Episode Vingt-Huit : La Tour des Arts

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Deux petites ombres jouent à chat perché dans une ville bien trop grande pour eux. Dans cette version, la souris obtient un gage quand elle est touchée. Le chat a toujours le droit de toucher la souris, mais plus elle est en hauteur, moins son gage est difficile. Si elle atteint le sommet le plus haut des environs, c'est le chat qui obtient un gage.

Dysill, 10 ans, est toujours la plus rapide des chats de Gouttière, à égalité avec Adrian. Mais, depuis quelques jours, Gulliver, le petit voisin avec qui elle parle par la fenêtre peut rivaliser avec eux. Cette fois, c'est lui qui fait le chat.

La ville est épaisse et mobile, alors le jeu peut vite se transformer en cache-cache. Gulliver a perdu la trace de Dysill il y a cinq minutes, mais il sait qu'il la retrouvera dans peu de temps.

- Je vais te retrouver dans peu de temps, Dysill !

Gulliver se débrouillait pour entendre les bruits de pas de Dysill qui tentaient de se fondre dans la ville. C'était un peu difficile, mais le jeune prodige qu'il était acceptait toujours les défis. Le pas de Dysill était léger mais la taille de ses jambes la poussait à adopter une petite foulée.

En peu de temps, il parvint à comprendre que le bruit qu’il entendait sur les gouttières n’était autre que la foulée de sa petite voisine. Il escalada un bâtiment par les rambardes des fenêtres et tomba directement sur elle. Il comprenait ce qu'elle cherchait à faire : Elle voulait grimper sur la Tour des Arts, l'un des plus beaux bâtiments du quartier, et surtout le plus élevé.

- Crotte ! dit-elle avant de s'enfuir.

Gulliver était déjà un grand garçon, alors ses longues jambes auraient pu lui permettre de la rattraper. Mais celle-ci sauta dans le vide pour s'accrocher sur des cordes à linge, chose qu'il ne pouvait pas faire sans les casser. En voyant qu'elle tentait de passer par les petites ruelles, il la suivit depuis les toits. Elle se faufilait si facilement dans les petits recoins qu'il serait bientôt très difficile pour Gulliver de continuer à la suivre.

D'un coup, il ne la vit plus du tout... Où était-elle ? Les bruits étaient maintenant si grands qu'il ne pouvait plus entendre les pas d'une petite fille parmi ceux des gens de la Cité-Monde.

Il s'approcha de la Tour des Arts, puisqu'à l'évidence c'est là que Dysill était en train de s’enfuir. Arrivé près de cet étrange édifice, qui avait la particularité d'être agrandi de quelques mètres une fois par siècle, il attendit patiemment.

Puisqu'il ne la voyait pas, il leva la tête et croisa son regard depuis l'une des fenêtres de la tour... Elle était déjà dedans et il l'avait manquée ! Ni une, ni deux, il courut à toute vitesse pour la rattraper. Bien sûr, tout le monde n'était pas autorisé à rentrer dans la Tour des Arts, c'était une œuvre prestigieuse et le Palais d'Andar ne souhaitait pas qu'elle soit visitée par n'importe quel va-nu-pieds.

Chaque année, puisque des escrocs ou de petits malins très travailleurs parvenaient à sortir de leur condition, on augmentait les prix d'entrée. Elle était au moment de notre histoire accessible à une petite élite bourgeoise. Il fallait donc ruser pour y entrer. Tous ceux qui avaient réservé une visite étaient inscrits sur une liste, alors il ne pouvait pas tricher.

Assommer les gardes était une affaire plus difficile qu'il n'y paraissait, et puisque les gens s'y rendaient surtout en groupe, il était presque impossible de prendre l'apparence de quelqu'un d'autre. Comment Dysill avait-elle pû s'y infiltrer ? Il n'y avait aucun toit duquel sauter autour de la Tour.

