue cape rouge et dorée sur laquelle se trouvaient les plus grands symboles d’honneur des Gardiens : les mots « oir » (on-dit), « ang » (homme), « rhog » (secret) et « qwer » (raison d’être) écrits dans un Khenasien très ancien.

La plus grande différence entre son habit et celui de Lurian, c’est que son col était grand ouvert, dévoilant à tout le monde qu’il était le seul Gardien à ne pas avoir perdu sa capacité à parler.

- Merci, votre majesté. Tout d’abord, j’aimerais rappeler que je comprends tout à fait l’intérêt de cette audience. Frère Lurrihan a défendu notre nation d’un mal tout droit venu d’un autre monde, si je puis l’exprimer ainsi. J’aimerais également rappeler que mon Ordre et moi-même avons toujours soutenu de près ou de loin la destitution d’Ensh’Idai.

« Surtout de loin, pensa Keldan. C’est la première fois que j’entends parler de ce type. »

- Toutefois, puisqu’il me faut rappeler la Loi que je défends : un véritable Gardien des Runes formé dans notre Tradition ne doit s’exprimer auprès d’aucun homme, si ce n’est un autre Gardien. Nous ne permettons pas non plus d’autre langage que celui des glyphes de Khenas tels que ceux cousus sur notre habit.

Il n’y a donc, à mon avis, pas de raison de convoquer frère Lurrihan dans cette assemblée, car si il suit toujours notre Loi, il ne parlera pas.

- Grand-Maître, répondit le roi. Vous semblez oublier qu’en présence de la Loi Extraordinaire, Lurrihan est jugé comme un sujet de Khenas et non comme un gardien. Il a donc la totale autorisation de transgresser vos lois si son témoignage peut faire avancer l’affaire.

- J’en ai conscience, Seigneur. Je voulais surtout attirer votre attention sur le manque de loyauté et de fiabilité de votre sujet. Cette affaire tient en effet à une idée pourtant très faible, celle selon laquelle Lurrihan aurait servi la cause nationale en aidant à éliminer Ensh’Idai.

Le roi Zéphyr était quelqu’un de très influençable. Avant le début du procès, son idée était presque arrêtée : Lurrihan ne méritait pas de mourir. Mais à présent, Edwahan avait toute son attention.

- Rappelons le déroulement des évènements tel qu’il nous a été rapporté par le gouverneur Keldan, si vous le voulez bien. Celui-ci était, parti à la recherche du savant Nicolas Gath en suivant une carte, serait tombé par « hasard » sur la caverne de Frère Lurrihan.

Il va sans dire que nous n’avons jamais vu cette carte et que lorsque la question fut abordée, le gouverneur Keldan prétendit l’avoir égarée lors d’un jeu. De plus, son précédent propriétaire, le Porteur Soto est décédé le jour précédant son départ.

Pour en revenir à l’accusé, Keldan l'aurait recruté en sachant pertinemment quelles obligations le retenaient dans sa caverne. Frère Lurrihan l’aurait alors suivi sans se poser de questions.

Rien qu’à ce stade, vous devez, Majesté, remarquer le grand nombre d’incohérences, d’inconsistances et d’exagérations de ce récit. Mais il en reste encore un grand nombre.

Keldan, Lurrihan et "Dysill", un autre personnage apparaissant plus tard dans le rapport, se seraient rendus au domicile de Gath, dans les montagnes du Sidaltra, et y auraient trouvé le moyen de défaire Ensh’Idai. Celui-ci serait ensuite arrivé sur les lieux, attiré par l’idée de rencontrer Nicolas Gath, et aurait été vaincu.

Ensuite, en revenant à Khenas, tous deux ont apporté l’armure d’Ensh’Idai comme seule preuve de sa défaite. C’est après avoir reçu les honneurs de leur souverain qu’ils auraient découvert la caverne à runes détruite. A part ces deux-là et les autres gardiens, personne ne la connaissait.

Alors maintenant, j’aimerais poser la question suivante, non pas à Frère Lurrihan, mais au Porteur qui l’accompagne : Est-ce bien là ce qu’il s’est produit ?

Lurian, ou plutôt Lurrihan comme le voulait l’orthographe exacte de son nom savait que Keldan bouillonnait de rage. Depuis le début de l’affaire, il ne comprenait même pas pourquoi elle avait lieu. Mais il savait aussi que s’il manquait de respect à des gens d’un tel rang, il pourrait le regretter. Après tout, c’était la vie de son ami qui était en jeu, pas la sienne.

La dernière fois qu’il s’était autant emporté, son maître Soto était mort et ça, il ne pouvait pas l’oublier.

- Oui, c’est exact, répondit Keldan.

- Alors, Keldan, laissez-moi vous dire tout ce qui n’a pas le moindre sens, dans votre histoire. Le plus important, du moins. Tout lister nous prendrait la semaine.

