Episode Vingt-Six : Les Autres
Jamais Keldan n'avait vu un groupe s'affairer dans un tel silence. Les ouvriers préparaient tous les bagages de l'escorte qui partirait le lendemain, au petit matin. Le capitaine de la garde l'aida à identifier chaque partie du cortège. Là où se trouveraient les vêtements, les vivres, les armes et les soldats.
Il était très important qu'il retienne les noms de tous les membres de la formation, puisque le roi l'avait nommé capitaine de l'expédition et expert du territoire. Il faisait partie de la division centrale, la plus importante, chargée de toutes les prises de décisions et de la protection directe de la princesse. Il est vrai que Keldan connaissait bien la Mangrove, mais il trouvait cette promotion quelque peu exagérée
- Et voilà Spark Kellermann, il sera votre second, vous assistera dans toutes vos tâches et répondra à toutes vos demandes. C’est un très bon élément.
Kellermann était un jeune blondinet aux tâches de rousseur. Pendant un instant, Keldan se demanda comment un garçon aussi jeune et inexpérimenté avait pu être nommé second. Et puis, il se rappela qu'il n'avait lui-même que dix-huit ans et n'avait jamais commandé une équipe.
Kellermann se tint au garde-à-vous.
- Capitaine !
- Kellermann, lui dit le capitaine de la garde, je vous laisse entre les mains du capitaine Keldan.
- Oui, Capitaine !
Le capitaine partit et emporta l'ambiance avec lui. Keldan était très gêné et n'osait pas parler. Que devait-il dire ? "Rompez" ? "Allons-y" ? "Assis" ?
- Alors, Kellermann, euh... Qu’est-ce que vous pouvez me dire au sujet de la division centrale ? Je viens d’apprendre leur nom, mais je n’ai pas encore eu l’occasion de les rencontrer.
- Avec vous, Capitaine, la division centrale compte trois officiers, trois référents et un ambassadeur.
Un homme à la barbe et aux cheveux longs était assis tout près d’une des carioles de vivres et comptait des pièces de monnaie avant de les ranger dans sa sacoche. Il était vêtu pauvrement.
-Cet homme, là-bas, s’appelle Yvan. Il a été choisi comme médecin par le roi lui-même.
- Ah oui ? Il n’a pas une tête à avoir fait des études.
- Non, mais il a continué à servir les Shinkhan pendant le gouvernement d’Ensh’Idai. La rumeur dit qu’il serait capable d'opérer les yeux fermés. C’est un don inné, chez lui.
- Ouais ben, je préfère qu'il les garde ouverts.
Un autre homme, un peu plus jeune que le premier se frottait les mains frénétiquement en regardant dans le vide, il avait l'air très stressé et donnait de temps à autres une consigne à ceux qui portaient les marchandises.
- Edwin Darren, c’est notre référent scientifique. Il étudie les phénomènes biologiques les plus singuliers à Anceps. Le roi l’a choisi parce qu’il pense qu’il est le mieux placé pour étudier le corps des vampires et mieux les comprendre.
- Pas très ragoûtant. Et lui, là-bas ? Il a perdu sa mère ?
- Non, Capitaine... Ce garçon, là-bas, c'est l’ambassadeur. Personne ne vous l’a dit ?
En effet, un petit garçon aux joues rosées par le froid et aux grands yeux bleus jouait avec les poules de la cour. Il avait une longue écharpe bleue et semblait s'amuser de peu de choses.
- Quoi, un enfant de cet âge ? Franchement, Kellermann, je dois vous dire que cette histoire ne m’enchante pas vraiment. Je m’attendais à ce que l’équipe du roi soit remplie de soldats sérieux.
- Raphael est peut-être encore un enfant, Capitaine, mais il a été recommandé par Imperio en personne. C’est notre laisser-passer pour les terres Sardèg. Vous devez savoir que... Capitaine ! Ce n'est pas à vous de faire ça !
Keldan venait de charger une immense caisse de matériel sur son dos. Il aida les ouvriers à la poser à l’intérieur de l'une des carioles.
- Désolé, Kellerman... C'est plus « fort » que moi ! rit-il.