Il remarqua alors la poussière que le vent balayait sur la Tour et fixa son sommet.

"Non..." pensa-t-il.

Elle l'avait sans doute escaladé. Il n'y avait pas d'autre solution. "Non !" se répéta-t-il. Une petite fille ne pouvait pas le faire, encore moins sans s'équiper.

Et pourtant, avec ses petites jambes et ses petits bras, elle avait au moins escaladé la tour jusqu'à une fenêtre. La plus basse devait pourtant se trouver à près de vingt mètres du sol. Gulliver essuya les quelques gouttes de sueur qui perlaient sur son front et s'approcha de l'énorme bâtisse. Dysill était sans doute déjà arrivée bien haut, mais la progression à l'intérieur de la tour était forcément plus lente : il y avait de nombreux gardes et il lui fallait être discrète.

Le seul moyen qu'avait Stroker pour la dépasser, c'était d'escalader toute la tour pour ne pas être freiné une fois à l'intérieur... Sauf que monter sur le toit d'une maison était une chose, mais grimper sur la tour la plus haute du quartier, c'en était une autre.

"Allez, Stroker, on va pas se laisser dépasser par une fille, quand même...?" se dit-il pour se donner du courage. Il commença à calculer son coup et attrapa l'une des pierres de la tour, puis une autre, puis ses pieds décolèrent du sol pour s'accrocher aux fines pierres de la tour. Il accrocha son couteau sur sa manche gauche en cas de besoin et commença à escalader la tour pas à pas.

Bientôt, il était arrivé au niveau de la fenêtre et put se reposer un instant sur son rebord. C'est alors qu'une femme le vit, horrifiée qu'un enfant se trouve aussi haut. Il fut obligé de reprendre son ascension sans laisser ses muscles se reposer plus que ça. Lorsque la femme regarda à nouveau par la fenêtre, elle ne le vit plus, ni sur le rebord, ni en bas, ni en haut. Il avait essayé de s'éloigner le plus possible pour que l'on ne le prenne pas. La prochaine fenêtre était encore à dix mètres au dessus, et il lui faudrait encore parcourir trente mètres pour arriver au sommet. La fatigue se faisait bien ressentir et il ne pouvait pas se permettre de rater quelques minutes de repos sur le rebord de la fenêtre, cette fois-ci.

Il faisait l'effort de ne pas regarder en bas, mais il était extrêmement difficile pour lui de ne pas se faire dessus, tant la pression était grande. En quelques prises, il arriva sur le bord désiré et vit qu'il y avait un rideau qui pouvait être tiré juste devant la vitre. Personne ne l'avait encore remarqué, alors il ouvrit lentement la fenêtre et tira peu à peu le rideau, centimètre par centimètre pour que tous ceux qui contemplaient les oeuvres d'art du monde entier à l'intérieur ne le remarquent pas. Lorsqu'il y parvint, il remarqua que Dysill était dans son champ de vision : Elle avançait prudemment de rideau en rideau à l'intérieur du bâtiment et viendrait bientôt se cacher ici.

"C'est le moment !" pensait-il. "Je vais la toucher maintenant, comme ça, on pourra tous les deux redescendre !"

Et pourtant, lorsque Dysill vint se cacher ici quelques minutes plus tard, Gulliver n'était plus là. Elle n'avait même aucun moyen de savoir qu'il avait pu être ici quelques minutes plus tôt.

Il avait continué son ascension. Pour une victoire totale, pour l'amour du sport. Après tout, c'est pour ça qu'il avait quitté sa maison : pour s'endurcir, pour affronter tout ce qu'il était possible de défier. C'étaient les valeurs de Cyrus avant qu'il ne devienne un peu plus lâche, et c'était maintenant ce qui définissait Gulliver : une vitalité sans limites, stimulée par le risque et le danger. Chaque fois que quelque chose tournait au vinaigre ou semblait trop dur, il devait avoir la meilleure réaction possible. "C'est ça qui te démarquera", lui disait Cyrus.