Comment Ensh'Idai aurait-il su où vous trouver sans carte ? Comment auriez-vous pu le vaincre, là où la garde royale entière n'a rien pu faire contre lui ? Qu'est-il arrivé à Dysill et aux autres personnages de votre récit ? Et surtout, comment avez-vous procédé pour briser le sceau de la caverne ?

- Nous n’avons rien brisé. C’est pour ça que…

- Je n’ai pas fini. Je me pose d’autres questions, et j’imagine que vous aussi, Majesté. Quelle preuve tangible avons-nous de la défaite d’Ensh’Idai ? Et surtout : par quel moyen l’avez-vous vaincu ? N’estimez-vous pas qu’il serait important pour votre peuple de le savoir ? Pourquoi l’avoir soi-disant supprimé alors que vous l’avez, de toutes évidence, aidé à éliminer le Porteur Soto.

Keldan serrait les poings si fort que Lurrihan commençait à percevoir son Souffle.

- Ah, vous voulez raconter l’histoire à votre manière ? Alors je vais vous répondre à ma façon. Quand…

- Laissons Frère Lurrihan répondre à ces questions, Grand-Maître, répondit le roi. Le gouverneur Keldan n’est là que pour faire la traduction.

Lurrihan fit signe à son ami d'éviter de manquer encore de respect au Gardien Suprême. Celui-ci n’avait pas eu l’air de supporter le début de réponse du Porteur. Cela faisait mal à Keldan de l'admettre, mais il devait rester tranquille et traduire. Lurrihan lui donna une série de signes à traduire.

- Nous ignorons comment Ensh’Idai nous a rejoint, mais nous supposons que c’est à l’aide de son serviteur Moord. Dysill, que nous avions rencontrés à Andaria, est rentrée chez elle. Quant à la manière dont nous avons battu Ensh'Idai, nous avons promis à celui qui nous l’a enseignée de ne pas la révéler.

- Je suis capable de faire l’impasse sur de nombreuses fautes, frère Lurrihan, mais refuser de révéler un secret à votre propre Grand-Maître n’est qu’une immense preuve de votre déloyauté et de votre médiocrité. Même aux yeux de l’Etat, un tel égoïsme devrait être puni de mort.

- Mais c'est pas possible, il est... commença Keldan.

- Gouverneur Keldan, taisez-vous, dit sèchement Rorshan, le conseiller du roi. Il est vrai que ce qui vient d’être dit pose une question essentielle : Frère Lurrihan, que tenez-vous en si haute estime, au point de dissimuler des informations à votre peuple, à votre ordre et à votre roi ?

Keldan traduisit encore Lurian :

- La règle de mon Ordre, Monseigneur. Je regrette, mais en tant que Gardien des Runes de Khenas, je suis tenu de garder les confessions qui m’ont été faites par quelque homme ou femme qui le désire. C'est le deuxième décret de notre Loi.

Edwahan semblait bien embêté. Effectivement, s’il suivait la règle des Gardiens dans cette assemblée, Lurrihan ne pouvait pas révéler ce qui lui avait été confié.

- Je tiens à vous rappeler qu’ici, notre loi n'est pas sensée opérer, dit Edwahan pour sauver les meubles. Vous êtes soumis à la seule Loi d’Aquilon et pouvez dépasser vos vœux pour…

Le roi fit taire le Grand Gardien d'un geste de la main.

- Le droit du silence est garanti par notre Assemblée, continua le conseiller. Frère Lurrihan peut, en particulier pour cette raison, garder ses secrets.

Keldan regarda le Grand-Maître en affichant un sourire narquois. Celui-ci lui jeta un regard terrifiant.

- Mais ce n'était pas ma question, continua Rorschan.

Le sourire de Keldan s'effaça.

- De quelle autorité répondez-vous, Lurrihan ? Des Gardiens ? De la couronne de Khenas ? Peut-être de celui qui vous a confié ces secrets ? Ou même d'Ensh'Idai lui-même ?

Personne dans cette assemblée ne se prononcera en votre faveur tant que nous ne saurons pas vraiment qui vous servez.

La salle fut plongée dans le silence. Keldan comprit alors que ce conseiller n’allait pas forcément jouer en leur faveur, il lui faudrait, lui aussi, le convaincre. En fait, il n’y avait pas deux parties, dans ce procès, mais trois. L’Ordre, l’Etat et Lurrihan, qui devait se défendre seul, sans même que Keldan ne puisse l’aider.

Lurrihan commença à déboutonner son large col.

- Vieux, s’inquiéta Keldan, arrête ! Mais cela n’eut pas d’effet.

Il enleva complètement la veste qu'il portait en permanence et la posa sur le sol. Il avait une musculature particulièrement sèche et définie pour un garçon de son âge, ce qui impressionna le roi, mais ce n'était rien face aux immondes cicatrices qu'il avait tout le long de la gorge jusqu'au torse.