Keldan en saisit une autre et Spark se sentit obligé de l'aider en la saisissant par l'autre côté. La caisse lui sembla effroyablement lourde, alors même que la majeure partie de son poids était soulevée par Keldan.
- Est-ce que c’est moi, continua Keldan en scrutant les environs, ou nous ne sommes pas très nombreux ?
- Arf... marmonnait Spark en posant l'énorme caisse de matériel. Le voyage a été organisé en urgence avec ce que le roi avait sous la main. Sur le chemin, le Capitaine Shinto et ses hommes nous rejoindront à Lâm-ville, et le Lieutenant Arkanto à Fulkan. Sur le dernier tiers du voyage, nous serons rejoints par un capitaine Sardèg, si j’en crois que m’a dit Raphaël.
- Ca explique bien des choses. Mais je ne sais pas trop si je dois être inquiété ou rassuré.
- Il n’y a pas eu d’attaques de vampires entre Kyoran et Lâm, capitaine. Et si cela devait arriver, nous vous avons dans la formation. Et ça, ce n’est pas rien.
- Kellermann…
Quelque chose éveilla le nez du Porteur. L’odeur du fer rouillé, celle de la crasse, de la sueur et du tissu abimé.
Lurrihan, le teint pâle et les joues creuses, venait d’être libéré de ses chaînes et d’arriver dans la cour. Il découvrait à son tour le cortège qui se mettait en place.
- Repos, Kellermann, dit Keldan avant de se dépêcher d’aller accueillir son ami.
Celui-ci avait été soumis à un stress très élevé. Après tout, il s’était résolu à mourir et maintenant, le contrecoup de l’emprisonnement se faisait ressentir dans tout son corps.
- T’as une sale gueule.
« Et toi, t’as maigri. C’est pas un concours. »
Après avoir ri un peu, Lurrihan donna une tape dans la poitrine de Keldan.
« Tu n’as pas triché. »
- Quoi ?
« Tu as utilisé la loi et tu l’as tournée à ton avantage. Tu n’as pas triché.
C’est ce que tu fais toujours. Si quelque chose se dresse contre toi, tu t’adaptes et tu apprends. Quel que soit le fossé, tu le traverses à ta manière. Tu es très fort, Keldan. Je suis heureux de t'avoir pour ami. »
Le Porteur ne sut que répondre.
- Merci, ça fait plaisir.
« Mais est-ce que tu crois qu'on sera au niveau ? » demanda Lurrihan.
- On n'a pas le choix, vieux.
« Non, tu as raison. Après tout, on a déjà affronté pire que ça»
Et après un court silence, les deux compagnons se serrèrent dans leur bras.
"Content de reprendre la route avec toi, vieux frère."
Lurrihan avait raison, ils avaient déjà tenu tête à de pires situations. Mais au moment où ils s'étaient confrontés à l’inconnu et à l’impossible, ils n’étaient pas seuls.
Dysill était avec eux.
Et dans l'orage permanent de la guerre des gangs, celle-ci avait retrouvé son foyer et promenait Rico avec Gulliver. Rico, c'était un chien errant qui avait perdu une patte lors d’une fusillade.
Gulliver l'avait recueilli et Benson lui avait fabriqué une patte de bois. C'était pour ainsi dire la mascotte des Géants de la Porte. Bien sûr, il n'avait pas de laisse ni de collier, sinon ce ne serait pas un vrai Géant.
- Mais quand tu dis "secret", tu peux quand même me le dire, à moi, non ?
- En fait, j'en sais rien, il arrêtait pas de répéter que c'était à nos risques et périls. Au fond, je comprends pourquoi.
- Comment ça ?
- Et ben, je te dis... C'est comme si quelqu'un d'autre vivait à l'intérieur de toi, c'est vraiment difficile à décrire. Et le pire, c’est que je crois que c’est qu’une petite partie d’un monde bien plus grand.
- C'est dégueulasse, surtout.
- Pff...
- En parlant de dégueulasse, comment vont le petit et le gros ?
- Arrête un peu, toi ! pesta Dysill. Ils ont des noms, tu sais.
- Ca va, on peut rigoler...
- Ils viennent de rentrer chez eux. Et une fois que j'aurais donné ce qu'il lui faut à Adrian, on ira voir si tout a fonctionné pour eux.