Les dix premiers mètres ne furent pas très difficile, mais c'est après que cela se gâta. Le vent commençait à souffler très fort, et Gulliver n'était vraiment pas préparé à de telles ascensions. Il voyait que le sommet était encore loin et que la structure se lissait. Si tout était fait de pierre à la base de la tour, ce qui se trouvait un peu plus haut était métallique et glissant. Il y avait encore quelques prises, mais tout devenait particulièrement casse-gueule.

Il avançait extrêmement prudemment, en essayant de se retenir de trembler à cause du vent et de structure. Il glissa une première fois et se rattrapa aussitôt, alors qu'un frisson et une violente nausée l'envahit. Il attrapa une prise un peu trop lointaine et sentit que ses mains moites le faisaient glisser. Il regarda en bas et vit qu'un petit groupe de pauvres comme lui l'observait. La dopamine et l'adrénaline envahirent son corps, si bien qu'il ne parvint même plus à être effrayé. Et puis, ce qui devait arriver arriva. Son pied glissa sur une rembarde métallique et il chuta.

Mais dans un réfléxe ahurissant, il attrapa le couteau qui était dans sa manche et le planta de toutes ses forces dans le métal. Il essaya de trouver une prise, mais la paroi sur laquelle il se trouvait était beaucoup trop lisse.

Quelques minutes plus tard, Dysill arriva au sommet de la tour. Il n'y avait plus qu'une sorte de petit monticule de terre à parcourir pour être au sommet du quartier. Mais une main se posa sur son épaule juste avant qu'elle ne puisse le faire.

- Touché, dit Gulliver, essouflé.

Celui-ci s'était caché dans un coin en l'attendant et avait finalement réussi à la coincer, le plus proche possible du but.

- Que... Comment t'as fait ?

- Ahah ! Ca...

En fait, Gulliver s'était bien retrouvé suspendu dans le vide. Alors, il n'avait plus d'autre choix que de se servir de ses couteaux. Il saisit sa deuxième lame située dans sa botte et la planta aussi dans la fine couche de métal. En quelques coups, il revint sur une surface praticable et finit d'escalader la tour avec une hargne légendaire. Lorsqu'il fut arrivé tout en haut, il n'avait plus qu'à attendre Dysill. Bien sûr, il ne révela pas son secret à Dysill.

Tous deux s'assirent en haut de l'immense tour et virent le soleil qui se préparait à se coucher. Leur aventure durait déjà depuis plusieurs heures. Tous les jours qu'ils passaient étaient remplis de cette joie, de cette vie et de cette énergie rayonnante.

- On n’a jamais été aussi grands, lui dit Dysill.

- Non, jamais, répondit Stroker.

A son réveil, Gulliver dut se forcer à se rappeler de ce qu'il s'était passé. Il avait reçu un coup, c'est sûr, mais où ? Et par qui ?

Il remarqua alors les parois de pierre qui se trouvaient tout autour de lui et vit qu'un peu de lumière venait d'un point qui se trouvait très en hauteur. En redescendant sur Terre, il distingua Dysill allongée près de lui, dans l'ombre, encore inconsciente.

- Eh, Dysill ! dit-il en la secouant un peu.

Celle-ci se réveilla, non sans un bon mal de crâne.

- On est dans une sorte de... de puits.

- Quoi ? dit-elle alors que ses souvenirs lui revenaient peu à peu.

Après les avoir battu sans difficulté, Lynn avait fait placer Gulliver et Dysill dans un immense trou qui avait dû servir à l'alimentation en eau du quartier Sud-Est, le plus éloigné du fleuve. La nappe phréatique qui l'alimentait était à présent complètement asséchée. De plus, la roche y était extrêmement lisse et ne pouvait pas être escaladée si facilement.

- Et bien sûr, on n'a rien pour grimper. Plus de couteaux, plus rien, merde !