Il se retourna et montra les marques des blessures qui parcouraient sa colonne vertébrale, puis il remit son manteau et fit trois courts signes de la main à Keldan.

- Voici toutes les marques de mon allégeance. Ai-je répondu à votre question ?

Il y eu un nouveau silence dans la salle. Puis, après une longue discussion entre Rorschan, Edwahan et le roi, on fit sortir Keldan et Lurrihan pendant un instant.

Tous deux se retrouvèrent seuls, et Keldan semblait beaucoup plus angoissé que Lurian, toujours calme.

- J'en reviens pas. Qu’est-ce qu’il veut, ce vieux débris ? Je croyais qu’il était de notre côté ! Le type dort toute la journée dans ses papiers et se permet d'emmerder ceux qui se bougent, j'hallucine ! Et dire que c’est nous qui avons remis des types comme ça au pouvoir…

"Keldan, calme-toi. Il nous faut attendre.", signifia Lurian.

- Et l’autre, le « Grand-Maître », là, avec son petit air dédaigneux… Il nous les a brisé trente ans avec sa tradition à deux balles, alors qu'un gamin de 15 ans la connaissait mieux que lui ! Tu l'as démoli !

"Je ne l'ai pas "démoli", Keldan. Je lui ai rappelé un élément important pour qu’il puisse décider plus justement. Ed Wa Han est le Maître de mon Ordre, je dois le respecter et tu ferais mieux de le faire, toi aussi."

- Ça t'emmerde pas de dépendre d'une ordure pareille, toi ? On a affronté les pires trucs et ce sont les tiens qui veulent essayer de te tuer, bon sang !

"Ne dispense pas de jugements trop hâtifs. C'est une ordure pour ce que tu as vu de lui, mais c'est parce qu'il tient autorité que « ce qui se tient au-dessus de lui » peut gouverner, au travers de lui."

- Et qu'est-ce qui se tient au-dessus de lui ?

"Je ne suis pas sûr que tu pourrais le comprendre."

- Ah, bah ouais, bien sûr. Je suis trop con. Non mais sans blague.

"Ne commence pas, ça n'a rien à voir."

- Alors explique-moi franchement ce que tu veux me dire, au lieu de tes énigmes à deux balles. Je comprends pas que tu t'entendes bien avec ces salopards.

Un silence régna quelque temps, et Lurian reprit une série de signes.

"Merci de faire tout ce que tu fais pour moi. Mais c'est mon jugement, c'est moi qui ai fui mes responsabilités. Je vois très bien pourquoi tu t’emportes : tu es inquiet. Mais quel que soit l'issue de ce procès, c'est moi qui devrais assumer les conséquences de mes actes. Alors ce n'est pas la peine d'accuser celui-ci ou celui-là."

- Mais je peux pas les laisser s'en tirer à si bon compte, pas vrai ?

"Si c'est leur décision, tu devrais. Tu as vécu ton aventure et tu as eu ta récompense. Je suis heureux d'avoir pu t'aider mais maintenant, c'est à mon tour de faire ce que j'ai à faire, et de dépasser les battements de mon cœur."

Tous deux se comprenait très bien, même si Keldan ne l’acceptait qu’à demi-mot.

- Je ferais ce que je pourrais. Je resterais autant en retrait que possible.

Lurian sourit.

- Mais jusqu'à la dernière minute, je te laisserais pas tomber.

"Merci, vieux."

Alors les semaines passèrent et tous ceux qui avaient eu leur rôle à jouer dans cette affaire témoignèrent. Cyane, Rodan, ses filles et les autres porteurs dressèrent un juste portrait de Keldan, ce qui l’écarta du meurtre de Soto.

Sylviane, sa femme, vint également témoigner en faveur de l’existence de la carte.

Keldan se tint à la traduction, bien qu’il eut parfois envie de vraiment s’énerver, notamment lorsqu’Edwahan suggéra que les réelles paroles de Lurrihan étaient falsifiées par son interprète. Le soir, il étudiait les textes de loi de toutes les localités de Khenas pour essayer de trouver une faille judiciaire qu’il pourrait exploiter. Il aurait bien aimé pouvoir convoquer Dysill, Esvet ou même Kyundo à l’audience, mais ni le temps ni les moyens ne le lui permettaient.

Plus le temps passait et plus le roi, son conseiller et le Grand Gardien insistaient sur la destruction des runes. Était-ce si important que cela ? Malheureusement, Keldan ne trouva rien à leur sujet, ni à celui du mot qui était inscrit sur la paroi du mur au côté du dessin de l’homme et de l’enfant : « FERUNISTR ».