- « On »… Parle pour toi ! Moi, j’ai d’autres chats à fouetter… Mais d'ailleurs, ce truc que tu comptes lui faire avaler, à Adrian... Ça va marcher ou c’est du flan ?
- On verra bien. De toutes façons, Kyundo m'a demandé de l’amener si jamais ça ne marchait pas.
- Quoi qu'il en soit, répondit Gulliver en s'accroupissant pour caresser Rico, faudra au moins qu'on arrive à se frayer un chemin jusqu'à Siegstrauss.
- C'est devenu si dangereux que ça, la Porte Est ?
Gulliver ne répondit pas.
- Pardonne-moi. J'avais presque oublié, pour ton ami...
- C'est pas grave, t'as pas eu le temps de le connaître, en plus. C'est dommage, c'était un brave de chez brave, Hawkins.
Il se mit intérieurement de petites claques sur les joues.
- On va se le frayer, ce chemin. De toutes façons, pour nous deux, ce sera un jeu d'enfants !
Dysill sourit.
- Comme à l'époque, Gully.
Gulliver rougit.
- Ca va pas de m'appeler comme ça ? Je te rappelle que je suis quelqu'un d'important, maintenant. En théorie.
- Pardon, môssieur Stroker ! se moqua-t-elle en faisant la courbette.
- C'est bon, ça va... Allez, concentre-toi. Il faut qu'on traverse une dizaine de kilomètres pour arriver à Siegstrauss. Ce devrait pas être compliqué, mais faut qu'on évite les voleurs, les gardes, les marchands... En fait, la moitié des habitants de ce fichu quartier.
Une légère vapeur s'échappa du corps de Dysill.
- Attends, c'est quoi, ça ?!
- Tu peux la voir ? C’est un peu de Souffle.
Ses iris se noircirent et elle plongea son regard dans un passé proche, puis de plus en plus lointain. Elle voyait ce qu'il s'était produit dans la ruelle depuis plusieurs heures. Un homme s'était caché près des poubelles il y a quelques minutes.
- Toi, là-bas ! cria-t-elle. Sors de là !
Et soudainement, l'homme qui tenait avec lui un vieux couteau rouillé s'échappa.
- On a eu chaud ! dit Gulliver, suant à grosses gouttes. Comment t'as su qu'il était là ?
- Je t'expliquerais en route, mais garde bien les yeux ouverts, toi aussi.
Le cortège venait de quitter Kyoran et Keldan sentait déjà monter en lui un frisson. C'était un peu difficile à admettre pour lui, mais s'il était au départ très casanier, vivre de telles aventures avait fini par lui donner le goût de la prise de risque et de la découverte.
De toutes façons, il ne pouvait rien lui arriver. Il lui manquait peut-être un bras, mais il avait le Souffle, de la bonne nourriture et surtout, son frère d’armes à ses côtés.
Lurrihan et lui montaient deux chevaux bruns, et il faut dire que ce n'était pas désagréable. Ils avaient tellement marché qu'ils avaient oublié que les voyages pouvaient être confortables.
« Ils en font partie, n’est-ce pas ? demanda Lurrihan en désignant les autres membres de la division centrale. Ils comptent aussi parmi ‘’Les Autres’’ ? »
Yvan, Edwin et Raphaël dégageaient en effet tous quelque chose d’anormal. C’étaient des êtres humains comme tous les autres, mais à voir leur manière d’agir ou d’appréhender
- Je ne sais pas. J’ai l’impression de sentir quelque chose, oui. J’ai la sensation que s’ils n’en faisaient pas partie, ils ne seraient pas là.
« Alors nous sommes finalement passés dans ce monde. Celui dont Kyundo nous avait parlé. »
- On dirait bien, oui.
« Tu penses que ce sera pareil pour les autres ? Le capitaine Shinto ? L’émissaire de Sardag ? Et même l’Imperio ? »
- L’avenir nous le dira. Qu’est-ce que ça change ?
« Tout, si tu veux mon avis. La connaissance est une denrée rare, et se tenir aux côtés d’hommes et femmes qui savent pourrait être un avantage considérable. »
- Je n’en suis pas sûr.