- Attends un peu, laisse-moi voir comment on est arrivés ici, lança la petite Dysill.

Le Souffle coula à travers elle et elle tenta de regarder aussi loin qu'elle le pouvait dans le passé. Elle vit Kanzaki Lynn les descendre à l'aide d'un système de poulies, le sourire aux lèvres. Il semblait marmonner quelque chose, mais Dysill ne pouvait pas entendre des choses dans le passé. Elle expliqua tout à Gulliver.

- T'as qu'à remonter le temps et nous faire tous les deux sortir d'ici !

- C'est pas vraiment comme ça que ça marche, répondit Dysill. Il aurait fallu que je me contacte depuis le passé. Tout ce que je peux faire, c'est essayer de me faire venir du futur.

- Je vais faire comme si j'avais compris...

Un long silence s'imposa, et Dysill sembla perturbée.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Ca... Ca marche pas. J'arrive pas à me joindre.

- Et qu'est-ce que ça veut dire ?

- J'en sais rien... Normalement, je peux toujours me trouver dans un futur proche... J'espère que c'est pas parce que je suis...

Un frisson l'envahit, mais Gulliver refusa de laisser cette pensée le toucher.

- Ah non, ça, c'est sûr que non. On va se démerder pour sortir de là. Il y a bien un moyen, non ?

- Physiquement, ça va être dur.

- Et mentalement ?

- Comment ça, mentalement ?

- T'as bien dit que ton Souffle, là... ça marchait au mental, non ?

- Je te l'ai dit, je peux pas faire plus que ce que t'as déjà vu.

- Je sais bien, mais moi, je le pourrais peut-être. Apprends-moi et j'en ferais bien quelque chose.

- Mais... Mais ça s'apprend pas comme ça, en une aprèm...

- Je sais pas combien de temps il comptait nous laisser là, mais je pense qu'on aura un peu plus qu'une après-midi.

Dysill réfléchit un instant. Pouvait-elle se permettre de transmettre le savoir de Kyundo ? En même temps, Stroker était l'un des hommes les plus aptes et dignes qu'elle connaissait. Seulement, pour apprendre à le maîtriser en quelques jours, sans eau ni nourriture, il allait falloir être très efficace.

Alors que la nuit tombait sur Khenas, le Capitaine Keldan et ses hommes arrivèrent à une centaine de mètres du village de Lâm. Là, un garde les y attendait, alors que l'on pouvait distinguer une rangée de soldats armés tout autour des palissades qui barricadaient le village.

- Vous êtes le capitaine Keldan ? demanda-t-il en élevant une lampe torche au niveau de son visage.

- C'est ça... Vous avez mis le paquet sur la sécurité, je vois.

- On ne sait jamais, un autre assaut pourrait avoir lieu.

- Un autre assaut ?

- Suivez-moi, Capitaine. Le Capitaine Shinto vous expliquera tout.

Le convoi entra dans le village éclairé et paré de couleurs vives. En fait, c'était plutôt une petite ville qu'un village, quand on y pense. C'est ici qu'on avait construit la préfecture de la région des Torrents et que siégeait le fameux Capitaine Shinto.

Les quelques personnes qui étaient encore éveillées observaient avec attention le déluge de moyens qui avait été mis dans le transport de la princesse. En fait, ils n'avaient aucune idée de ce qu'il se produisait. Certains pensaient que le roi leur envoyait une arme pour défaire les vampires.

Quelques minutes plus tard, ils étaient arrivés devant la préfecture. Le garde frappa à la porte et on lui entrouvrit, un homme lui chuchota quelque chose, puis repartit.

- Je vous demande d'attendre une petite minute, Capitaine, dit le garde.

L'homme revint quelques secondes plus tard et chuchota à nouveau quelque chose au garde, celui-ci rougit de honte. La porte se referma.