Le dernier jour, on amena Sullivan à l’audience pour essayer une ultime fois d’éclaircir cette histoire. Celui-ci ne prononça pas un mot, même sous la contrainte. Lorsque son regard croisa celui de Keldan, quelque chose lui dit qu’ils se recroiseraient, un jour.

Après trois semaines de délibération, on fit une nouvelle fois sortir l’accusé et son traducteur, jusqu’à ce qu’un homme vêtu de pourpre et de bleu ne vienne les chercher.

- Keldan, Lurrihan, je vais vous demander de bien vouloir entrer, le verdict a été prononcé.

Tous deux se regardèrent droit dans les yeux et rejoignirent l’Assemblée, alors que le Grand-Maître et le Conseiller étaient encore pris dans une vive discussion.

Le roi fit signe à tout le monde de se taire lorsqu'il vit les deux jeunes gens entrer dans la pièce. Le scribe finit d’inscrire ses notes sur papier et lut à haute voix le résumé de la décision du roi.

- Après consultation du Conseiller Rorschan, des conseillers publics et privés, du Grand-Maître Edwahan, ainsi que de la partie accusée, le Gardien Lurrihan, sa majesté le roi Zéphyr II de Khenas a décidé de rendre son jugement, dans le respect de la Loi Extraordinaire d’Aquilon.

Le jury a estimé que les actes du Gardien Suprême avaient non seulement desservi les intérêts de son propre Ordre, mais également ceux de l’Etat. Les deux parties ayant décidé unanimement de punir Frère Lurrihan, un second procès n’aura finalement pas lieu.

Pour avoir manqué à sa mission de protéger les runes de toute intrusion et mis en péril toute la sécurité du royaume, Frère Lurrihan est condamné à la peine capitale.

Lurrihan savait que Keldan était sur le point d'exploser. Il lui saisit l'avant-bras comme pour lui rappeler sa promesse. Il entama une série de signes et Keldan les traduisit d'une voix pleine de rage et de sanglots.

- Je me plie à la volonté de mon roi, de mon Maître et me soumettrait à leur sanction.

Lurrihan fit une légère courbette. Il resta humble et impassible malgré cette annonce glaçante.

- Bien. La séance est levée, dit le roi.

Keldan essaya tant bien que mal de se retenir de parler, mais après que tout le jury se soit levé pour partir, il cria au roi :

- Pourquoi ?

Le souverain ne fit que se retourner vers lui pour l’observer, sans lui répondre.

- Conformément à la décision de mon compagnon, je ne contesterais pas votre décision. Mais en tant que gouverneur de Duong-ville, j'estime avoir le droit de savoir ce qui a motivé votre verdict.

Le roi se rassit et fit signe à tout le monde de cesser de bavarder. Il regarda Keldan et sa voix s'éleva, seule :

- Les vampires.

Keldan ne s’attendait pas du tout à cette réponse. Le sujet n’avait même pas été abordé pendant le procès.

- Je ne vois pas le rapport avec Lurian.

- Keldan, ne faites pas comme si vous l'ignoriez, continua-t-il. C'est à votre retour qu'ils sont apparus.

- Et c’est là-dessus que vous basez votre jugement ? Pourquoi est-ce que Lurrihan devrait payer alors même que vous n'avez pas de preuves ?

- Ignorez-vous donc ce que le mot "Ferunistr" signifie ?

Keldan eut un instant d'inquiétude, puis repris la discussion plus calmement.

- Non. Mais ce n’est pas faute d’avoir cherché. Qu’est-ce que c’est ?

- Keldan, je pense que vos actions ont servi Khenas un court instant et en cela, je ne les condamne pas. Mais leurs conséquences pourraient en tout point dépasser tout ce qu’Idai a pu nous faire.

- Pourquoi ça ? Expliquez-moi !

- La séance est levée.

Keldan se retrouva impuissant face aux membres du jury qui venaient de condamner son meilleur ami à mort. Ceux-ci partaient comme si ce n'était qu'une journée ordinaire.

Il songea un instant à faire appel au Souffle. Que pourrait faire cette assemblée d’hommes ordinaires face à la puissance surnaturelle qui vivait en lui ? Mais il avait promis à son ami de respecter la décision finale du roi, et c’est ce qu’il fit.

On emmena Lurrihan dans l’une des geôles du palais et l'on escorta Keldan jusqu'à Duong-ville. Dans deux semaines exactement, Lurrihan serait exécuté publiquement. Ce n’était pas la durée normale, c’était bien trop court. D’ailleurs, rien n’était normal, dans ce verdict.

Comme depuis le début de cette histoire de folie, Keldan sentait que quelqu’un cherchait délibérément à lui cacher des choses. Et malgré ça, il devait prendre sur lui et accepter ce qui allait se passer.

Non, pas question.

Ça n'allait pas se passer comme ça.

Keldan avait déjà affronté de biens plus grands périls.

Alors il trouverait un moyen pour le sortir de là.

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