« Ah oui ? »
- Oui. Toi, par exemple. Tu sais des choses. C’est pour ça qu’on t’a coupé la gorge. Et pourtant, même à moi, je sais que tu ne les diras jamais.
Lurrihan parut gêné.
« C’est vrai… J’en suis désolé. »
Keldan ne lui en voulait pas. Certes, il n’aimait pas trop cette histoire de règles et de silence, mais c’était la vie de Lurrihan. La vie d’un Porteur consistait à soulever des charges de plus en plus lourdes, était-ce mieux ? Plus constructif ?
- J’aimerais bien savoir ce qu’en pense la principale intéressée, tiens, dit Keldan en scrutant la calèche dans laquelle on transportait la princesse.
Dans le cortège, seule Marina avait le droit de parler à la princesse et de transmettre ses volontés aux soldats. Elle était sa conseillère et sa servante.
Le roi avait pris cette disposition pour qu'elle reste à l'écart des soldats en attendant l'arrivée des troupes à Sardag. Puisqu'elle restait enfermée jusqu'à la nuit, personne ne l'avait encore vue à l'exception de Marina. Celle-ci était très stricte et restait toujours à proximité de la calèche, fermée à double tour par une clé.
- C'est pas dangereux, cette histoire ? demanda Keldan a Kellermann qui venait de tout lui expliquer.
- Pourquoi, Capitaine ?
- Ben, c'est simple... Si Marina se fait tuer ou enlever, comment on saura si la princesse est toujours à l'intérieur ?
- Je suis le seul à avoir le double des clés, Capitaine. Au cas où ça arriverait, justement.
- Ah ouais. Et si toi aussi, tu te fais tuer ? Imagine un peu.
- Je me ferais pas tuer, Capitaine, ça, c'est sûr !
- Imagine mieux, dit froidement Keldan.
- Ah... Et bien dans ce cas, j'imagine que vous pourrez vérifier par vous-même, puis ce sera le capitaine Shinto, puis vos subordonnés par ordre de grades, répondit-il un peu perturbé par la question.
Keldan n'avait pas envie de plaisanter. S'il échouait, ça signifierait l'arrêt de mort de Lurrihan. Peu importe qui était cette princesse, il ne laisserait personne l'effleurer même du regard. Il convoqua alors Marina.
- Vous êtes le capitaine Keldan ? demanda-t-elle.
- Oui, Marina. Je vais être clair avec vous. Je veux que vous me préveniez chaque demi-heure de l'état de la princesse.
- Chaque demi-heure ? Ma maîtresse a besoin de sa vie privée, vous savez...
- Je m'en tamponne, Marina. Du lever jusqu'au coucher, je veux que vous me disiez si elle est toujours en bonne santé dans ses appartements. Pas de repas, de lever, de coucher ou même de pause pipi sans que je ne sois au courant.
- Pfff... Ouais, ce sera fait, capitaine, répondit-elle bien vulgairement.
- Et avec le sourire, hein.
Marina se rapprocha des divisions arrière. C'était une jeune fille très énergique et caractérielle, et s'il y a bien une chose qu'elle n'aimait pas, c'était qu'un roturier joue les petits chefs devant elle.
"Quelle classe, quelle autorité !" se dit Keldan de lui-même, affichant un sourire de filou.
"T'as une idée de ce que c'est qu'une demi-heure ?" demanda Lurrihan en se moquant du Porteur.
- Je rêve ou tu remets en cause mes directives ? lui sourit-il fièrement. Toi aussi, t’es mon subordonné maintenant, je te rappelle.
Mais au bout de quelques heures, alors que Marina était venue l'interrompre presque dix fois, il comprit ce qu'il venait de faire. Lurrihan rit en voyant ses nerfs lâcher petit à petit.
- Ouais, bon, ça va, hein... Je débute.
Le soir, alors que le cortège s'arrêtait pour monter le camp, des dizaines d'éclaireurs se dispersèrent au Nord, Sud, Est et Ouest pour monter la garde. Tous devaient prêter attention à ce qu'aucun vampire ne s'approche. On éclaira la zone comme si un festival devait avoir lieu et des dizaines d'hommes se retrouvèrent autour de la calèche de la princesse pour en surveiller l'entrée. Bien sûr, seule Marina avait le droit d'y pénétrer, et de temps à autres, elle venait faire son rapport à Keldan.