- Euh... Pardonnez-moi, mais je crois que mon supérieur, le Capitaine Shinto, s’est assoupi.

- Ah... répondit Keldan, gêné.

- Qu'est-ce que c'est que ce guignol ? demanda "Marina".

- Ah ben, c'est sûr que le Capitaine, c'est quelqu'un... répondit Spark Kellerman.

- Tu le connais ? demanda Keldan.

- J'étais sous ses ordres lorsque j’ai commencé, Capitaine. Sans dire que c'était la belle vie, il faut dire que la garnison ici, ce n'est pas la plus compliquée du pays.

- Super, je suis rassuré, maintenant... s'aigrit Keldan.

- Peut-être voudriez-vous utiliser nos bains chauds pour vous reposer et vous détendre ? dit un homme qui venait d'arriver près d'eux.

Celui-ci était un grand barbu qui mesurait bien un mètre quatre-vingts, mais il se tenait courbé. Il était affublé d'une longue chemise pourpre et portait à la ceinture un coutelas dont le manche semblait entièrement taillé dans la roche volcanique.

- Je vous demande pardon pour ces familiarités, je me nomme Eharsien, conseiller du gouverneur et capitaine Shinto. Veuillez me suivre, s'il vous plaît.

Et il entama le pas avec autant de dextérité que d'énergie, si bien que l'on aurait pu le croire impoli.

- Lui aussi, tu le connais ? demanda discrètement Keldan à Kellermann.

- Oui, capitaine. En fait, il se donne des airs d'homme habile, mais il passe lui aussi le clair de son temps à dormir.

- Décidément, ça promet.

Et alors que les soldats rejoignaient l'emplacement où ils devaient installer leurs tentes et déposer le matériel, Keldan, Lurrihan et les autres gradés sortirent du village près d'une source chaude qui coulait au creux d'une petite vallée, tout près de la rivière. Là, on y avait agencé des pierres pour créer cinq ou six petits bassins où les habitants profitaient de la fin de journée. Certains buvaient, mangeaient et fumaient alors que c'était interdit.

- Du balai ! Ouste ! Rentrez chez vous, manants ! hurlait Eharsien qui avait pourtant ordonné au peuple de se tenir à l'écart pour donner une bonne image de la ville à la petite troupe. En effet, on avait paré les sources de fleurs, de pierres précieuses et de petites lampes du plus bel effet. Les serviteurs, qui tenaient de petites amphores de savons et de parfums n'arrivaient pas à dire aux gens de partir.

Alors, tous ceux qui étaient venus se baigner illégalement quittèrent la source pour éviter de recevoir des coups de fouets. Il y avait cependant une particularité régionale à Lâm : Hommes et femmes partageaient les mêmes bains. Aussi, lorsque tous sortirent de la rivière, Lurrihan qui n'avait jamais eu l'occasion d'examiner l'anatomie féminine fut frappé jusque dans ses voeux de célibat et ne sut quels signes pouvaient représenter ce qu'il ressentait.

- Pardonnez-moi, seigneur Keldan... Depuis la défaite d'Ensh'Idai, le peuple est déchaîné, nous ne savons comment calmer ces gens de mauvaise vie.

Keldan, en grand adolescent qu'il était aurait pu être aussi touché que Lurrihan, mais une question le taraudait.

- Vous nous faites bon accueil, Eharsien…

- Merci, Seigneur. Il ne peut en être autrement pour ceux qui ont défait Idai.

- …mais ne devions-nous pas être plus discrets ? Nous avons un ennemi qui guette chacun de nos pas, et nous ne voudrions pas qu'il nous repère si facilement.

- En... entendu ! dit-il, se sentant un peu bête. Doit-on faire se retirer les serviteurs ?

- Non, inutile, mais tâchez de nous traiter plus discrètement. Nous ne sommes qu'un escadron ordinaire qui patrouille dans la région. Est-ce clair ?

- Oui, seigneur Keldan !