- La princesse Ysea va bien. Elle ne tousse pas, n'a pas de fièvre, pas de rétention d'eau, elle se nourrit et s'hydrate bien, chacun de ses ongles de pieds a été passé au peigne fin...
- Oui, j'ai compris, Marina. Peut-être pas toutes les trente minutes.
Marina sourit. Il abandonnait donc déjà ?
- Et c'est pas la peine de vous marrer, je vous rappelle qui est le chef, ici ?
- Oh mais je le sais, ça. C'est Keldan... Keldan de Duong.
- Pas de ce ton hein. C'est déjà assez difficile comme ça.
- Difficile ? se réjouit-elle.
Visiblement, Marina voulait faire lâcher les nerfs en soie du colosse. Elle le provoquait sans arrêt en sachant très bien que le Porteur ne saurait pas quoi répondre. Il avait eu dix-huit ans il y a à peine un mois et n’exerçait de hautes responsabilités que depuis quelques mois. Elle pensait qu’il ignorait ce qu'il devait et ne devait pas dire. Ce qu’elle ne savait pas, par contre, c’est que c'était à Keldan qu’elle avait affaire.
- Difficile de se taper une emmerdeuse comme vous toute la journée.
- Je vous demande pardon ?
- Mais vos excuses sont acceptées. Dépêchez-vous, par contre, vous avez une princesse à surveiller.
Rouge de honte, Marina venait d'être prise à son propre jeu de provocation et alla se chercher une autre victime. Keldan afficha alors le sourire satisfait d'une victoire mi-hasard, mi-talent. Puis il reprit son observation. Tout le monde avait l'air de savoir exactement quoi faire. La formation des soldats était parfaite, les cuisiniers se mettaient tout de suite à l'oeuvre et la tente de Keldan était montée avant même qu'il ne descende de son cheval.
Yvan, le barbu, préparait un feu à l'écart de tous et semblait apprendre quelque chose au scientifique Edwin. Il disposait des pierres autour du feu. Quand à Raphael, le petit garçon, il avait l'air aussi enjoué et plein d'énergie qu'à son départ. Il aidait un jeune soldat à monter sa tente et semblait s'entendre avec tout le monde. Depuis le début du voyage, Keldan regardait tous leurs faits et gestes pour essayer de voir avec qui il devait faire équipe.
Soudainement, l'analyse du Porteur fut interrompue par son second.
- Capitaine ! hurla-t-il à quelques centimètres de lui après s'être raclé la gorge.
- Hein, quoi ?! Ah, oui, Kellermann... Qu'est-ce qu'il se passe ?
- Votre tente est prête, mon capitaine !
- Ben, oui, je vois bien...
Et comme souvent, un long silence gênant s'installa.
- Ah, euh, vous avez quartier libre, Kellermann.
"C'est ce que t'attendais que je dise ?" pensa Keldan.
- Bien, chef !
Keldan appréciait la dévotion dont faisait preuve Spark Kellermann. Il n'avait nul doute sur le fait qu'il ferait de son possible pour mener à bien sa mission. C'est d'ailleurs pour cela qu'il avait sans doute été choisi.
Et en même temps, il ne pouvait s’empêcher de se demander comment on pouvait suivre les ordres d’un inconnu aussi aveuglément. Était-ce de la bêtise ou un manque de caractère ?
En y réfléchissait, Lurrihan était aussi un peu…
- Euh... marmonna-t-il à haute voix sans s'en rendre compte.
Keldan avait beau regarder un peu partout autour de lui, il ne voyait aucune trace du jeune gardien. Il fouilla toutes les tentes pour voir s'il s'était installé et commença à suer à grosses gouttes. Sa respiration s'accéléra, des frissons l'envahirent et il se mit à courir à toute vitesse quand il ressentit une légère brise de Souffle parvenir jusqu'à lui.
Il courrait à s'en déboîter les hanches, à mesure que son teint devenait pâle. Il tenta de libérer le Souffle mais n'arriva pas à se concentrer. Où était-il ? Qu'était-il en train d'arriver à Lurrihan ?