Ce n'est qu'après avoir immergé son corps dans l'eau que Keldan rappella sa stature à tous ceux qui l'accompagnée. Il mesurait plus d'une toise et était doté d'une musculature importante. C'était à cela que ressemblait un vrai Porteur de Khenas.

En fait, si il n'ouvrait pas la bouche, il était impossible de deviner qu'il était âgé d'à peine dix-huit ans. Si il était toujours très enveloppé, il avait néanmoins beaucoup perdu de poids à la suite de ses voyages, ce qui lui donnait un aspect plus vif et strié qu'autrefois. Et malgré cette imposante virilité, il était complètement imberbe, au moins pour ce qui était du visage.

Lurrihan, quant à lui, était son parfait opposé. Il avait toujours suivi un entraînement strict, mais celui de Kyundo avait fini de tailler son corps déjà nerveux et élancé. Rien qu'à cette vue, les soldats de la garnison qui avaient encore des doutes quant à leur discipline et leur robustesse furent convaincus.

- Aaaah ! C'est super, ces bains, là ! s'amusa Raphael. Et vous n’avez même pas besoin de les chauffer ?

- Non, Raphel, répondit le médecin Yvan. Elle nous arrive telle que tu la vpos maintenant, à quarante degrés, même quand il fait froid.

La chaleur et la vapeur apaisaient Keldan au point où il réalisa tout le chemin qu'il avait parcouru. Au fond, depuis la mort de Soto, il n'avait pas vraiment eu le temps de s'arrêter.

D'abord, il avait entamé ce voyage fou avec ses compagnons, puis il avait dû endosser son nouveau rôle et gouverneur et il était venu au secours de Lurrihan.

Avec ce qu'il se passait avec les vampires et la princesse, ça commençait à faire beaucoup, surtout après une vie entière à ne pas penser à autre chose qu’à Porter.

Il se revoyait encore l’hiver dernier, portant des caisses de vivres sur sa tête à l'aide du Koltin, un immense chapeau qui lui servait à ne pas s'endommager le cou et les épaules. Rodan, autrefois lutteur -et c'est ce qui lui avait donné son sens du spectacle- s'amusait à faire tourner des caisses sur sa tête sans les tenir avec les mains. Il avait hâte de passer à nouveau par Duong pour le saluer avec toute la troupe des Porteurs. Qui sait, peut-être avaient-ils pris de nouveaux apprentis.

- Et après, qu'est-ce que vous prévoyez, Capitaine Keldan ?

Ysea, toujours sous le nom de Marina venait de s'immerger sans aucune gêne dans le bain. Lurrihan ne put une fois de plus pas retenir sa gêne et regarda la vapeur s'envoler dans le ciel pour penser à autre chose.

- Hm ? répondit le colosse, à peine extrait de ses pensées.

- Et bien une fois cette mission terminée, que ferez-vous face au fléau vampirique ? Comment se passera l'extermination ?

- Je crains bien que ça ne dépasse votre domaine d'expertise, Marina.

- C'est parce que vous n'en savez rien, non ?

- Ecoutez, qu'on soit bien clairs Marina, il y a beaucoup de choses qui ne vous regardent pas. Est-ce que je dois vous rappeler qui est aux commandes ?

- Si je ne m'abuse, c'est encore la princesse qui a le plus haut rang parmi vous.

- Pas si ses ordres dépassent ceux du roi à qui nous avons juré fidélité.

- Oh, mais je suis sûr qu'elle les connaît, ses ordres. Et qu'elle a le droit d'être tenue au courant de toutes les opérations.

- Petite peste.

- Comment os...! laissa-t'elle échapper, rouge de honte avant de s'arrêter net.

Le bain repris dans le silence, jusqu'à ce que Keldan sente quelque chose glisser le long de sa jambe.

- Vous n'en n'avez vraiment aucune idée, recommença Marina.

- Non mais je rêve, vous...