Sa course effrénée prit fin lorsqu'il le découvrit dans une petite clairière au milieu de la forêt.
Il était en train d'exercer son Souffle en se forçant à ressentir tout ce qui était tangible autour de lui et ce qui ne l'était pas. En voyant que Keldan était tout proche, haletant, son Souffle se dissipa et il le regarda avec étonnement.
"Qu'est-ce qui se passe ?" demanda-t-il.
Keldan était complètement déboussolé. Il regarda Lurrihan dans les yeux et mit un petit instant à comprendre sa question.
- Ah, et ben... rien, vieux. On va bientôt manger.
Lurrihan ne comprit pas pourquoi Keldan avait mis tant de cœur à venir lui dire ça et continua à s'entraîner un petit moment, alors que le colosse s'éloignait doucement pour retourner vers le campement.
Il comprenait tout doucement ce qu'il venait de se produire. Depuis la fausse exécution de Lurrihan, il n'avait pas réussi à se remettre des nuits blanches qu'il avait passées à essayer de le désinculper. Il avait une peur panique de perdre son ami, au point où cela devenait physique.
Très souvent, le visage vide de Moord qui se repaissait du cadavre de Soto lui revenait en tête. Il savait ce que le mal pouvait faire de ceux qu'il aimait. Alors, au fond de son esprit, il nourrissait cette peur maladive que cela se reproduise. Il lui fallut quelque temps pour se remettre à réfléchir correctement, mais il finit par arriver près du feu où l'on commençait à servir le repas.
Dysill et Gulliver traversaient pendant ce temps l'imposante cité-monde. L'antidote dans la poche et le courage dans le cœur, la jeune Andarienne se trouvait à présent devant la maison d'Edmond. Devant la bâtisse, elle hésita à entrer.
- Alors ils l'ont tué, pas vrai ?
- On te l'a dit ? demanda Gulliver.
- Non, mais si Sica savait où nous trouver, il l'avait bien appris quelque part.
- Je suis désolé, Dysill, c'était ton père.
- Merci, Stroker... lui répondit-elle en lui tenant la main, toujours absorbée par l'endroit. Mais il faudra que je te dise quelque chose à son sujet.
Tous deux entrèrent à l'intérieur, la porte était forcée et quelqu'un s'y était déjà introduit pour voler les biens de valeur. Dysill était de retour dans cette petite pièce ou elle avait appris la vérité. Ces mois passés en compagnie de Keldan, Lurian et Kyundo lui avaient fait oublier cette partie de sa vie, mais le souvenir de Sally, Lucas et Duncan était là, présent, et toujours plus douloureux.
Elle n'oubliait pas pourquoi elle avait décidé de ne pas se laisser mourir : Adrian. Adrian était toujours en vie. Ca lui suffisait pour se bouger les fesses et essayer d'honorer un tant soit peu la mémoire de ses frères et soeurs. Mais avant cela, il fallait qu'elle passe ici un instant, dans ce qu'il restait de cet endroit. Ce qu'Edmond s'était donné tant de mal à obtenir n'était rien de plus que quatre murs à présent complètement vides.
C'était pour ça qu'ils avaient tous dû mourir. Une pièce vide.
La mort d'Edmond ne la réjouissait pas du tout. Au fond, elle espérait qu'il se repentirait d'une façon ou d'une autre. Qu'il regrette ses choix et redevienne, au moins d'une certaine façon, celle qu'elle avait connu et admiré. Maintenant, c'était trop tard.
- Tu voulais vraiment qu'on passe par ici ?
- Ouais. Je crois que je voulais voir si t'avais raison, voir s'il était bien mort.
- Au moins, t'es fixée. Plus de Darren, plus de Sica, plus d'Edmond. Tu sais ce qu'il te reste à faire, donc.
- Ouais, terminer cette histoire, une bonne fois pour toutes.
Tous deux regagnèrent la sortie avant de tomber dans un traquenard. Deux hommes les tenaient en joue avec leurs armes.
"Merde ! Je les ai pas vu venir, pensa Dysill."
- Je t'attrape enfin, petit merdeux, dit l'un des deux hommes en dévisageant Gulliver.
- On se connaît ? demanda-t-il.
- Qui te connaît pas, aujourd'hui ? J'ai essayé de te canarder il y a quelques jours, mais pas de bol, c'est tombé sur ton petit copain.
Gulliver commença à enrager.
- Je vais m'amuser un peu avec toi. J'en ai marre que tu passes entre les filets, alors on va tenter autre ch...
A peine eut-il le temps de finir sa phrase qu'il mangeait un coup dans les dents de la part du Souffle de Dysill. Sous les yeux ébahis de tout le monde, le passé et le futur s’entremêlèrent l’espace de quelques secondes.
- Ah ouais, directement... dit l'homme en crachant la dent qu'il venait de perdre.
Dysill relâcha tout le Souffle qu'elle pouvait et envoya plusieurs coups de poings directement dans le ventre de l'homme. Seulement, avant qu'elle ne puisse placer le dernier, elle reçut un violent choc dans tout le corps et fut expulsée aux côtés de Gulliver.
« Qu’est-ce qui s’est passé ? J’ai l’impression qu’il ne m’a même pas touchée. » pensa-t-elle.
Lorsqu'elle se releva, Dysill constata que l'homme se frottait les mains et qu'on entendait un bruit de plus en plus fort émaner d’elles. Une grande puissance semblait s'en échapper. En fixant l'homme de plus près, elle vit que l'air changeait de densité autour de lui, ce qui créait de petites ondulations, comme lorsqu'il fait très chaud.
- Tu as cru que tu étais la seule à connaître le Souffle ? T'es pas très discrète, en tous cas.
Plus l'homme frottait ses mains, plus le bruit que l’on entendait était fort. Et alors que Dysill tentait un nouveau coup, l'homme l'attrapa à pleines paumes et elle reçut une décharge électrique de tous les diables. Gulliver en profita pour désarmer le second et l'assommer avec son propre fusil. Il visa l'homme au Souffle et tira, mais celui-ci dégagea une puissante aura qui arrêta la balle d'un seul coup.
- Bon, puisque vous avez pas l'air de comprendre, je me présente : Lynn Kanzaki. Le maître d'Andaria, c'est moi, alors vos petits coups prévisibles, ça me fait bien marrer.
L'homme était de taille moyenne, assez mince et portait de nombreux bijoux. Il avait des cheveux noirs tendant vers le gris mais ne semblait pas si vieux.
- C'est toi, le fameux Lynn ? Alors toi aussi, tu fais des tours de magie...
- Comme tu dis, petit père. Allez, maintenant, bats-toi avec tout ce que t'as. Et toi, gamine, utilise au moins ton deuxième Stade, ça me fera rire deux minutes.
- Deuxième quoi ? demanda Dysill.
- Allons... Tu sais bien que le Souffle, ça ne s’arrête pas aux tours de passe-passe. Tu vas pas me dire que tu connais même pas ton deuxième Stade ?
Dysill était désorientée. Un deuxième stade ? Qu’est-ce que c’était que cette histoire ?
- Tu ne t'es pas entraînée, c'est vraiment nul. Bon, je vais te montrer le Deuxième Stade, mais c'est bien parce que tu me fais de la peine.
L'aura de chaleur qui entourait Lyn devint soudainement si intense qu'on la percevait à plusieurs mètres. Il frotta à nouveau ses mains, mais cette fois-ci, de petits éclairs se formaient à sa surface.
Comme l’avait dit Kyundo, le Souffle est une force sans limite. D’abord, il est invisible, imperceptible, puis des phénomènes apparaissent même aux yeux de ceux qui ne le connaissent pas. Plus il grandit, plus ceux qui l’ont en eux passent dans un autre monde.
Dysill ne pouvait précisément estimer l’ampleur du Souffle de quelqu'un, mais elle avait la certitude que celui-ci était bien meilleur que le sien. Il ne se comparait toujours pas à Kyundo ou Ensh'Idai, bien sûr. Mais elle se demandait si Keldan et Lurrihan pouvaient battre ce type.
Elle n'eut pas le temps de se poser plus de questions puisqu'en un éclair, Lynn fit jaillir la foudre de ses mains. Toute la tension qu’il avait accumulé se relâcha sur Dysill et Gulliver, qui furent tous deux envoyés au tapis.
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