Keldan s'arrêta de parler quand il vit qu'une chaîne visqueuse et poisseuse faite de veines et de nerfs quittait sa jambe pour revenir se loger à l'intérieur du poignet d'Ysea, qui se referma aussitôt. Ses yeux, qui étaient devenus complètement blancs reprirent leur vert ordinaire et cessèrent de regarder Keldan.

Il la regarda droit dans les yeux.

- Qui êtes-v... ?

- Alors, Capitaine ? Votre opinion ? demanda Edwin Darren, qui s'approcha au plus près de Keldan.

- De... Euh, quoi ?

- Et bien, ces énormes vampires qui parlent ! Vous avez vu à quoi ils ressemblent, et de prêt, en plus.

- Ils sont étranges, oui.

- Ils sont plus que ça, c’est une singularité génétique absolument unique. Ils ont le même sang. Et par le même, je veux dire exactement le même ! Comme si ils étaient les cellules d’un immense corps ! Et…

- Oui, euh, on parlera de ça plus tard, Darren. Je vous avoue que j'aimerais bien me reposer.

- Pardon, Capitaine ! Je suis vraiment désolé, continua-t-il avant de s'éclipser.

Un peu plus tard, Keldan sortit de l'eau. Il n'avait certainement plus envie de penser à toutes ces choses. Il lui fallait se reposer et se concentrer. Il s'écarta de la source et du campement et trouva un endroit où il pourrait s'entraîner.

Lorsqu'il libéra son Souffle, il brisa un tronc d'arbre qui s'effondra juste devant lui. Il retira sa chemise, le hissa sur ses épaules et commença à marcher. Il avait besoin de convoquer de la force pure, de l'intensité et de l'agressivité, pour surmonter toutes les épreuves auxquelles il allait devoir être confronté. Il devait rester puissant, alerte et efficace. Et après avoir épuisé son système nerveux, il s'allongea pour méditer. Il regarda à travers le Souffle et travailla à retrouver cette nouvelle sensation qu'il avait découvert quelques semaines plus tôt.

Pendant les recherches qu'il avait fait pour sortir Lurrihan de sa prison, il avait commencé à lire entre les lignes des textes de loi et à s’imaginer à quoi pouvaient pensaient les scribes quand ils écrivaient.

Qu’est-ce qui pouvait bien exister au-delà de ce qui était écrit ? C’est cette question qui, sans qu’il ne sache vraiment pourquoi, développa son Souffle.

Il releva la tête, posa fixement son regard vers le fond de la forêt, vers l'abîme qui contenait l'effrayant inconnu qu'il n'avait qu'effleuré, sans pour l'instant le dompter.

Il le fixa avec défi, jusqu'à ce qu'en plongeant au fond de lui-même, il sentit que quelqu'un le regardait en retour. Son Souffle s'évapora vers les cieux et il se releva, les sourcils froncés et le poing serré.

Qu'est-ce qui pouvait bien l'attendre derrière cette effroyable porte qu’il apercevait en lui ?

- Capitaine ! Capitaine ! hurla Spark Kellermann, haletant après avoir couru dans toute la ville pour le retrouver.

- Oui ? Qu'est-ce qu'il y a, Kellermann ? dit Keldan en se rhabillant.

- Des vampires attaquent Lâm, Capitaine. Vous devez vite venir coordonner les troupes !

- Quoi ? Mais combien sont-ils ? répondit-il avec un peu plus de pression.

- Une centaine.

Keldan n'eut pas le temps de réfléchir, il se dépêcha d'arriver aux portes de la ville et vit une horde de petites lueurs qui avançait près d'eux. Les créatures portaient tous de petites bougies dans leurs mains.

Parfois, on ne distingue pas le mal de loin. Il approche en une petite silhouette qui grandit, grandit, mais on ne voit l'horreur que lorsqu'il est trop tard, quand elle est tout près de nous, quand elle a déjà mis la main sur notre avenir.

Là, c'était tout à fait autre chose. Même à trente pieds de distance, dans un silence et une obscurité totale, les chandelles faisaient résonner le glas de la mort et de la peur.

Chaque créature était décharnée, le crâne déformé d'une manière ou d'une autre, rappelant celui d'un rongeur ou d'un cervidé selon le spécimen.

Keldan partit vomir un instant, Lurrihan le rejoint.

"Ca va aller, capitaine ?" lui fit-il comprendre.

- Ouais, ouais. Je vais gérer, t'en fais pas, vieux. Va réveiller l'autre, là, Shinto.

"D'accord".

Quelques instants plus tard, Keldan se tenait près de Kellermann et observait les ombres approcher du groupe. Quand ses jambes tétanisaient, il essayait de se rappeler que Lurrihan et lui avaient battu Ensh'Idai.

Mais bon sang, ils ne l'avaient pas fait seuls. Il aurait tout donné pour que Kyundo et Dysill soient avec lui. Même Stroker ou Esvet le Vagabond auraient fait l'affaire.

- Ils ont l’air ordinaires, dit Keldan à Spark. Ils ne sont pas comme les deux autres.

- Oui, visiblement. Qu’allons-nous faire, Capitaine ?

- Dans le doute, je vais y aller le premier pour que vous vous fassiez une idée. Prête bien attention à ce que Marina reste en retrait.

- Marina ? Pourquoi ?

- Fais ce que je te dis.

Il se retourna vers les hommes et éleva la voix.

- Les gars. Comme vous le savez, ces trucs-là ne sont pas de grandes brutes, vous pouvez les tuer facilement. Néanmoins, l’épisode du bord du fleuve nous est resté en mémoire. Aussi, j’irais le premier à leur rencontre.

A mon signal, venez me rejoindre !

Le Porteur s’avança vers les porteurs de flamme , une main en l’air et l’autre sur son épée.

- Pouvons-nous discuter ? lança-t-il.

Les Ombres se rapprochèrent sans lui répondre.

- J’ai pu parler avec l’un de vos congénères, il y a quelques jours. Je pense que vous pouvez me comprendre.

Toujours aucune réponse. La masse s’approcha en brandissant ses chandelles.

- Allez, bon sang. Dites-nous au moins ce que vous voulez.

C’est alors que sans crier gare, l’une des créatures se jeta sur Keldan pour le mordre au cou et lui arracha un cri.

- Soldats ! A l’attaque ! hurla-t-il en frappant la bête de toutes ses forces, ce qui la projeta à plusieurs mètres.

La garde de Keldan et de Spark Kellermann fondit sur l’envahisseur et élimina des dizaines de créatures en moins de temps qu’il ne fallait pour le dire.

« Voilà, impeccable, se dit Keldan. J’ai failli avoir peur. »

Mais dans la montagne de cadavres qui commençait à grandir, Keldan remarqua que quelque chose bougeait. L'un des vampires se releva. Le colosse s'approcha pour l'occire d'un coup d'épée.

- Vous en aviez laissé un. Faites attention à bien les...

Une main griffue l’attrapa par le mollet et lui fit perdre l'équilibre. Il tomba sur le dos et, lorsqu'il se tourna sur le côté pour se redresser, il tomba nez à nez regard vide de la créature aux yeux rouges. Il hurla avant de prendre son épée en roulant dans la poussière et la décapita. En se relevant, il vit qu'une étrange vapeur s'échappait des créatures qui semblaient se reconstituer.

Est-ce qu’il y en avait… Plus que tout à l’heure ? Un à un, les vampires se relevèrent comme s’il ne leur était rien arrivé et attaquèrent à nouveau. Chaque fois qu’ils tombaient, ils semblaient revenir plus forts et plus voraces.

- Capitaine ! lança Spark Kellermann. Nous attendons vos ordres !

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